Débarquons à Calais

l’œil et l’oreille

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La nuit tombe sur Calais. Il n'y a plus que le phare et l'art qui brillent. Reportage photographique © Jr

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Au départ, c'est l'idée d'un haut fonctionnaire luxembourgeois, Claude Weber, qui tombe amoureux de Calais et qui s'y installe avec une ambition: rouvrir dans cette sous-préfecture maritime qui fait face à l'Angleterre une galerie d'art digne de ce nom, avec un programme international ambitieux qui n'est pas spécialement axé sur le Grand-Duché mais comme celui-ci recèle pas mal d'artistes de valeur, on en trouve à l'occasion, comme pour l'instant, avec Marie-Paule Schroeder.

Autant l'avouer tout de suite: comme je connais ces deux personnes, on peut imaginer que cet article est du spécial copinage, mais quand Joker fait du spécial copinage, c'est bien connu, lui dont les dents acérées déchiquettent ce qu'il n'aime pas, c'est qu'il y a un réel intérêt et un indéniable talent là-dedans. Le projet de Claude Weber recèle une part de mécénat et de pari un peu fou, ça m'a tout de suite plu. Et comme il ne fait pas les choses à moitié, ses artistes bénéficient d'un superbe catalogue - le maître des lieux est bibliophile autant qu'il aime la musique, la peinture ou la sculpture. Calais, tout le monde connaît son nom, beaucoup vont citer les bourgeois et même la sculpture de Rodin qui immortalise la scène de la remise des fameuses clefs face à l'hôtel de ville de style plutôt flamand. On y passe pour traverser la Manche par au-dessus ou par en dessous mais qui s'y arrête, à part les migrants qui regardent avec leurs yeux de misère l'horizon anglais, en face? Eh bien c'est une erreur, la ville en elle-même vaut bien le déplacement et d'ailleurs, la galerie, qui porte le nom gioco di parole de Caléidoscopes, est sise à deux pas de l'une des principales attractions du lieu, la tour du guet, un des rares vestiges séculaires qui a survécu aux ravages de la seconde guerre mondiale.

Donc c'est un pari fou mais les paris fous parfois réussissent, demandez à Jean-Louis Leclercq, qui tout artiste qu'il est lui aussi a toujours été persuadé depuis un demi-siècle qu'un jour, l'Union Saint-Gilloise redeviendrait un club de foot de haut niveau. L'art d'ailleurs en général relève du miracle. C'est la rencontre réussie entre une expression et une vision. Pourquoi aimer les acryliques de Marie-Paule Schroeder? Eh bien dans le catalogue - pourquoi diable se fatiguer à réécrire ce qui est bien dit? - il est dit ceci: "L'art de Marie-Paule Schroeder est une peinture des commencements. (...) Ce rayonnement qu'on imagine d'avant le début du Foutoir universel dans lequel nous sommes plongés, l'artiste le traduit par une pratique artistique où le choix des couleurs, des tonalités, le contrepoint des pigments appliqués par d'infinies couches successives, le souci de donner à la trace du pinceau l'angle que réclame l'ensemble, l'instant où l'oeuvre apparaît comme mûre et cohérente (...) sont autant de moments d'une subjectivité créatrice pleinement assurée." Et de citer Vladimir Jankélévitch qui parlait à propos de Gabriel Fauré de sublimation déréalisante du sensible. L'artiste ne dément pas cette analyse. Elle ne parle pas d'abstraction, sa peinture serait plutôt figurative mais d'espaces inconnus, à la limite du concret. "J'utiliserais le mot limbes. Je n'aime pas trop l'expression paysagisme abstrait. Le monde que je peins est imaginaire, peut-être le rêve du bébé avant qu'il n'ait acquis le langage. Si j'ai choisi la peinture plutôt que l'écriture pour m'exprimer, ce n'est pas par hasard, les mots sont chargés de connotations dès le départ et restreignent le champ des possibles, je ne donne que rarement des titres à mes toiles."

Alors le rêve du bébé, d'accord, mais aussi le résultat d'un épurement. Au fil des expositions nombreuses de cette artiste, on constate que le bavardage des couleurs est sacrifié au profit des murmures de la nuance. Marie-Paule Schroeder ne peint pas des oeuvres encombrées. Si on lui demande en insistant quels parcours elle apprécie chez d'autres artistes, elle finira par citer presque à contre-coeur le Monet des Nymphéas ou Rothko. Deux peintres qui se sont dirigés vers le toujours plus simple - mais certainement pas vers la monotonie ou l'ennui.

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Galerie Caléidoscopes, 32, rue de la Paix, F-62100 Calais, jusqu'au 12 mai (fermé les lundis et mardis)

(Le samedi 13 avril, en présence de l'artiste, un concert de Frédéric Gregson, percussionniste, en dialogue avec les toiles)

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