Et si c'était l'électeur le pourri ?

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
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Notre allégeance aux marques, aux partis et hommes providentiels a 200 ans

Au début du 19e Siècle, l’information s’est industrialisée pour devenir un bien de consommation et les grands magasins ouvraient leurs portes. Information et distribution sont les deux piliers constitutifs de la société de masse dans laquelle nous vivons en occident depuis plus de 200 ans. La presse, grâce aux guerres et autres crises dont elle rapportait et commentait les échos, deviendra aussi le support de nouveaux mythes dont celui de l’homme de la situation, du conquérant (la presse supportera l’« œuvre de colonisation »), du vainqueur sur le front, des grands inventeurs et des grands scientifiques. La presse sort de ces faits divers qui faisaient son audience avant d’être industrielle. Elle propage l’image des héros politiques, résistants, conquérants, industriels, inventeurs, les vainqueurs ! Même les reporters seront reconnus comme des héros. Je pense au célèbre journaliste Albert Londres. Des hommes admirables qui seront admirés. La presse plaisir qui évoque le plaisir des dames dans les grands magasins et la presse d’info véhiculent progressivement et massivement le mythe du « moi vainqueur », du « moi autosuffisant » qui va nourrir nos imaginaires et notre inconscient collectif  avec l’image de l’homme providentiel. La femme ne sera pas épargnée, comme le rappelle la série Mad Men. Une série qui peut être lue comme une critique du consumérisme. Dans cette série, Peggy Olson, secrétaire de Don Draper, patron d’agence de publicité américaine dans les années 50, demande à sa collègue, très jolie : « Franchement, pourquoi ici, à chaque fois qu’un homme vous invite à déjeuner, vous êtes le dessert ? » La série aurait pu s’appeler Sad Woman tant la femme, qu’elle soit au foyer ou au travail, se trouve dans un modèle de dépendance.  La domination masculine de l’époque réduit la femme à un être qui existe d’abord par et pour le regard des autres, c’est-à-dire un objet accueillant, attrayant, disponible. Il est convenu qu’elles soient féminines, ce qui signifie en conformité à l’attente de l’homme, ce héros dont elles gonflent l’égo. « L’homme regarde, la femme est regardée », écrit Nancy Houston (1) Péneloppe Fillon serait-elle un vestige de l'époque?
La production et la consommation de masse sont les enfants de cette double industrialisation, celle de l'information (y compris l'information commerciale) et de la distribution.

La crise de la démocratie que nous traversons, aussi. Ces années ont vu l’essor du capitalisme qui fait naître les marques et les labels. Marques et labels qui ne se limitent pas aux produits de consommation, mais aussi aux partis politiques et autres services publics. Et le public aime ça. Plus il vieillit, plus il devient fidèle à sa marque de prédilection. Nos populations étant de plus en plus vieilles, ce phénomène d’allégeance est d’autant plus fort. On ne fait pas boire une Stella à un amateur de Jupiler à Liège. Mais on est également socialiste de génération en génération.

Hélas, le citoyen consommateur se sent de plus en plus trahi. Tout le monde promet la même chose. Toutes les marques alimentaires se sont mises à offrir des omega3 ou du light ou du 2 en 1. Tous les partis se sont mi faire du social pour les libéraux et du libéral pour les sociaux. Du 2 en 1. Si ça marche dans le commerce pourquoi pas en politique. Ce qui apparaît aujourd’hui c’est que si les marques se banalisent, le consommateur, ça ne l’empêche pas de dormir. Il en va autrement des politiques. L’électeur juge les politiques en fonction de leurs couleurs. Valls trahit le socialisme. Macron n’est pas de gauche. le PS belge est un suppôt du capitalisme. Les verts jugent tous les partis puisqu’ils se mettent tous au vert. Et les débats idéologiques renaissent sur les réseaux sociaux entre plein de citoyens émetteurs d’opinions qui ne s’en privent pas. Et leurs opinions confondent les politiques.  Faut-il être de droite ou de gauche ? Et qui est le meilleur représentant de la gauche ? Macron, Mélenchon, Hamon, Valls ? Le PTB, le PS ?

Et si c’était l’électeur le pourri ?
Alors au lieu de se dire que tous les politiques sont pourris, je me demande si chaque électeur qui se précipite à émettre des opinions sur les réseaux sociaux ne doit pas se regarder dans la glace et s’interroger. De quel droit accepte-t-il qu’on lui demande d’être l’arbitre des idéologies en votant à une primaire de droite ou de gauche ? Quand et pourquoi se sent-il de gauche ou de droite ? De quel droit prétend-il que la démocratie est foutue ? Et surtout qu’a-t-il fait de sa liberté ? Parce qu’au-delà de tous ses défauts, les vertus de la démocratie ce sont la liberté et la possibilité, deux valeurs sacrées. La possibilité, ce n’est pas la croissance à tout prise, mais c’est la possibilité de changer, de s’adapter comme tout système naturel s’adapte à son environnement et suit les lois de l’évolution. Le contraire de la possibilité, c’est renoncer au changement. Et la liberté, c’est celle de choisir, mais aussi de penser et d’oser agir sur le naturel pour façonner un quotidien qui soit plus juste. Pas forcément meilleur, plus juste.

Je crois, pour ma part, que l’électeur doit fuir autant les partis qui demandent allégeance que ceux qui leur font allégeance. Il faut privilégier ceux qui croient à ces deux valeurs, la liberté et la possibilité et mettront tout en œuvre pour les préserver. Et dans ce contexte, il faudra parfois être libéral quand l’économie est en crise et bloquée, parfois être conservateur quand l’économie croît trop vite, se met à produire de l’inutile, parfois être socialiste quand le bien public est en danger (l’éducation, l’information, les soins de santé, la mobilité) et parfois même être un peu capitaliste quand les étincelles de l’innovation ne jaillissent plus. Bref, le citoyen doit sortir de son allégeance aux marques et aux partis. Les politiques sont des outils au service de deux valeurs sacrées : la liberté et la possibilité. Mais personne ne peut croire qu’un outil, un parti, une idéologie soient une fois pour toutes la solution. Cette allégeance est dangereuse et liberticide. C’est ce que je crois et partage.

 



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(1) Houston Nancy, Reflets dans un œil d’homme, Actes Sud, 2012

 

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