« La liberté d’enseigner la liberté »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 17 octobre

 Dans son intervention télévisée de mercredi, Emmanuel Macron avait lâché « Nous en avons jusqu’à l’été 2021 avec ce virus, au moins… » sans que cette réflexion ne mobilise les commentaires. D’une part on est un peu comme l’autruche, on ne veut pas voir, on espère qu’une fin des précautions contraignantes surviendra bientôt ; et puis l’annonce du couvre-feu à 21 heures supplantait le reste du propos. Voici que revient la prédiction au plan politique. L’idée de reporter les élections régionales prévues en mars fait son chemin. Ce n’est sûrement pas un hasard si le président de l’Assemblée a lancé l’hypothèse. Mais là, gare à la réaction ! Des questions mûrissent déjà ça et là : un État peut-il se permettre de dicter le nombre d’invités que chacun peut recevoir chez lui ? Un État peut-il imposer un contre-feu en temps de paix ? Un État démocratique peut-il surveiller les faits et gestes de ses citoyens dès lors que ceux-ci ne portent pas atteinte au bien public ? Déjà ces questions – et bien d’autres du même tonneau – occupent les conversations, et pas seulement au Café du Commerce. Mais si des élections ne sont pas programmées aux dates fixées par la Constitution, là, une forme de défaut démocratique pourrait peser dans l’opinion. Emmanuel Macron l’avait bien saisi en laissant les élections municipales se dérouler dans leur premier tour, ce qui lui permettait de reporter le second tour en tirant les conclusions que les faits imposaient. Décider dès octobre de reporter le premier tour des élections régionales alors que la situation sanitaire en ce mois-là est aujourd’hui totalement inconnue, c’est vêtir le buste de Marianne d’un gilet jaune.  

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 Un professeur d’histoire de 47 ans, Samuel Paty, donnant cours de citoyenneté à Conflans Sainte-Honorine, avait abordé la liberté d’expression et, dans ce cadre-là, évoqué les caricatures de Mahomet. Il a été assassiné par un musulman radicalisé de 18 ans, qui, après son crime, le décapita. Plusieurs messages accusateurs avaient inquiété le professeur et monté le bourrichon de l’assassin. Ce n’est évidemment pas un fait divers comme les autres. La République se mobilise dans toutes ses formes, sous tous ses aspects, par toutes ses instances. Au-delà de l’horreur et du recueillement qu’elle entraîne, on peut être assuré que la France résistera, qu’elle parviendra tant bien que mal à surmonter voire éradiquer ces tentatives d’actes odieux commis au nom d’une religion. Mais il y a une chose que la République ne pourra pas annihiler, un mal qui peut être lui aussi inquiétant : l’autocensure. Comment pourrait-on en vouloir à un professeur qui se refuserait à traiter d’une question qui heurterait un groupe menaçant au point d’attenter à sa vie ?

Dimanche 18 octobre

 Toute la France est mobilisée pour défendre la liberté d’expression et la laïcité, rendre hommage à Samuel, l’enseignant odieusement assassiné avant-hier. Mais on sent bien que les Français attendent désormais autre chose. Le Premier ministre Jean Castex a rejoint des milliers de citoyens Place de la République. Il a tenu un langage fort (« Vous ne nous aurez pas ! »… « Nous sommes la France ! » ….) On dépose des fleurs, on arbore des pancartes de fortune « Je suis Samuel », on entonne La Marseillaise. C’est touchant et réconfortant ; mais cela fait penser aux républicains espagnols qui hurlaient « No pasaran » tandis que les fascistes gagnèrent quand même. Il y eut une école, il y eut la rédaction de Charlie-Hebdo, il y eut le public du Bataclan et quelques autres agressions d’intolérances. Voici que l’on s’attaque au symbole des valeurs républicaines, un professeur, le cœur même de la République, celui qui est chargé de diffuser les savoirs mais aussi de former les esprits au sens critique et au raisonnement libre. Comme dit Pascal Bruckner : « C’est une déclaration de guerre qui doit être traitée en conséquence ».

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 On le pressentait, on l’espérait : Jacinda Ardern, Première ministre sortante de Nouvelle-Zélande, remporte brillamment les élections législatives en donnant au parti travailliste une majorité absolue au parlement. Depuis 1946, ce pays était gouverné par des coalitions. Cette femme symbolise le renouveau de la social-démocratie. Mais la Nouvelle-Zélande, c’est 5 millions d’habitants et un peu plus de 3 millions d’électeurs. Ah ! Si la dynamique Jacinda, qui n’a que 40 ans, avait la bonne idée de devenir citoyenne britannique ! Après tout, cette monarchie parlementaire a pour reine Elisabeth II…  

Lundi 19 octobre

 On craignait que le Covid ne fasse des ravages en Afrique. Il n’en est rien. Ce continent est beaucoup moins touché que les autres. Trois types d’explications se donnent : la population est majoritairement très jeune ; le climat est plus chaud ; les régions urbaines à forte densité de populations sont moins nombreuses. Du reste, là où elles existent, le virus s’installe. Ainsi, l’Afrique du Sud totalise à elle seule 50 % des cas répertoriés sur l’ensemble du continent. Voilà donc une pandémie qui épargne quasiment le continent habitué à vivre d’épidémie en épidémie. Ce Covid-19 est vraiment étrange. Quand on en sera débarrassé, on devra seulement s’y intéresser dans les laboratoires du monde entier.  

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 Pour surmonter toute déprime liée au Covid, consulter   « L’Inconnu | Le blog-scénario de Luc Dellisse ». Aujourd’hui, il évoque son « anomalie sociale ». Rien à voir, apparemment, avec une attitude prudente face au virus.  

Mardi 20 octobre

 Alors que l’on pensait la gauche bolivienne en difficulté après le départ forcé d’Evo Morales l’an dernier, son dauphin, Luis Arce, remporte la victoire dès le 1er tour avec 52, % des voix, redonnant une nouvelle vie au MAS (le Mouvement vers le Socialisme) que l’on pensait en difficulté. L’Amérique latine va être confrontée à un calendrier de consultations populaires assez chargé. La Bolivie montre le chemin à un continent qui paraissait verser plutôt à droite ces temps-ci. En fait, la leçon est toujours la même : quand on baigne absolument dans le pouvoir, on finit par aimer le pouvoir absolu. Le peuple l’admet d’autant moins de ses représentants s’il les a portés au sommet avec espoir et enthousiasme.

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 Au Danemark, pays montré en exemple pour l’égalité des sexes, les mouvements féministes se révèlent actifs et « efficaces ». Voilà que Frank Jensen, maire social-démocrate de Copenhague depuis 2010, apprécié pour sa gestion de la capitale, en devient la victime. Aucun viol, aucun chantage, mais des gestes qu’il reconnaît « déplacés ». Il a 59 ans et il décide d’abandonner la politique. « Au suivant ! » chantait Jacques Brel, pour un autre cadre de vie.

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Il y a, parsemées dans la littérature, des phrases simples qui choquent ou qui régalent, qui frappent ou qui épatent, des expressions qui entrent dans le langage courant par la porte de l’imprévu, et qui feront ensuite partie de propos ordinaires inclus dans les conversations, au même titre que des proverbes ou des dictons. Cela se produit parfois dans le journalisme. En post-scriptum de sa chronique bimensuelle dans Le Soir, Jean-François Kahn évoque le rassemblement de la Place de la République, dimanche après-midi. Et il termine « … unis dans la même volonté de défendre la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire la liberté d’enseigner la liberté ». Oui, la liberté d’enseigner la liberté. Cette formule banale exprime bien, dans sa simplicité, la démarche républicaine si contrariante pour tous les dogmatiques.  

Mercredi 21 octobre

 Pendant que Trump s’époumone aux tribunes dans les États incertains, des informations le concernant tombent de temps en temps sur les télescripteurs. Voilà que le New York Times annonce que Trump possède un compte en banque en Chine ! Le roi des fake news joue vraiment à l’arroseur arrosé. Ou bien son équipe va publier un dossier accablant sur Biden aux tout derniers jours, afin que l’accusé n’ait pas le temps de répliquer, ou bien le président sortant sera sorti dans 13 jours.

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 Livre après livre, l’historien Denis Lefebvre s’affirme comme la principale référence à propos de la franc-maçonnerie. L’an dernier, il publia une analyse très structurée consacrée à Henri La Fontaine, prix Nobel de la Paix en 1913 très engagé au Grand Orient de Belgique. Cette fois Lefebvre propose une plongée dans les relations entre le parti communiste français et la franc-maçonnerie, telles qu’elles furent d’emblée définies dans les années qui furent décisives, après la Guerre de 14-18, au cours de celles qui furent constitutives du PC, très dépendant de Moscou dès sa fondation. Et toutes les archives dépouillées conduisent au même constat : le parti communiste n’admettait pas qu’un de ses membres puisse être franc-maçon. Ou bien il quittait la franc-maçonnerie, ou bien il était exclu du parti. C’était finalement mieux ainsi. Avec le recul, on comprit très tôt que les idéaux maçonniques ne pouvaient pas cohabiter avec ceux du communisme. Grâce à Denis Lefebvre, des extraits de discours (ceux de Trotski sont assez significatifs, l’éloquence en plus…), des lettres de mise en demeure, des délibérations illustrent parfaitement cette incompatibilité (éd. Conform, coll « Pollen maçonnique »). 

Jeudi 22 octobre

 Emmanuel Macron avait bien fait de choisir la cour de la Sorbonne pour rendre hommage à Samuel Paty, ce professeur lâchement assassiné puis décapité pour avoir donné un cours sur la liberté d’expression. C’est chez les Lumières « qui ne s’éteindront jamais » a dit le président, là où le savoir règne en diffusion, que la cérémonie prenait tout son sens. Il trouva aussi les mots forts et déterminés pour condamner le terrorisme islamiste. On lut la lettre de Jean Jaurès aux enseignants et celle d’Albert Camus à son instituteur. Bref, la République a fait son devoir.

 Et maintenant ?

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 Il y a quasiment un an que Saad Hariri avait dû démissionner de son poste de Premier ministre a la suite d’un soulèvement populaire au Liban. Le voici réinvesti à ce poste par une majorité de députés. Il était le banni, il est le recours. Entretemps, une explosion terrible a ravagé des quartiers de Beyrouth et les forces au pouvoir ne sont point parvenues à s’accorder sur un nom pour former un nouveau gouvernement. Le temps pressait. Hariri fut le candidat du consensus. Pourquoi pas ? Il connaît mieux que quiconque les réalités de son pays, ses besoins et ses capacités de redressement. Surtout qu’il ne se sente pas indispensable au point de se placer au-dessus des lois…

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 Avis à tous ceux qui commencent à se gratter le crâne pour y déceler des cadeaux à déposer sous le sapin : Orwell est entré en Pléiade. Et donc, afin de se mettre dans l’ambiance, on pourra se doter de quelques réflexions qui n’ont pas pris une ride, et qui sont même encore visionnaires, trois quarts de siècle plus tard. Exemples :

  • « La dictature s’épanouit sur le terreau de l’ignorance. » (1984)
  • « L’Homme ne connaît pas d’autres intérêts que les siens. » (La Ferme des animaux)
  • « La Beauté n’a pas de sens tant qu’elle n’est pas partagée. » (Une histoire birmane)
  • « Nous pourrions bien nous apercevoir un jour que les aliments en conserves sont des armes bien plus meurtrières que les mitrailleuses. » (Essais, Articles, Lettres)

Vendredi 23 octobre

 Le pape François reconnaît l’union civile pour les homosexuels. C’est inattendu. On n’avait plus entendu la voix du Saint-Père depuis pas mal de temps. Il aura dû méditer longuement cette sortie. Cela ne le met pas à l’avant-garde, certes, les sociétés occidentales ont beaucoup évolué sur cette question, mais un pays très catholique comme la Pologne, par exemple, se retrouve quand même tout à coup à la traîne par rapport à la position du chef de l’Église.

 Lorsque survint l’intronisation du cardinal argentin, on prédit la grande ouverture pour la religion la plus étendue sur la planète : la prêtrise autorisée pour les femmes. On déchanta. Ce serait peut-être la plus grande réforme de l’histoire du catholicisme et compte tenu de sa personnalité, François aurait pu la porter. Ce n’est peut-être pas trop tard.

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  Le dernier face-à-face télévisé entre Biden et Trump fut empreint d’un peu de courtoisie. Oh ! Non pas qu’ils se sont fait des courbettes et donné l’accolade, on en demandait pas tant; on souhaitait simplement percevoir les options de l’un et de l’autre. Et là, Biden a enfin montré sa différence sur un pan très important de l’économie américaine. Il s’éloigne de l’industrie pétrolière et souhaite que son pays rejoigne le plus tôt possible les accords de Paris. C’est « une obligation morale » précise-t-il. Fort bien. Wait and see après le 3 novembre.

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 Cette période troublée par le virus met en évidence des pratiques liées à la prudence et à des précautions. Le télétravail se développe et les services de take away s’instaurent un peu partout. Take away…  C’est évidemment une réflexion de vieil emmerdeur de remarquer qu’il fut un temps, pas si lointain, où l’on parlait de « plats à emporter ».  Le service au client était cependant assuré avec autant de soin qu’aujourd’hui.

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 Voici déjà un an que les éditions Slatkine publièrent « Madame S », l’ouvrage que Sylvie Lausberg consacra au phénomène des salons que fut Marguerite Jeanne Japy dite Meg, mieux connue sous son nom d’épouse, Steinheil. Elle fut notamment la maîtresse du président Félix Faure qui perdit la vie sur un canapé de l’Élysée dans une tenue qui mettait son invitée en situation délicate pour témoigner du drame. Sylvie Lausberg est historienne et psychanalyste. Il fallait bien ces deux qualités pour suivre un personnage aussi déconcertant que Madame Steinheil. L’on est en présence d’un livre remarquable de précisions, bâti sur des recherches et des dépouillements d’archives, un ouvrage de longue haleine que les pages de notes à la fin du livre attestent et qu’aurait aussi sûrement reflété un index. Demi-mondaine, Madame Steinheil n’est connue qu’à travers cette scène tragique autant que burlesque. Mais qui était-elle vraiment ? C’est ce que l’auteure s’est posée comme question et qui la mena tantôt à un travail de détective, tantôt à celui d’une enquêtrice qui tient le lecteur en apnée dans les salons dorés de la troisième République parfois démantelés par l’affaire Dreyfus. Un livre à retenir, donc, parmi les titres parus l’an dernier.

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 Soudain, le revoici qu’il trouve sa place dans l’actualité rédactionnelle. Car cette inénarrable cocasserie déclencha en ce temps-là des audaces de commentaires inouïes. Le fougueux Clemenceau, par exemple, ne fut pas en reste et les journalistes du Canard enchaîné s’en donnèrent à cœur joie. Les caricaturistes purent aussi se défouler, laisser fleurir les graines de leur talent avec plus ou moins de bonheur. Le livre de Sylvie Lausberg n’est pas illustré mais il conduit à de multiples pistes qui méritant réflexion. Nous sommes aujourd’hui, avec le drame atroce de Conflans, baignés dans des débats relatifs à la liberté d’expression. L’affaire Steinheil, comme l’affaire Dreyfus d’ailleurs, offre l’occasion de montrer que la caricature cruelle pouvait s’appliquer à d’autres sujets que la religion et même concerner les plus hautes personnalités de l’État sans pour autant provoquer des actes de barbarie atroce. C’est cela, en république, la liberté d’expression : rire d’un président qui meurt en baisant sa maîtresse à deux pas de son bureau. En toute liberté.

 

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