La démocratie, un combat de tous les instants

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Vendredi 1er février

 Berlin, Londres et Paris ont conçu un système de commerce avec l’Iran pour contourner le veto américain. Dès que Trump fut élu, on s’accorda pour admettre que l’Europe devait y dégoter une occasion de se renforcer, d’être moins vassale des Etats-Unis. Ceci en est une magnifique illustration. On attend donc que les autres pays membres de l’Union adhèrent au projet, ce qui ne devrait pas tarder.

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 Doubles vies, d’Olivier Assayas, ne restera pas en lettres d’or dans la biographie de Juliette Binoche, Guillaume Canet, et Vincent Macaigne. Et quel dommage d’avoir choisi le monde de l’édition et de la soi-disant littérature pour débiter tout ce blabla inconsistant !  Bien placé pour recevoir le César de la platitude.

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 Stéphane Grapelli avait lancé Didier Lockwood (1956 – 2018) dans la carrière musicale. Un jour, dans un hôtel, par hasard, Lockwood fut émerveillé par un petit garçon de 11 ans qui jouait du Django Reinhardt avec une facilité aussi fine qu’étourdissante. Á son tour, il fit en sorte de propulser le petit Alexandre Cavaliere dans le destin qui se profilait. Le gamin devint une vedette du jazz manouche. Désormais âgé de 33 ans, il trace sa route en composant ses propres morceaux, actualisant, comme Bireli Lagrene et d’autres ce type de musique envoûtante qui connaît ainsi une pérennité garantie dans un domaine où la recherche aiguë de nouvelles pistes est indispensable. La virtuosité de l’archet développe davantage d’acrobaties que de poésie chez le Cavaliere d’aujourd’hui. Le temps a passé, reste la nostalgie, et un grand artiste qui devrait encore beaucoup épater.

Samedi 2 février

 En Algérie, les quatre partis en coalition gouvernementale se mettent d’accord pour proposer la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle qui aura lieu le 18 avril. Cette candidature devra être déposée le 3 mars au plus tard. La veille, le vieux guerrier aura célébré ses 82 ans. Depuis qu’en 2013 il fut victime d’un accident vasculaire cérébral, il n’est plus qu’un zombie. Qu’à cela ne tienne, on l’intronisera pour un cinquième mandat. Si c’est la seule manière d’éviter des luttes internes pour le pouvoir, c’est d’autant plus vil que c’est grotesque.

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 Des manifestations se succèdent à Khartoum afin d’exiger le départ du dictateur Omar El-Béchir. Ce sont des femmes qui défilent en tête des cortèges. Dans un pays musulman, c’est assez insolite… Sauf si les hommes les utilisent comme boucliers.

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 L’Italie est entrée en récession. Pour Giuseppe Conte, le président du Conseil, c’est dû à la guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine. Les fascistes cherchent toujours des boucs émissaires. Reconnaître que les entreprises hésitent à investir dans un pays à l’avenir incertain parce que gouverné par les populistes, ce serait évidemment trop verser dans le mea culpa. Reste qu’il faudra encore revoir le budget à la baisse et repasser devant la Commission européenne. La grande gueule de Salvini va bientôt connaître un problème de cordes vocales.

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 Petit conseil de Paul Valéry à Emmanuel Macron : « Il faut entrer en soi-même armé jusqu’aux dents. » (Quelques pensées de monsieur Teste)

Dimanche 3 février

 Les festivités du 40e anniversaire de la révolution iranienne sont grandioses. L’occasion de se rappeler que quelques jours avant qu’il ne débarque de son exil à Téhéran, l’ayatollah Khomeiny avait reçu Michel Foucault et Jean-Paul Sartre dans sa retraite de Neauphle-le-Château. Les deux mentors de la gauche étaient rentrés à Paris en certifiant qu’il n’était nullement question d’instaurer une théocratie… Ils avaient même créé avec Beauvoir un comité de soutien au peuple iranien afin de déloger Mohammad Reza Pahlavi, le Shah sanguinaire.

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 Le 22 juin 1940, à la surprise des alliés, Philippe Pétain signe un armistice honteux avec Hitler. Celui-ci exige que la convention ait lieu dans la clairière de Rethondes, dans le wagon où fut signé l’Armistice de 1918. L’événement a fait l’objet de multiples commentaires et documents d’archives. Ce que l’on ignorait, c’est que les Allemands avaient placé des micros et que l’on vient seulement, par le plus grand des hasards (comme toujours en ces cas-là), de retrouver les enregistrements. On doit à Bruno Ledoux, producteur de cinéma et collectionneur, d’avoir été inspiré par une boîte à caractère officiel lors d’une vente aux enchères en Allemagne. Un apport inouï pour les historiens de la Seconde Guerre mondiale, et surtout une interrogation : plus de trois quarts de siècle se sont écoulés, de pareilles découvertes sont encore possibles. Que dire d’aujourd’hui, où l’image est partout, témoin de tout geste, de toute situation ?

Lundi 4 février

 Emmanuel Macron a beau se dépenser durant de longues heures de débats, il reste embourbé dans les manifestations des Gilets jaunes. Samedi, malgré une météo exécrable, la participation était à peine moins importante. Il faut surtout souligner la maturité naissante de ces manifestants-là. On perçoit un embryon d’organisation. Certains d’entre eux, les plus costauds, sont chargés de refouler les casseurs cagoulés qui s’immiscent dans leur cortège. D’autres s’occupent du service d’ordre. La main dans la main, ils encadrent leur défilé. Ces signes témoignent d’une volonté de poursuivre. Et cependant, vu du côté du pouvoir, l’extinction de cet emballement doit survenir le plus tôt possible. C’était leur douzième samedi de mobilisation. Il est évident que la série ne peut plus tellement s’allonger. On parle d’un référendum qui serait la botte secrète de Macron. C’est en effet une des trois grandes mesures dont il dispose, avec le changement de Premier ministre ainsi que la dissolution de l’Assemblée. On sait que l’élaboration d’un référendum repose sur la question qui sera posée, sujet ultrasensible. La date ne l’est pas moins. L’idée de le coupler avec les élections européennes du 26 mai serait très mal interprétée. Mais avant ou après ne serait pas plus judicieux. Bref, le président est embourbé.

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 Colette, le film américano – britannique écrit et réalisé par Wash Westermoreland, est présenté comme une œuvre biographique (un biopic, comme on dit aujourd’hui). C’est une imposture. L’histoire retrace la vie de l’écrivaine depuis la fin de son adolescence jusqu’à sa rupture avec Willy en 1906. Elle n’avait alors que 33 ans et la vie de Colette célèbre femme de lettres allait seulement vraiment commencer. Il eut été plus correct d’intituler ce film Gabrielle Colette ou Willy et Colette par exemple. Elle mourra en 1954, à 81 ans ; c’est dire que les spectateurs qui ne connaîtraient rien de cette illustre écrivaine risquent d’être abusés par une narration bien menée, aux décors et photos superbes, avec des acteurs honnêtes, mais centrée sur une très courte période. La formidable existence si riche de cette femme hors du commun reste à réaliser. Il faut espérer que ce film sera l’œuvre d’un français ou d’un belge, la Belgique ayant aussi été très présente dans sa vie. L’étonnante personnalité d’une maman (Sido), à la fin du 19e siècle, au cœur de la Bourgogne (Saint-Sauveur en Puisaye) féministe et athée, qui permit à sa fille de lire les grands classiques de la littérature dès son plus jeune âge pourrait ainsi déjà ne pas être oubliée, comme c’est hélas le cas ici.

Mardi 5 février

 On aurait faim dans les casernes vénézuéliennes. Fausse information ? On le saura bientôt. Car si c’est vrai, l’armée ne tardera pas à se détourner de Nicolás Maduro. Une armée sans pain est une armée sans respect.

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 Alexandre Loukachenko fut élu président de Biélorussie en 1994. Depuis lors, il fut réélu quatre fois. On ne peut donc pas le considérer comme un dictateur ; disons qu’il cultive une manière un peu particulière d’user du pouvoir personnel. Ce voisin convient parfaitement bien à Vladimir Poutine. Mais à 64 ans, le bon Alexandre commence à envisager une retraite dorée. Il est donc allé confier son dessein au maître du Kremlin. Son dessein à lui, Vladimir, c’est autant que possible de reconstituer l’ancien empire soviétique. La Biélorussie, 10 millions d’habitants mais 207.000 km², de longues frontières avec l’Union européenne (Pologne, Lituanie, Lettonie…) et de plus longues encore avec l’Ukraine… Ce serait une belle prise. On dit que la population biélorusse aimerait en majorité se retrouver dans le giron de Moscou. Hé ! Dans Biélorussie, il y a Russie, non ?

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 « Un problème se pose ? Pour le régler, faisons un référendum ! Á croire que le référendum permettra de relancer la croissance, créer des emplois, réformer l’école, supprimer les gaspillages, engager la baisse des dépenses publiques, réduire l’endettement du pays, remettre en état de marche un État obèse. On se pince. » Ainsi s’exprime Franz-Olivier Giesbert dans Le Point. Et il enchaîne : « La démocratie n’est pas un droit immuable mais un combat de tous les instants. » Et toc !

Mercredi 6 février

 Il existe, dans le quartier européen de Bruxelles (rue Archimède, 34), un très sympathique pub irlandais qui s’appelle Le James Joyce. Ce rendez-vous de la cordialité est une des plus belles preuves d’attachement irlandais à l’Union européenne. Le jeune Premier ministre Leo Varadkar sait qu’il peut compter sur Donald Tusk et Jean-Claude Juncker pour que la place de son pays soit assurée dans la négociation du Brexit. Le négociateur en chef de cette délicate opération, Michel Barnier, y veille également. Varadkar est venu chercher cette confirmation à l’heure où Theresa May se refuse à baisser les bras tandis qu’elle se débat désespérément au sein de l’embroussaillé dossier de la frontière de l’Irlande du Nord. En supposant que tous les députés de son parti la suivent unanimement, May a encore besoin des 10 parlementaires du parti unioniste démocrate d’Ulster. Autant dire qu’elle patauge dans la quadrature du cercle. Elle n’a plus qu’un seul atout : l’obstination. C’était aussi le cas de Winston Churchill.

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 Un rital new-yorkais dont la vulgarité laisse percer un racisme primaire finit par nouer une chaleureuse amitié avec un virtuose du piano, tantôt fragile, tantôt arrogant, d’une correction exemplaire malgré les intimidations, les injures, les bassesses qu’il subit dans les villes du Sud où la ségrégation fait partie de la vie ordinaire. Toutes les caractéristiques du road movie sont utilisées par Peter Farelly pour donner à son film (Green book) l’aspect authentique d’une histoire vécue, celle de Don Shirley (1927 – 2013) qui, en 1962, engagea Tony Vallelonga (Tony Lip), blanc, videur au bar Copacabana de New York, pour effectuer une tournée de deux mois dans le Sud des Etats-Unis afin d’atténuer, par son art, les sentiments racistes. Les Américains savent réaliser de belles œuvres cinématographiques, ils savent en user pour regarder leur passé bien en face. Pour de pures raisons de profits, ils expédient en Europe des daubes qui les décrédibilisent en les enrichissant. Green book n’est pas de celles-là. C’est un film admirable. Une comédie douce-amère qui bouscule, choque et même effraye en faisant rire. Rendez-vous aux Oscars.

Jeudi 7 février

 Luigi Di Maio, le vice-président du Conseil italien, vient sur les ronds-points de France exciter les Gilets jaunes tandis que le ministre de l’Intérieur, le vulgaire et bouillant Salvini, insulte publiquement Emmanuel Macron et souhaite son échec et son éviction. Cette immixtion d’un grand voisin et ami, co-fondateur de l’Union européenne, est insupportable. L’ambassadeur français de Rome est rappelé. En d’autres temps, la mobilisation militaire aurait été décrétée. L’Europe l’en préserve, mais ces rustres doivent recevoir une leçon de civisme plus que de diplomatie. Depuis huit décennies, le pays de Michel-Ange, de Galilée, de Botticelli, de Vivaldi, de Verdi et de tant d’autres merveilleux créateurs n’a donné au monde que Mussolini, Berlusconi et à présent de petits salauds qui se croient tout permis dans l’invective et la déraison. Pape François, toi qui habites près d’eux, corrige-les, donne-leur une bonne leçon ! C’est aussi ton devoir de voisin ! Ne te mêle pas de leur boulot mais apprends-leur au moins le respect et la politesse !

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  Dis-moi comment tu te déplaces et je te dirai qui tu es. Ah ! Si nos gouvernants visitaient la fiction à l’instar des plus illustres de leurs prédécesseurs, comme ils sentiraient l’évolution de leur temps ! Dans Les Amants de Louis Malle (1958) l’intello roule en 2 CV. Ce moyen de locomotion lui est naturel. On ne l’imagine pas piloter une grosse américaine, une Cadillac par exemple… Et pourtant ! Ce nom fut donné en hommage à un aventurier limousin qui fit prospérer Détroit, la capitale mondiale de l’automobile, ville aujourd’hui en faillite. Voilà pourquoi la Cadillac est une limousine. La Belle américaine (1961) de Robert Dhéry procurait des aventures émoustillantes chez un couple d’ouvriers. Leur limousine finira comme baraque de fortune où l’on vend des glaces. Un an plus tôt, les grosses cylindrées de l’oncle Sam qui boivent et reboivent des litres d’essence procuraient la douceur de vivre (La Dolce vita, Fellini, 1960) Dans Un homme et une femme (Lelouch, 1966) Jean-Louis Trintignant cavale en Ford Mustang pour retrouver Anouk Aimée. Ce n’est pas un intello, mais un Corniaud (Bourvil) qui se balade en 2 CV avant de visiter l’Italie dans une automobile de luxe, encore une Cadillac, décapotable de surcroît (Gérard Oury, 1965). Tout au long du demi-siècle qui suivit ces années fastes, il serait possible de baliser l’histoire des déplacements humains par le biais des longs métrages en tous genres. Et maintenant que le gasoil devient maudit, que la vitesse est de plus en plus limitée, contrôlée, sanctionnée, que les transports en commun sont présentés comme une solution de sauvegarde non pas pour la société conscientisée, mais carrément pour la planète, qu’est-ce qu’on propose à l’écran ? Rien que des moyens de se mouvoir. La voiture n’est plus la vedette d’une histoire. Elle n’apparaît à l’écran que comme support et sa marque, son origine ne sont plus mises en évidence. L’automobile-star a vécu. La dernière à être une héroïne des salles obscures fut la Volkswagen (la voiture du peuple), imaginée en 1938 par Adolf Hitler et inventée par Ferdinand Porsche, devenue Un amour de coccinelle (Robert Stevenson - première sortie en 1968). La coccinelle, que l’on appelle aussi bête à bon Dieu…

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