L'ours en peluche

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 3 min.

Ce soir-là, il avait eu envie de retrouver la maison de son enfance parce qu’il était en manque de tendresse. La tendresse est une drogue qui fait des ravages terribles et crée une immense dépendance. Il ressemble à un transistor allumé qui ne reçoit aucune info, aucun message, pas même une vieille chanson. Il a beau dirigé l’antenne dans tous les sens, vers tous les points cardinaux. Il ne capte rien. Pas de grésillement, pas de voix étrangère. Rien. Retrouver la rue de son enfance fut facile, elle est en lui. Aujourd’hui, la rue est minuscule mais rien n’a changé sauf lui, si grand, si vieux, si laid. Un monstre. Il est beaucoup plus grand que l’école qui se trouve à sa droite. Elle est vide à cette heure-ci. Et au-delà de l’école, il aperçoit la rue bordée d’arbres et plus loin le stade de football éclairé comme en plein jour où des joueurs en rouge et noir, autrefois des légendes, ressemblent à des souris qui se disputent un morceau de fromage. Les maisons de sa rue, il les reconnait toutes. En trois pas, bam ! Bam ! Bam, il arrive devant chez lui. Le bruit de ses pas a réveillé tout le monde. Il s’agenouille devant une fenêtre et jette un œil à l’intérieur. La mère est là, elle fait face comme toujours avec les deux enfants en pyjama derrière elle, terrorisés. Le gamin tient fermement une peluche dans ses bras, sa sœur, une poupée. Du doigt, il casse une fenêtre et introduit sa tête dans la maison. - Allez-vous- en ! crie la mère qui veut protéger ses petits. - Allez-vous-en ! Vous n’avez plus rien à faire ici ! - C’est moi, dit-il, d’une voix effrayante. La mère ne semble pas comprendre ce qu’il dit à cause des enfants qui hurlent. - C’est moi, dit-il encore. La mère recule avec ses gosses. A présent, il introduit la main droite dans la maison. Ses doigts aveugles avancent en tâtonnant. Au toucher, il reconnait la table, une chaise, le tissu du pyjama du gamin et enfin la douceur du nounours. Ses doigts s’emparent de la tête de la peluche. Le gamin et la mère tentent bien de résister mais c’est impossible. D’une chiquenaude, il les repousse vers la cuisine. La mère et l’enfant sont à terre. Blessé, le gamin se met à pleurer comme un gamin. Le géant tire la peluche vers lui malgré les supplications du garçon: "Non ! Pas mon nounours, laissez-le-moi ! Pitié ! Laissez-moi mon nounours  !" Mais il n’y a rien à faire. Le géant n’a aucune pitié quand il s’agit de tendresse. Elle est si rare. On la prend où on la trouve. Arracher la peluche des bras de l’enfant est si facile. Voilà ! Il a gagné. Il sort son bras de la maison et se relève, le nounours entre les doigts. Il remonte la rue de son pas de géant. Bam ! Bam ! Bam ! Il est rapide mais pas assez. Entre ses doigts, la peluche tombe déjà en poussière. Le corps, les bras et les jambes ont disparu en quelques secondes. Derrière lui, ce qui reste de la laine git sur le trottoir. Il ne subsiste rien de la tendresse de cette peluche sauf un morceau de la tête avec les deux yeux intenses et immobiles car seul le plastic résiste au temps en ce bas monde.

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