Penser contre soi-même par Nathan Devers

Livre examen

Par | Penseur libre |
le
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L’auteur a 26 ans et il écrit déjà ses mémoires, en quelque sorte. Je l’ai rencontré dans une de ses chroniques dans Le Monde et puis dans une critique de son dernier livre par Roger Paul-Droit, toujours dans le Monde. De là à dire qu’il est mondain, ce serait facile, mais pas impossible. Ce ne sont pas des mémoires, c’est le récit réel et un peu imaginé d’un auteur déjà très reconnu qui va se diviser. Baptisé Nathan Naccache, il a failli devenir rabbin, il changera de nom pour s’appeler Nathan Devers, une idée de sa mère pour expliquer son chemin : De – Vers. De l’enfant qui n’a pas demandé à naître vers l’homme qu’il devient. « Notre naissance ne nous appartient pas. (…) La naissance, c’est un décès à l’envers. La mort qui sourit. » Mais elle est déterminante de notre être et façon d’être au monde.

Élevé à Auteuil dans une des nombreuses familles « Juives Kippour » qui y vivent. C’est-à-dire que 364 jours par an ils ne pratiquent rien de religieux et le 365eme, ils vont s’en faire pardonner, c’est le jour du Grand Pardon. Tous les juifs d’Auteuil se retrouvent à la synagogue ENEO où Levinas a donné cours lui-même. Lui, par contre, cette religion l’intéresse et il la pratiquera ; il rencontrera de nombreux rabbins, il fera, très jeune, des discours à la synagogue. Il apprend très vite l’hébreu qui permet à « la langue d‘épouser deux fonctions opposées : le découpage des choses et la jonction des mots. La boucherie des idées et la suture des sens. » Il découvre à la synagogue « Le chemin des justes » le livre du rabbin Ramchal. Un livre d’éthique de 12 chapitres qui annonce dès le début qu’il n’a rien à vous apprendre, il vient juste « vous inviter à douter de vos certitudes. » Il vous invite « à l’essentiel : le sens de la vie ».

Il ira à l’école de la république, Jean Baptiste Say, et puis il suivra l’enseignement juif à Betham. Il ira à Jérusalem où il rencontre un guide érudit qui a avalé toutes les bibliothèques pour « épouser son destin d’athée mystique et de pâtre biblique. » Il prolonge son séjour et reviendra avec « le mot Tchouva à l’esprit.(…) Un nom évanescent difficile à traduire, désignant tout aussi bien la rédemption que la réponse, le retour ou bien la solution. Une révolution et un apprentissage. Une extase autant qu’un héritage. Devenir religieux … » Après s’être posé la question de savoir s’il ne serait pas plus heureux en Israël, il se dit « qu’il y a quelque chose d’unique dans le judaïsme français : un équilibre très subtil entre la loi et la pensée, l’ouverture et l’intransigeance. »

Impressionnés, les rabbins qu’il fréquente l’encouragent à devenir Rabbin et cela lui semble logique. Jusqu’à ce qu’ils doivent donner un cours lors d’un séminaire rabbinique sur l’Écclésiaste. Ce sera un nouveau croisement sur son jeune chemin de vie. Ce livre vient lui signaler que ce sont les livres qui lisent leurs lecteurs. A l’analyse, ce texte lui démontre que dieu ne peut pas exister et que si l’étude de ces textes est passionnante et intéressante, mais ils reposent sur un mensonge. « Dieu existe certes, mais en tant que question. » Lui, c’est le vrai qui l’intéresse. «Ouvrir son esprit n’était pas une affaire de soustraction, de signes à cacher, de pratiques à renier, mais des multiplications : d’idées à ajouter, d’étapes à gravir sur l’escalier du vrai. »

Le déclic de l’Écclésiaste s’amplifie de l’avis d’un vieux juif qui venait écouter ses discours à la synagogue. Discours qu’il illustrait de plus en plus avec des citations de philosophes qu’il avait commencé à lire, par ailleurs. Tout le monde adorait son style et l’applaudissait. Or lui-même savait qu’il faisait des choix faciles. Ce vieil homme, Jean-Pierre, vint lui dire qu’il devenait con : «Nathan, tu as un immense défaut, tu es éloquent. Or l’éloquence n’est pas le drapeau de l’intelligence, mais son faire-valoir. Souvent son illusion et toujours son image. Son vernis séduisant et son costume social. Être éloquent = paraître profond. Mais cette nuance de prime abord infime dévoile un véritable gouffre : il est beaucoup plus difficile de devenir intelligent quand on donne l’impression de l’être déjà que quand on passe pour un idiot. »

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« Si ton frère te flatte, crains qu’il ne te corrompe », posent en principe les francs-maçons. Jean-Pierre l’était-il ? L’auteur ne le dit pas, mais il sent la différence entre la gentillesse et la bonté autant que son grand écart naissant entre le plaisir de questionner des textes sacrés et le plaisir de questionner des philosophes et la vie elle-même. La seconde voie lui plaisait de plus en plus.

Et c’est depuis qu’il s’intéresse à la vie, aux terrasses de café, à la littérature, à la pensée et au scepticisme qui ne construit pas des murs, mais qui « est cette fécondation qui ouvre en eux l’itinéraire de la pensée ouverte (…). Une fécondation. » Il nous invite à penser contre soi-même. J’aimerais dire qu’il est brillant. Il sait manier le verbe. Il est donc aussi éloquent. Il n’apprécierait pas lire ça, sous ses airs de dandy que je soupçonne. Mais je me suis senti intelligent de le lire, d’essayer de le comprendre et de questionner son chemin de tailleur de pierre. Ce chemin, il l’a parcouru, ça ne s’invente pas. Il y a rencontré de vrais compagnons de route en sachant rester libre. J’ai fermé le livre avec plus de questions que de réponses. C’est un cadeau en soi. Merci.

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