Nations, unissons-nous, enfin !

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une des peinture murales décrites dans le blog Street Art de Richard Tassart, "Planète bleue" sur notre site entreleslignes.be.

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Le président ukrainien Volodymir Zelensky, paradant le 26 décembre devant les députés américains, a réclamé l’exclusion de la Russie du Conseil de sécurité des Nations Unies. Une vraie fausse bonne idée car impossible à matérialiser : la Russie est un des membres permanents de ce Conseil de sécurité (bien mal nommé, on verra pourquoi). Elle dispose du droit de véto, comme les autres membres permanents à savoir la Chine, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne. Tous sont les vainqueurs de la dernière guerre mondiale. A la sortie de cette innommable boucherie, ces puissances étaient supposées constituer l’organe exécutif de l’Assemblée des Nations Unies, ayant « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale ».

On a vu ce que cela a donné. Les Etats-Unis ont commencé par bombarder au napalm des Vietnamiens et accessoirement des Cambodgiens afin de s’opposer au communisme progressant depuis la Chine, et cela dans la foulée de l’ignoble guerre de Corée qui a divisé le monde et la Corée en premier. La même puissance a suscité, dans les années 70, des coups d’Etat et autres dictatures militaires dans divers pays d’Amérique latine afin d’assurer la mainmise de ses entreprises multinationales parmi les plus prédatrices dans l’histoire. La Grande-Bretagne, elle, divisait le Moyen-Orient en renversant le régime iranien de l’époque qui avait eu l’outrecuidance de nationaliser les installations de l'Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) en mars 1951 et d’expulser des sociétés pétrolières britanniques des raffineries de la ville d'Abadan. Les Etats-Unis ont accompagné l’œuvre britannique par le biais de ses compagnies pétrolières. Et cela a donné les guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye avec les tragiques résultats que l’on connaît.

Quand la Grande-Bretagne a mis fin à son mandat en Palestine, en 1948, elle confiait le problème inextricable de la naissance de l’Etat d’Israël à l’ONU, ce qui fut le point de départ de l’invasion et de l’annexion des territoires palestiniens et des guerres qui enflammèrent le Proche-Orient. Depuis, les Nations Unies n’ont jamais pu rétablir les droits du peuple palestinien malgré une grande quantité de résolutions toutes balayées au Conseil de sécurité par les Etats-Unis, fervents défenseurs d’Israël.

Quant à la France, puissance coloniale comme les autres, elle faisait la pluie et le beau temps en Afrique du nord et de l'ouest, instaurant sa « françafrique » qui s’effiloche actuellement dans le sang et les larmes, après avoir perdu sa principale colonie, l’Algérie, dont la révolution pour l’indépendance (de 1954 à 1962) fut un modèle pour les peuples colonisés.

Voilà, succinctement esquissée, la réalité politique de ce Conseil de sécurité dont beaucoup pensent qu’il devrait disparaître car il ne sert que les intérêts des anciennes grandes puissances se partageant le monde.

Comment repenser le droit ?

Que faire avec ce monde de brutes cupides et hyper militarisées? Imaginer autre chose. Revisiter le droit international dont la finalité est sociale, qui a un véritable impact sur la société, nous dit la grande juriste française Monique Chemillier-Gendreau, invitée à Bruxelles par la Fondation Henri La Fontaine, l’ULB et le Centre d’action laïque. « On assiste à une généralisation du malheur, dit-elle, rien ne s’oppose plus à la violence ni à la volonté de domination », évoquant les civils plus que jamais cibles des conflits armés, des droits humains qui ne sont plus qu’un mythe en Chine, en Russie, en Turquie, etc. Les migrants meurent par milliers, il y a plus de 83 millions de réfugiés déplacés dans leur pays. Ajoutons à cela le paradoxe d’une société mondialisée (par la consommation), les métissages interpersonnels et idéologiques et le contrecoup de crises identitaire qui mènent aux pires excès. Le tout dans un contexte mafieux, d’inégalités croissantes et de destruction de la nature par cupidité capitaliste. « La tentative de Société des Nations après la première guerre mondiale fut un échec. Après la deuxième guerre mondiale en 1945 et malgré la création de l’ONU nous avons connu 77 ans sans paix, sans justice sociale. A présent, nous vivons une panne de la pensée vis-à-vis de l’inadaptation des Nations Unies. Comment repenser le droit ? », s’interroge Monique Chemillier-Gendreau.

Elle constate que le mécanisme onusien de maintien de la paix est « en état d’usure avancée », que le droit à l’autodétermination des peuples ne parlait pas de décolonisation, et ce alors que l’assemblée générale était sans cesse poussée par les luttes d’indépendance des années 60.  Le droit à l’autodétermination est aujourd’hui encore refusé par le Maroc (soutenu par la France) contre le peuple sahraoui.

A présent, constate la conférencière, nous vivons avec le terrorisme une guerre mondiale larvée et des conflits meurtriers sévissent dans des pays comme l’Ukraine, l’Ethiopie, la Syrie, la Libye, le Yémen, la Palestine, la RDC… Or, le conseil de sécurité est bloqué par le mécanisme du véto. Ce qui constitue un « vice structurel » : la « position hégémonique des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale n’a plus aucun sens. Le véto est un signe d’impuissance. Depuis la guerre de Corée, on voit bien que cela protège les intérêts nationaux au mépris du maintien de la paix. », dit-elle. Et « cela étouffe les Nations Unies ». Par exemple, on n’applique pas l’article 43 de la Charte des Nations Unies qui traite de la sécurité collective : il ne peut y avoir de recours à la force sauf en cas de légitime défense. Or, il n’y a pas de force d’application de cet accord. En 1950, avec la résolution 377 « Union pour le maintien de la paix », le pouvoir de décider d’une force de maintien de la paix a été transféré à l’Assemblée générale en cas de blocage du Conseil de sécurité avec instauration du système des « casques bleu », pas toujours négatif mais pas satisfaisant car cela ne protège pas les populations civiles (ainsi qu’on le constate dramatiquement en RDC !). On l’a vu avec effroi lorsqu’en 1991 le Conseil de sécurité a donné son feu vert à différents Etats pour intervenir militairement en Irak sous couvert de l’armée américaine. On a vu les ravages que cela a causé et l’impossibilité pour cet Etat de fonctionner à nouveau démocratiquement.

Quant à l’article 26 de la Charte, concernant la réduction des armements il n’a jamais été mis à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, souligne la conférencière. Et la course aux armements a pu se poursuivre, elle explose actuellement avec la guerre en Ukraine.

Autre non-respect de la Charte des Nations Unies : le concept de légitime défense visant à faire cesser une agression militaire. Or, les USA ont agressé le Vietnam, Israël le Liban, etc. « Les grandes puissances ont inventé le concept de « légitime défense préventive » selon le niveau de la menace. Il n’y a donc pas de garantie internationale en cas de conflit, souligne Monique Chemillier-Gendreau. Reste le rapport de force ! »

Face à cela, le droit international, « consubstantiel à la société mais pas intégré à la conscience collective, est plus faible à cause de la carence du système judiciaire international. Car le droit est contractuel, donc il s’applique à ceux qui ont signé les traités entre Etats ». Ce que les grandes puissances se sont bien gardé de faire. « Nous avons donc un droit à géométrie variable et une juridiction internationale facultative. Donc, le droit est ineffectif », constate la conférencière. Qui ajoute : « la contestation de l’universalité des droits humains existe dans beaucoup de sociétés, il y a donc dénigrement de la Cour européenne des Droits de l’Homme et une revendication de la souveraineté judiciaire contre les droits humains. »

On constate donc qu’en cas « de conflits armés, le droit est très développé mais amplement violé. Il n’empêche pas les violences, les génocides, l’usage d’armes de plus en plus sophistiquées, de plus en plus dangereuses. » La souveraineté est concept ambigu car s’il vise l’indépendance et la gloire d’un peuple, il est surtout devenu l’attribut d’un Etat et pas d’un peuple, il est confisqué par de petits groupes très puissants. « La souveraineté est ainsi devenue la qualité d’un Etat qui protège le groupe au pouvoir, les fonctions régaliennes échappant ainsi au contrôle des peuples. Ainsi, beaucoup d’Etats n’adhèrent pas à diverses conventions, le droit international est donc soumis au bon vouloir des Etats. »

Biens communs et démocratie

Que pouvons-nous faire ? Défendre certains acquis de ce système Nations Unies et notamment le « maintien de la paix par l’interdiction du recours à la force et par le désarmement ». La paix étant « la vie juste et bonne contre les mécanismes de domination » qui caractérisent la dictature du Conseil de sécurité, propose la conférencière. Il nous faut en effet « penser le futur autrement en se basant sur les concepts actuels de biens communs et de démocratie » à l’encontre de la dictature du libre marché qui ne sert que le profit de quelques puissants et pas l’intérêt général, à savoir les biens communs, qui devrait être la norme fondamentale. Les partisans de la souveraineté de Etats (et des peuples) s’opposent évidemment à cela. Il nous faut donc mettre en avant la notion de « communauté politique », « du local au mondial, avec des règles communes qui s’appliquent à chaque échelon et dans chaque communauté selon des modalités nationales. L’intérêt général étant, lui, défini par un Parlement mondial qui aurait une fonction législative réelle et qui représenterait les peuples du monde, assurerait le droit international démocratique. Pour cela, il faut aussi réformer la justice internationale et créer une Cour mondiale des droits humains ainsi qu’une Cour constitutionnelle internationale qui jugerait les Etats sur la cohérence de leurs pratiques par rapport au droit international. », propose Monique Chemillie-Gendreau.

Enfin, il est indispensable de sortir du frigo politique l’article 26 sur le désarmement et reconvertir les industries de mort. Les moyens pour réaliser cela proviendraient de la mutualisation des efforts au niveau mondial ainsi que de la taxation des puissantes multinationales et l’interdiction des paradis fiscaux et autres pratiques financières qui accroissent les inégalités déjà énormes.

Monique Chemillier-Gendreau esquisse ainsi un nouveau contrat mondial, « pas impossible », sourit-elle. En tout cas, notre seule chance de sortir de la logique de guerre et de domination qui prévaut actuellement et qui nous mène tous à notre perte.

Utopie ? Non, tout est encore possible. Deux exemples actuels: le 14 décembre 2022, une énorme majorité de l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu la souveraineté des Palestiniens sur leurs territoires occupés par Israël, Jérusalem-Est y compris ! (159 pour – dont les Etats européens, enfin, 8 contre – dont les Etats-Unis et le Canada- et 10 abstentions). C’est bien le signe de l’opprobre mondiale contre le nouveau gouvernement israélien qui veut amplifier le processus de colonisation criminelle de la Palestine. L’action des peuples est déjà en cours via les actions mondiales de B.D.S (boycott, désinvestissement, sanctions) contre cet Etat d’apartheid.

Deuxième exemple : Le Vanuatu, petit Etat qui sera bientôt englouti par la montée du niveau des océans, a demandé un avis consultatif à la Cour Internationale de Justice et veut une majorité à l’ONU afin de déterminer quelles sont les responsabilités des Etats devant le changement climatique. On peut espérer que l’A.G. de l’ONU se ralliera à cette demande, premier signe important d’un renouveau des Nations Unies.

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Déjà publié sur le sujet :

Monique Chemillier-Gendreau lors de sa conférence « Pour un nouveau pacte mondial des peuples », à l’ULB, le 15 décembre 2022, un événement organisé par la Fondation Henri La Fontaine et le Centre d’Action Laïque. Photo © Sophie François.

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