La folie de la guerre

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Le Triomphe de la Mort, de Pieter Bruegel l’Ancien, vers 1562. Ce tableau est exposé au Musée du Prado à Madrid dans un pays atteint dramatiquement par la pandémie de Covid-19. Photo dans le domaine public.

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Observer l’actualité internationale fait penser à ce tableau dantesque de Pieter Bruegel l’Ancien: « Le Triomphe de la Mort », allégorie des diverses morts que l’humanité peut fournir : crimes, suicides, maladies, guerres, exécutions… Les humains sont particulièrement créatifs en la matière, c’est bien ce que nous rappelle ce peintre lucide, sarcastique et visionnaire à la fois.  Cette allégorie a été peinte en un 16ème siècle tourmenté où nos contrées étaient ravagées par l’ennemi espagnol dont la fureur meurtrière a été dévastatrice. Il restait peu d’espoir ainsi que le montre le tableau : au coin supérieur droit, on y voit une plage inondée de soleil… Mais déserte. Un cauchemar de collapsologues, dépeint avant même notre époque de bombes atomiques et de virus tueurs.

L'appel à la paix du secrétaite général de l'ONU

Dans notre monde, il y a eu, bâtie après de nombreuses guerres et massacres de tous genres, la Charte des Nations Unies (signée le 26 juin 1945, donc, il y a 75 ans bientôt). Espoir magnifique d’une humanité en voie de réconciliation avec les valeurs humanistes de la Déclaration universelle des droits humains. Saluons donc, l’appel historique d’Antonio Guterres, neuvième secrétaire général des Nations Unies qui, ce 23 mars 2020 clamait au monde entier « La furie avec laquelle s’abat le virus montre bien que se faire la guerre est une folie ».  Nous y assistons chaque jour : l’idéal de paix entre les nations est sans cesse bousculé par les nombreux conflits qui ensanglantent tant de pays et visent essentiellement des populations civiles, désarmées, privées de tout ce qui est indispensable à la survie : l’eau potable, un toit protecteur, des soins de santé de base, des terres où faire pousser notre nourriture à tous. Des millions de personnes sont déplacées, chassées de leurs terres, de leurs villes et villages, privées de tout et quelques milliers d’entre elle sont traquées lorsqu’elles cherchent désespérément un refuge à nos frontières.

A ces tragédies s’ajoute celle de la pandémie du Covid-19. Qui a, avec plus ou moins de retard, provoqué des mobilisations sanitaires sans précédent dans de nombreux pays touchés, et cela est recensé et suivi par l’Organisation Mondiale de la Santé, une des principales agences des Nations Unies, qui tente de conseiller une réponse coordonnée à ce défi vital.  « Le monde entier affronte aujourd’hui un ennemi commun : le COVID-19. Le virus n’épargne aucune nationalité, communauté ou religion. Il attaque tout le monde sur son passage, implacablement. Pendant ce temps, les conflits armés continuent de faire rage dans le monde. », dénonce A. Guterres. « Ce sont les personnes les plus vulnérables – les femmes et les enfants, les personnes en situation de handicap, les personnes marginalisées et déplacées – qui paient le tribut le plus lourd. Ces mêmes personnes courent également le plus grand risque de subir des pertes dévastatrices à cause du COVID-19. »

Car en effet, « dans les pays ravagés par la guerre, les systèmes de santé se sont effondrés. Les professionnels de santé, qui étaient déjà peu nombreux, ont souvent été pris pour cibles. Les réfugiés et toutes les personnes déplacées par des conflits violents sont doublement vulnérables. La furie avec laquelle s’abat le virus montre bien que se faire la guerre est une folie. Mettons un terme au fléau de la guerre et luttons contre la maladie qui ravage notre monde. C’est la raison pour laquelle j’appelle aujourd’hui à un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde. L’heure est venue de laisser les conflits armés derrière nous pour concentrer nos efforts sur le véritable combat de nos vies. »

« A vous qui êtes en guerre, je dis : Renoncez aux hostilités. Laissez de côté la méfiance et l’animosité. Posez les armes, faites taire les canons, mettez fin aux frappes aériennes. C’est essentiel… Pour pouvoir établir des couloirs d’aide humanitaire qui sauveront des vies. Pour reprendre le dialogue et donner une chance à la diplomatie. Pour ramener l’espoir dans certains des lieux les plus vulnérables face au COVID-19. »

« Inspirons-nous des coalitions qui prennent forme et des dialogues qui se nouent lentement entre des parties rivales pour permettre des approches conjointes face au COVID-19. Mais il faut en faire beaucoup plus. Mettons un terme au fléau de la guerre et luttons contre la maladie qui ravage notre monde. Cela commence par l’arrêt des combats. Partout. Tout de suite. C’est ce dont nous tous, membres de la famille humaine, avons besoin. Aujourd’hui plus que jamais. »

Un appel émouvant mais quel sera son effet sur les forces brutales, égoïstes et cupides mises en œuvres par des dirigeants de pays qui ne visent que la conquête de plus de pouvoir, de ressources pétrolières ou autres, l’asservissement de peuples rebelles, colonisés ou non mais dont le tort est d’aspirer à la liberté ?

Des espoirs de paix 

Peu après cet appel, des cessez-le-feu ont été évoqués aux Philippines, au Cameroun, au Yémen (entre les rebelles chiites Houthis et le pouvoir en place) et en Syrie (rébellion armée contre le régime baasiste et ensuite guerre menée par des groupes islamistes sunnites, salafistes, djihadistes).

Très vite, les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont annoncé leur décision de ne pas s'engager dans une action militaire. Puis, le 30 mars, les présidents Trump et Erdogan se sont mis d'accord sur le fait « qu'il est plus important que jamais que les pays en conflit, en particulier la Syrie et la Libye, adhèrent à un cessez-le-feu et travaillent à une solution", a écrit l'exécutif américain dans un communiqué. "Les deux dirigeants se sont mis d'accord pour travailler ensemble et en bonne coordination sur la campagne internationale pour vaincre le virus et soutenir l'économie mondiale", a poursuivi la Maison Blanche.

Pourtant, la guerre en Libye semble ne pas connaître de trêve. Au contraire, il semble selon les dernières informations qu’elle s’amplifie entre le gouvernement d'union nationale (GNA) installé à Tripoli, à l'ouest, et les forces emmenées par le maréchal Haftar, à l'est. « Le pétrole, plus de 80 % des ressources du pays, est à l'arrêt depuis onze semaines : des tribus œuvrant pour Haftar bloquent l'intégralité des champs ». (1)

Selon cette interview, les enjeux pour la Turquie sont énormes : le pays veut récupérer une dette estimée à dix-huit milliards de dollars, du temps des accords entre Erdogan et Kadhafi en 2008.  La Libye est aussi une porte d'entrée importante pour l'Afrique. De plus, les enjeux de l'hydrocarbure sous l'eau sont majeurs.

S’agissant du Yémen, il y aurait des réponses positives, à la fois du gouvernement du Yémen et des rebelles houttis, à l'appel du Secrétaire général à un cessez-le-feu. On espère une réunion d'urgence pour discuter de la manière de traduire ces engagements dans la pratique.

Un cessez-le-feu temporaire a été annoncé le 25 mars par les Forces de défense du Sud du Cameroun (SOCADEF) impliquées dans la crise dans les régions anglophones du pays. « Le Secrétaire général réitère son appel à un dialogue renouvelé qui abordera toutes les questions pertinentes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun et qui mettra fin à la violence et aux souffrances humaines », a dit son porte-parole Stéphane Dujarric. Il vise ainsi l’insurrection ultra violente des salafistes de Boko Haram qui frappe aussi les populations civiles du Nigéria, du Tchad, du Niger.

Quant aux Philippines, un cessez-le-feu temporaire a été annoncé le 24 mars par le Parti communiste des Philippines avec le gouvernement philippin.

En République centrafricaine, le Représentant spécial du Secrétaire général dans ce pays, Mankeur Ndiaye, a exhorté mercredi passé toutes les parties signataires de l’Accord de paix de février 2019 « à garantir l’effectivité du cessez-le-feu sur toute l’étendue du territoire national pour préserver la République centrafricaine du Covid-19 et de ses conséquences néfastes ». « Le peuple centrafricain n’a que trop souffert des tensions et violences. Les groupes armés ont donc l’obligation de respecter les engagements pris dans le cadre de l’Accord de paix, par la cessation immédiate de la violence sur toute l’étendue du territoire centrafricain », a dit M. Ndiaye.

Quant au Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique centrale, François Louncény Fall, il a aussi lancé jeudi un appel vibrant : « Je voudrais inviter toutes les parties en conflit en Afrique centrale, et en particulier au Cameroun, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Tchad, à observer sans délai un cessez-le-feu afin de permettre la mise en œuvre rapide et efficace des stratégies nationales de riposte » à la pandémie. « Nous devons ensemble combattre, maintenant, ce fléau qui n’épargne ni les belligérants, ni les populations civiles ni les dirigeants politiques », a-t-il ajouté.

Au Soudan, le Représentant spécial conjoint de la Mission de l’Union africaine et des Nations Unies au Darfour (MINUAD), Jeremiah Mamabolo, a évoqué les pourparlers de paix soudanais en cours et a rappelé qu'un accord de cessation des hostilités entre le Gouvernement de transition du Soudan et le Front révolutionnaire du Soudan (SRF) a été conclu le 21 octobre 2019. Il exhorte les parties soudanaises à reconnaître la gravité de la situation que le Secrétaire général décrit comme ‘le véritable combat de nos vies’ et à parvenir à un accord de paix global dès que possible. On espère qu’Abdul Wahid Al-Nur, le chef de l'Armée de libération du Soudan (SLA/AW), rejoigne le processus car la pandémie de coronavirus nécessite un front uni pour sauver des vies.

Coup de frein pour l'OTAN?

Bien d’autres conflits continuent, malheureusement, à ensanglanter la carte du monde. Et les pressions de grandes puissances et d’entités comme l’Union Européenne sont moins fortes car les Etats sont d’abord préoccupés par l’impérieuse nécessité de maîtriser au plus vite la pandémie.

Certains poursuivent même leurs ventes d’armements et leurs exercices militaires plutôt que de concentrer toutes leurs forces dans le rétablissement du secteur des soins de santé, de la recherche scientifique et l’aide aux travailleurs tous secteurs vitaux confondus. Ainsi, les Etats-Unis n’ont pas encore officiellement renoncé l’annulation de l’opération « Europe Defender », le plus grand exercice militaire de l’OTAN en Europe : 37.000 hommes devaient être déployés en Allemagne, Pologne et Pays baltes, avec un budget de 315 millions d’euros ! On parle pour l’instant d’une diminution des effectifs à cause de l’épidémie de coronavirus. On espère une annulation pure et simple de cette folie militaire, d’autant qu’un membre du personnel de l’Otan, à Bruxelles, a été infecté par le Covid-19 lors de ses vacances en Italie du Nord. L’Otan paralysé par un petit virus ? Aux citoyens européens de poursuivre leur opposition à ce type de militarisation absurde des relations internationales. C’est un des principaux combats pour créer un « après » qui ne soit pas une réplique du monde d’avant la pandémie.  

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https://www.lepoint.fr/afrique/libye-la-peur-du-virus-n-agit-pas-31-03-2020-2369647_3826.php

https://www.capital.fr/economie-politique/le-plus-grand-exercice-militaire-de-lotan-sera-reduit-a-cause-du-coronavirus-1365195

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