« L’amnésie est un moteur de la politique »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Le prédateur et sa proie.

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Lundi 16 octobre

 Emmanuel Macron ne comptait pas communiquer avec les Français par des prestations télévisées convenues, deux ou trois journalistes convoqués dans les bureaux et les salons de l’Élysée. Il pensait instaurer une nouvelle forme de communication avec le pays. Les échos de ses récents voyages en province, son vocabulaire parfois choquant, de mauvais sondages de popularité successifs l’ont poussé à renouer avec la tradition. Hier soir, il s’est entretenu à son bureau avec trois journalistes sur TF1 et LCI. Seul changement avec la tradition : derrière lui, un tableau tricolore arborant une ébauche de Marianne en son centre avec, en sa base, les mots « FRATERNITÉ » qui percent l’image durant tout l’entretien. Celui-ci aussi était convenu : le président a intelligemment justifié son action, là encore à l’image de ses prédécesseurs. Ce qui reste aussi en mémoire, après une nuit de sommeil méditatif ? Il a souvent répété « Je suis le président de la vérité » alors que l’on attendait « Je suis le président de tous ». Une fois de plus l’on pense à Charles de Gaulle à propos de Giscard d’Estaing : « Son problème, c’est le peuple. »

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 Les élections dominicales ont dégagé, en Autriche, un résultat comparable à celui des récentes législatives allemandes : poussée des conservateurs conduits par Sebastian Kurz, 31 ans, stagnation des sociaux-démocrates, ascension de l’extrême droite qui serait due à un afflux considérable de réfugiés. On s’attend à une coalition de droite forte, une tendance assez courante dans l’Union européenne. Les élections régionales de Basse-Saxe ont cependant contrarié cette tendance. Là-bas, le SPD  sort vainqueur au détriment de la CDU de Merkel et de l’extrême droite qui réalise un petit score. Les changements ne sont pas aussi radicaux qu’on ne le croit dans les vieilles démocraties. Et les socles, tantôt solides et renforcés, tantôt fragiles et rognés, demeurent néanmoins les pivots d’une pensée politique plus consciente et réfléchie qu’on ne le croit.

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 Chirurgien-urologue, Laurent Alexandre s’est passionné pour le transhumanisme et la biotechnologie. Il est devenu spécialiste des nouvelles technologies et à ce titre, donne des conférences sur l’intelligence artificielle. Commentant son dernier livre (La Guerre des intelligences, éd. J-C. Lattès), il insiste sur le fait que l’intelligence artificielle ne doit pas métamorphoser les capacités humaines. Il faut permettre aux enfants d’avoir accès le plus tôt possible aux tablettes et autres écrans magiques, mais en même temps, il faut veiller à ce qu’ils lisent trois livres par semaine. Ce vœu, sans doute sincère mais pieu, ne doit cependant pas être pris à la légère. Au bout du compte, c’est la machine qui dominerait l’homme. Un vieux débat jamais tout à fait impossible à cerner.

Mardi 17 octobre

 Raqqa, l’importante ville considérée comme la capitale du califat voulu par Daech, est tombée. Daech n’est plus à Raqqa. L’affirmation tombe sur les télescripteurs du monde entier. En déduire qu’il n’y a plus de djihadistes pouvant nuire et tuer partout à tout moment serait présomptueux.

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  François Hollande a choisi Séoul pour donner sa première conférence internationale. Il n’a pas suivi la prestation de Macron sur TF1 mais il a lu les dépêches et dialogué avec quelques amis. Tandis que le budget 2018 arrive en débat devant l’Assemblée, il se montre catégorique et sévère ? En plagiant une phrase célèbre de François Mitterrand, il constata : « Aujourd’hui, on peut s’enrichir en dormant, il suffit d’être propriétaire de bonnes valeurs mobilières ou propriétaire de bons terrains ou de bon locaux et il suffit de regarder le temps passer. » Et il poursuivit : « Quand il s’est agi pour la France, à un moment particulièrement difficile avec la crise des subprimes, des déficits qui s’étaient alourdis, de réduire les déficits, j’ai fait appel à la fiscalité. Mais quand il y a eu retour à la croissance, j’ai fait baisser les impôts des catégories moyennes, qui sont les plus importantes, et j’ai maintenu une fiscalité relativement élevée pour les grandes fortunes. (…) La mondialisation a incontestablement augmenté les inégalités à mesure que la croissance elle-même progressait. Nous avons donc une croissance qui est inégalitaire avec une concentration de la richesse sur un nombre limité de personnes. Il faut donc avoir une politique de redistribution par la fiscalité. »

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 Pour la quatrième fois, le Conseil de l’Europe, après enquête sur place et examens approfondis, condamne le gouvernement flamand de ne pas respecter la démocratie et le suffrage universel dans les communes de la périphérie bruxelloise où le ministre qui exerce la tutelle régionale sur les communes a le pouvoir de désigner le bourgmestre sans tenir compte des résultats électoraux. Et pour la quatrième fois, en dépit des prévisions du parti DéFi (anciennement Front des Francophones), le gouvernement flamand ne tiendra pas compte des résolutions du Conseil de l’Europe qui n’ont que délibération d’avis, sans pouvoir de sanction. Pis : ils s’en moqueront comme de leur première Brabançonne.

Mercredi 18 octobre

 Bernard Cazeneuve, dernier Premier ministre de François Hollande, est redevenu avocat. Il n’a que 54 ans mais il estime que la génération qui suit la sienne doit prendre le relais. Il a une haute idée de la politique et en particulier de la loyauté (son passé récent le prouve), une attitude que l’on considère souvent comme de la « naïveté incommensurable ». Il publie un livre, Chaque jour compte, 150 jours sur tension à Matignon (éd. Stock) ce qui lui permet de fréquenter les matinales des radios. « L’histoire rendra justice au bilan de François Hollande » dit-il. Et quand il regrette l’attitude de ceux qui, au pouvoir aujourd’hui, font semblant de découvrir l’héritage alors qu’ils y ont contribué, à commencer par Emmanuel Macron lui-même, il lâche : « L’amnésie est un moteur de la politique ». Dommage qu’il a choisi de quitter « le monde des tordus » pour recouvrer « le monde du droit » car ce type de personnage, honnête homme serviteur du bien public avant tout est et sera peut-être demain plus encore nécessaire à la res publica.

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 Le poète mexicain Octavio Paz évoque les affres de l’argent (Entre la pierre et la fleur, éd. Gallimard, Pléiade, 2008, trad. De Jean-Claude Masson) :

« L’argent est une fastueuse géographie

(…)

Ses jardins sont aseptisés

Son printemps perpétuel est congelé

Ses fleurs sont des pierres précieuses

Sans odeur

Ses oiseaux volent en ascenseur

Ses saisons tournent au rythme de la montre

(…) »

« Ses oiseaux volent en ascenseur » : formidable image à replacer dans un débat contradictoire.

Jeudi 19 octobre

 Le gouvernement Rajoy se prépare à supprimer l’autonomie de la Catalogne, à évincer Carles Puigdemont de sa présidence, à dissoudre le parlement régional et à déclencher de nouvelles élections régionales dans six mois. D’ici là, l’examen quotidien de la situation en Espagne sera nécessaire. Pour les partis régionalistes de l’ensemble de l’Union européenne en particulier.

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 L’Assemblée nationale a voté la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF). Néanmoins, Emmanuel Macron se demande pourquoi on le surnomme «président des riches ». Comme disait le beau-frère, lorsqu’il incarnait Raymond Bettoun : « Va savoir !... »

Vendredi 20 octobre

 Theresa May semble de plus en plus embourbée dans le Brexit.. Ceux qui, au Royaume-Uni, ont voulu foutre le bordel (ainsi que le dirait Macron) jubilent, comme l’extrême droite, ou contiennent une ire de plus  en plus affirmée, comme Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères. Pendant ce temps-là, des centristes britanniques déclarent haut et fort que le Brexit n’aura pas lieu. Parce qu’il est trop compliqué à mettre en place d’une part, et parce que le peuple britannique dans sa majorité n’en veut plus d’autre part. Quoi ? L’organisation d’un nouveau référendum serait-elle en préparation ?

                                                           *

 Depuis qu’une langue s’est déliée, le puissant producteur hollywoodien Harvey Weinstein continue chaque jour de dégringoler de son piédestal. Paris-Match lui consacre sa couverture. L’instant saisi est fabuleusement révélateur. Au sein d’une manifestation publique, le prédateur se prépare à saluer Marion Cotillard. Il la prend par la taille et approche son visage du sien. Ses yeux pétillent sous des paupières qui se ferment, les joues du carnivore doivent saliver de l’intérieur. Quant à la comédienne, elle est coite, sur ses gardes, et s’attend à devenir une proie. Tout est dit. Pas besoin de choisir des mots ; le choc de la photo est tout à fait flagrant.

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 Petit paysan, film d’Hubert Chanel. Il n’est pas inutile que les gens des villes soient de temps en temps troublés en découvrant les angoisses et le mal de vivre des gens des champs.

Samedi 21 octobre

 Andrej Babis a gagné les élections en Tchéquie. On l’appelle « le Trump tchèque ». Pas la peine de donner d’autre description partisane ou idéologique. Il devrait gouverner avec l’extrême droite qui a réussi une percée avec plus de 10%. Comme en Autriche, tous ces eurosceptiques se retrouveront dans un an et demi pour participer à la campagne pour le renouvellement du Parlement européen. Gare à la bascule !

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 Le Dictionnaire historique des homosexuel(le)s célèbres que vient de publier Michel Larivière (éd. La Musardine) deviendra un succès de librairie si tous les adeptes du voyeurisme en ont connaissance. Il faut dire que l’ouvrage recèle quelques informations surprenantes. Ainsi, l’on y apprend que Robert Baden-Powell (1857 – 1941) aimait les petits garçons ; c’est pour cela qu’il aurait créé le mouvement scout. Encore une cathédrale qui s’effondre.

Dimanche 22 octobre

 La Lombardie et la Vénétie vont aussi s’exprimer par référendum. Il ne s’agit pas de réclamer l’indépendance. Elles n’en sont qu’à l’étape précédente, exigeant « plus d’autonomie ».  Les slogans ont toutefois déjà un coup d’avance : Le Nord d’abord !, Contre Rome la voleuse ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Europe observe les poussées régionalistes. Le risque de se craqueler ne devrait donc pas la prendre au dépourvu.

                                                           *

Dans son billet du Journal du Dimanche (JDD), Anne Sinclair critique la prestation télévisée de Macron lundi dernier. Ce qu’il l’a « déplu » : « Les coups de patte, par trois fois adressés à son ‘prédécesseur’, qui s’appelle François Hollande, et dont il a été quatre ans le conseiller choyé puis le ministre chouchou. Et l’élégance, bordel ! » On reparlera de ce comportement outrancier du chef de l’État. Il ferait bien de prendre garde et de ne pas croire que les Français se plaisent à dénigrer François Hollande, à présent qu’il n’est plus aux affaires. Leur conception du héros et celle du martyr sont plus complexes que ne le suppose la raison.

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 On célèbre le trentième anniversaire de la disparition de Lino Ventura, victime d’une crise cardiaque dans sa maison de Saint-Cloud le jour où son ami Brassens, mort six ans plus tôt, aurait fêté ses 67 ans. Pensait-il de manière émotive à ce délicieux ami, le poète si partageux, son cadet d’une bonne année? Aujourd’hui qu’Odette, l’épouse de Lino, est aussi décédée, Jean Dujardin vit dans leur maison de Saint-Cloud qu’il a rachetée. Ce lieu ne pouvait mieux entrer dans la légende. 

 

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