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Il n'y a que Trump qui n'a pas compris qu'il faut pour attirer l'attention une image de chat. Il s'appelle Mackie Messer. Il est très intelligent. Photo © E. Rydberg

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La "société civile" et ses missions déléguées. (Qui paie, ordonne.) Le creuset de la démocraties, ses heurs et malheurs. Le "modèle" suédois, pionnier de nouvelles régressions?

De l'intérêt de regarder dans l'assiette du voisin. La bureaucratie d'État, à ne pas confondre avec celle du privé, incommensurablement plus puissante et tentaculaire, est, au sens large du terme, en relative voie d'harmonisation en Europe. D'importantes différences subsistent pourtant.

C'est ce qu'apprend un papier qui analyse la situation en Suède1. Ça m'arrive de temps à autre, traduire ou résumer un écrit provenant d'un pays étranger, me disant qu'il y a là matière à phosphorer. Je ne peux que regretter que mes connaissances linguistiques ne soient pas plus étendues en espérant qu'un autre plumitif d'Entre_Les_Lignes fasse de même, par exemple au départ d'un texte chinois ou russe, que sais-je.

En l'occurence, le texte traite de cette bureaucratie d'État composée d'une foultitude de petites et moyennes organisations subsidiées (et, partant, liges, à des degrés divers). En Suède, la manne qui leur tombe dessus s'élève à quelque 1,3 milliard d'euros. Et ça commence à faire problème. C'est le sujet principal de l'article.

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Jusqu'il y a peu, en effet, l'octroi desdits subsides était lié, contrairement à ce qui se passe en Belgique, au nombre d'adhérents. Or, de ce côté, c'est la Bérézina. Les sociaux-démocrates ont perdu, depuis 1962, 90% de leurs adhérents (16% depuis l'an 2000), tandis que, à l'inverse, en forte croissance et c'est le seul dans ce cas, le parti nationaliste et anti-immigration, les Démocrates suédois, est passé d'environ 4.000 membres en 2010 à 28.500 en 2018 (+ 612%). Le premier syndicat suédois en ordre d'importance, LO, de coloration social-démocrate, a quant à lui perdu un quart de ses membres au profit desdits Démocrates suédois.

Même chose, globalement, du côté syndical. La courbe des affiliations, depuis les années 1980, a sinistre allure de tobogan. (Voir graphique: nombre total en ligne grasse, grise pour les femmes, pointillées pour les hommes.)

L'appareil d'État subsidiant, évidemment, s'en inquiète. D'autant que, aux côtés des organisations citoyennes (subsidées) traditionnelles, des "think tanks" et autres caisses de résonance (subsidiées) ont champignonné sur la vague radicalement droitière. Les "piliers" politiques traditionnels, on l'imagine aisément, trouvent la situation saumâtre. Afin de préserver la chasse gardée en dépit d'un soutien populaire plus que grignoté, ceux-ci, appuyés par des rapports sous sceau ministériel, ont imaginé de modifier quelque peu les critères ouvrant droit aux largesses. Et ça va étonner qui? Personne.

Sur la couture du pantalon, SVP

C'est ainsi que le dernier rapport, du 16 juin 2019, préconise d'écarter toute organisation qui "discrimine ou viole le principe de valeur égale de toute personne", ou qui "justifie, promeut ou incite à ce faire", ou encore "œuvre contre le système de gouvernement démocratique". La ministre de la Culture (et de la Démocratie, si, si, texto) Amanda Lind a mis le point sur les "i": pas question de financer des "organisations qui ne se rallient pas aux valeurs fondamentales de la société." Oufti!

Ainsi que commente Knut Lindelöf, auteur du papier, les Démocrates suédois passeront le test haut la main et seuls quelques crétins assez crétins pour organiser en rue des marches en uniforme brun ou pour se déclarer ouvertement ennemis de la démocratie passeront à la trappe avec un zéro pointé.

De même que, sans doute, dans la foulée, les quelques organisations communistes qui subsistent encore. Elles n'ont d'évidence pas les bonnes "valeurs".2

La société civile agréée

Il est un autre aspect à la chose, complémentaire à ce qui précède, qui vaut le détour. C'est que le rapport de juin 2019 introduit dans la langue suédoise la notion de "société civile", remplaçant et radiant par la même occasion celle de "folkrörelser", un terme qui se prête mal à la traduction: littéralement, ce sont les "mouvements populaires" mais, faute de mieux, "organisations citoyennes".

Pour mémoire, la Constitution belge connaît les citoyens et ignore avec superbe une quelconque "société civile", dont Lindelöf relève qu'elle n'a aucune assise concrète dans la démocratie suédoise, n'étant qu'une "notion technocratique et politique dont le sens peut tourné pour signifier n'importe quoi." Oufti! qu'on redit.

Pour être un peu passé par là (une organisation subsidée belge), je perds le compte des zozos qui, s'autoproclamant membre de la société civile, cherchent à poser des actes au nom de ce titre ronflant. On peut en rire et mieux vaut: passe la caravane...

De cette même expérience, ladite organisation ayant été radiée pour insuffisance dans l'adéquation aux "valeurs" du pouvoir subsidiant, ressort que l'harmonisation dont question au début de cet article est joliment en marche. Faute de n'avoir assez programmé ses "obligations de résultat", son souci des "attentes du public cible", son suivisme en matière de "genre" et de "durabilité environnemantale", l'organisation a été décrétée persona non grata par deux petits ignorantins de Deloitte & Touche, envoyés en basse besogne par le ministre fédéral de la Coopération.

Ceci ramène au raisonnement critique tenu par Lindelöf. C'est qu'il rappelle, à raison, que les mouvements citoyens ont été, historiquement, le creuset et la force motrice de la démocratie, le terme de mouvement ouvrier convenant sans doute mieux dans ce contexte. En perdant leurs membres, en s'intégrant peu à peu dans la bureaucratie d'État élargie3, par une professionnalisation salarisée (fonctionnaires de second rang), il était comme inscrit dans les astres qu'un semblant d'âme ne pouvait plus leur être apporté qu'à échelle technocratique.

Je fais confiance au docteur: ce n'est qu'un mauvais moment à passer.

1Knut Lindelöf, "Folkrörelserna har av myndigheterna förvandlats till «civilsamhället»" (Les mouvements citoyens ont été transformés par les autorités en «société civile»), 20 juin 2019, https://www.lindelof.nu/folkrorelserna-har-av-myndigheterna-forvandlats-till-civilsamhallet/

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2Débat et controverse autour des "valeurs" (non autrement spécifiées) sont devenus un passe-temps favori sur la place publique suédoise. Moins une chose existe, plus on en parle.

3Il est significatif que le statut d'organisation non gouvernementale (ONG) exige l'agréation gouvernementale...

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