Magnette défourne son "chant du pain"

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Aussi pratique que poétique, le traité de l'art boulanger selon Paul Magnette mérite de figurer dans une bibliothèque à côté d'un manuel d'entretien des bicyclettes. Il témoigne d'un art de vivre. Photo © Marcel Leroy

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On ne va pas y aller par quatre chemins ni faire semblant d'être objectif, car c'est sincère. Cet ouvrage, il m'a été donné de le découvrir alors que Paul Magnette en pétrissait la pâte, méditait son contenu, revenait sans relâche sur les mots, craignant de manquer de clarté. C'est qu'on ne plaisante pas avec le pain. Cet aliment lié à la civilisation méditerranéenne a un côté sacré. Des copains, ce sont bien des gens qui partagent leurs tartines, pas vrai? Le pain que l'on rompt est de la solidarité à l'état pur. Bref, avec Paul Magnette et Axel Delepinne, voici deux ans maintenant, lors des dix jours à vélo à travers la ville sambrienne qui conduisirent au carnet de route "Voyage à Charleroi", nous parlions de la cité en pleine mutation, rencontrions des gens, abordions parfois des questions existentielles. Ainsi, la qualité du pain revenait souvent dans nos propos, comme la poésie civile de Pasolini et le blues wallon de William Dunker avec ses fragrances de salsa.  L'humble auteur de ces lignes, amateur de pain, comme Paul Magnette, ne s'est jamais remis d'avoir goûté, enfant, à Stoumont, la tourte de seigle d'un boulanger des rives de l'Amblève. C'est que le pain est lié à la mémoire, aux sens, relié à la destinée et aux décors traversés. Il est universel. Il est la vie.

Dans son manuel , Magnette cite Marcel Proust: "Si le papier venait à faire défaut, je me ferais, je crois, boulanger. Il est honorable de donner aux hommes leur pain quotidien". Au point de vue socio-économique, le pain n'a plus la même valeur qu'autrefois. A la fin du XIXe siècle, la moitié des gains annuels d'un ouvrier était vouée au pain, que l'on confectionnait souvent soi-même. Un ménage d'aujourd'hui consacre 1% de son budget au pain. On gagnait sa croûte à la sueur de son front. D'une brave personne, on la disait bonne comme le pain. Oter le pain de la bouche était une infamie. Vinrent les progrès techniques qui permirent de produire plus, plus vite, avec moins de travailleurs, peut-être avec moins de saveur. Pas toujours... Mais le regain d'intérêt pour le pain de qualité se propage. Le pain est porteur d'un débat écologique. A nouveau, les gens font leur pain à la maison, recherchent les artisans, iront loin pour dénicher un pain que l'on n'oubliera pas...

C'est le cas de Paul Magnette. Depuis des années, il rencontre des boulangers, découvre des moulins, s'intéresse aux différentes sortes de blés, réfléchit aux vertus du levain et de la levure, prend note de recettes, recherche des livres évoquant le pain, son histoire, sa fabrication, sa signification, fait son pain dans sa cuisine. De loin  en loin, l'idée de publier ses carnets de notes lui revenait, mais il avait d'autres choses à faire - peut-être voyez-vous de quoi il serait question...-, et repoussait ce projet. Jamais, pourtant, il ne l'a laissé dans un tiroir. Régulièrement, il ajoutait à son dossier une recette, une explication technique, une histoire, le souvenir d'une rencontre. Par exemple, celles d'Alain Coumont et de Roland Feuillas, boulangers hors normes. Ils ont accepté de préfacer son ouvrage, ce qui est une marque de confiance envers un amateur passionné.   

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Clairement agencé, ce traité propose une approche historique et sociale, des définitions libellées avec du recul, des recettes allant du "simple" pain à la levure à la tourte de seigle au pur levain, de la pitta à la fougasse et de la focaccia au craquelin. L'écriture est précise et poétique. D'où cette impression de voyager dans le temps, sans que la parole ne soit datée pour autant. Pesés au plus près, les mots sonnent juste. Ils sont comme du grain mûr. Au fond, la recette de ce livre s'apparenterait à celle du pain. De bons ingrédients, du temps, de l'attention et du respect. Une philosophie. L'ouvrage gagne encore en saveur grâce aux images du photographe  Jean-Pierre Gabriel.  Ici, le pain se révèle sculptural, oeuvre graphique, se pare de couleurs été ou automne. A contempler un pain sorti du four, il est permis d'y voir se dessiner des paysages, les lignes de fracture de la croûte former des collines et des vallées nervurées de sentiers. Des sillons se dessinent dans l'écorce de la boule, des parfums se déploient. Beurrant une tartine, on se sent le coeur en fête. Eh oui, c'est dit, m'fi!  


Petit Traité de l'art boulanger. Le Chant du Pain. Par Paul Magnette. Photographies de Jean-Pierre Gabriel. Renaissance du Livre. 

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