Maître ou esclave

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
le
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L’imagination au pouvoir.
C’était un des slogans de la mouvance qui accompagnait les lancements de pavés pour découvrir la plage à Paris en mai 68. L’imagination  devrait reprendre force et vigueur pourvu qu’elle s’allie à l’intelligence.Pourvu que nous ne nous laissions pas aller à lire et vivre notre quotidien dans la rêverie et l’imaginaire allant de la nostalgie  aux fantasmes, deux refuges qui nous écartent du présent et donc de la vie. La nostalgie nous fait revivre dans l’histoire et le regret. C’était mieux avant. Le fantasme nous met au centre du monde et de la démesure. L’imagination, par contre, apprend la pondération. Le fantasme impose, l’imagination explore. L’imagination c’est l’imaginaire qui reste en éveil.

En grec moderne, intelligence se dit Exhypnos.
Comme s’il fallait sortir de l’hypnose et du sommeil. L’imagination intelligente donc est celle qui nous maintient en éveil permanent. Elle s’épanouit au diapason d’une discipline qui est celle du Libre Examen, un terme qui se galvaude et qui permet à certains de fantasmer que c’est l’autorisation de dire et penser tout et n’importe quoi alors que c’est une invitation à explorer toutes les options pour exercer un jugement libre à l’abri de tout dogmatisme. Le fantasme et la nostalgie laissent l’imaginaire en sommeil. L’imagination le met en éveil.

Fantasme et servitude.
Alain Finkielkraut dans son livre, Le cœur intelligent*, rappelle le travail de Vasili Grossman qui décrit tout l’engouement des foules pour de nouvelles idées auxquelles des gens admirés et admirables , des stars du cinéma, des artistes reconnus adhéraient en invitant leurs fans à se mobiliser pour une société qui rendrait l’ouvrier et le paysan maîtres de leur vie. L’idée avait de quoi séduire, mais, en soi, elle était fatale puisqu’elle associait la liberté et la domination, deux choses inconciliables. « Le développement de la Russie s’est confondu avec le développement de la servitude. »

Aujourd’hui, l’actualité nous montre l’éclosion de nouvelles servitudes. Les extrémistes entraînent les foules bercées par le fantasme de l’homme providentiel. Il faut les réveiller. Il faut leur relire Albert Camus , tant la Peste que le Premier Homme. Il écrivait que « l’homme qui se révolte doit aussi être l’homme qui se résiste ». On ne peut-être homme qu’en étant contre le monde du maître et de l’esclave.

Ni maître ni esclave.
À l’heure où les coaches et les hommes providentiels se multiplient partout, voilà qui mérite réflexion. Dans le monde du coaching, la performance devient vite le maître et le coaché, l’esclave. « L’homme est l’être qui se définit non par ce qu’il fait – ses projets, ses produits, ses prouesses, ses édifices , ses monuments-, mais par ce que le scrupule ou la vergogne le retiennent de faire. »

Bref, sortons de l’hypnose imposée par nos fantasmes. Éveillons-nous à l’enfant qui est en nous et qui tout petit posait toutes les questions philosophiques. Tous les « pourquoi » d’un enfant ne se satisfont jamais d’un « Parce que » comme réponse. Ils veulent comprendre, ils voudraient qu’à leur « Pourquoi » on réponde  «  pour que ». Hélas, un jour vient l’école qui leur inculquera souvent les réponses aux questions qu’ils n’auront plus envie de poser. Ils seront endormis et tout disposés à reproduire l’idéologie dominante.

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Le présent est un cadeau auquel il faut veiller.
Olivier de Kersauzon évoque dans son dernier livre** une philiosophie très pacifique puisqu’elle vient de Polynésie où l’expression la plus prononcée est Ait pe’a pe’a, qui signifie c’est pas grave. Et l’auteur précise «  que cette expression ne renvoie pas à une fatalité, non. Dans le fatalisme, il y a du désespoir. Dans le fatalisme, il y a un côté Inch Allah ! : on ne contrôle pas, on verra bien. En Polynésie, c’est différent. Ce n’est pas la fatalité : on verra, ce n’est pas très important, mais de toute façon il faut veiller à ce que tout se passe bien. Ce qui compte, c’est le présent. » Pas étonnant que le présent soit synonyme de cadeau. Et veiller au présent, c’est rester en éveil et pas fantasmer ni s’en remettre aux hommes providentiels. S’ils existaient, ça se saurait.

*Un coeur intelligent, Alain Finkielkraut, Éditions Stock Flammarion, 2009
**Promenades en bords de mer et étonnements heureux, Olivier de Kersauson, Cherche midi 2016

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