De quoi la radicalisation est-elle le nom ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Exemple de contre-propagande française diffusée sur le net : http://www.dailymotion.com/video/x2fpywn_stopdjihadisme-ils-te-disent_news

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Voici une interrogation fondamentale autour d’un concept très ambigu utilisé politiquement pour ne pas affronter les véritables causes de la violence.

Rik Coolsaet, professeur émérite à l’Université de Gand, ne pratique pas la langue de bois et heureusement pour tous ceux qui veulent comprendre les ressorts d’une politique de « déradicalisation » qui semble inefficace. Cela fait longtemps que l’on s’interroge un peu partout dans le monde sur le phénomène de l’ « extrémisme violent ». En Europe, rappelle Rik Coolsaet, les terroristes basques ou ceux des CCC n’étaient pas considérés comme des « radicalisés » mais on essayait de comprendre le contexte et les motivations du recours au terrorisme. Les Européens qui connaissent des guerres incessantes et des actes de terrorisme tout au long de leur histoire savent bien que, tant que les causes profondes ne sont pas élucidées, le terrorisme continuera. 

L’approche est tout autre aux Etats Unis qui voient dans le commando d’Al-Qaïda ayant perpétré les attentats du 11 septembre 2001 contre le WTC à New York une attaque sur leur propre sol, ce qu’ils n’avaient jamais connus, venant d’un ennemi extérieur qu’il suffit de neutraliser pour résoudre le problème.

Ecarter les causes profondes

Cette notion de l’ennemi extérieur a basculé en mars 2004 avec les attentats terroristes à la gare d’Atocha à Madrid commis par des hispano-marocains, l’assassinat du réalisateur Théo van Gogh à Amsterdam par un hollando-marocain, membre du réseau Hofstad composé de jeunes néerlandais d’origine maghrébine, puis les attentats à Londres en 2005 commis par des natifs du pays. « Comment expliquer que ces gens se tournent vers l’action violente dont sont victimes leurs propres concitoyens ? », interroge Rik Coolsaet. Plutôt que de désigner des causes profondes de ce passage à l’acte terroriste, les experts européens ont immédiatement lancé le terme de « radicalisation » qui met moins en cause la cohésion sociale européenne.

« Il y a donc deux lectures de cette colère débouchant sur la violence. Si l’on considère les causes profondes, on constate qu’il s’agit du résultat des conflits régionaux au proche et au moyen orient, du double standard de l’Occident qui protège Israël et attaque des pays musulmans, d’un enseignement intégriste de type madrasa, etc.

La deuxième clef de lecture provient des services de renseignement, surtout hollandais, qui pointent l’idéologie ou la religion utilisés par des recruteurs sur des jeunes vulnérables. »

En utilisant le mot « radicalisme »  (définition : attitude d'esprit et doctrine de ceux qui veulent une rupture complète avec le passé institutionnel) de manière négative, les autorités européennes nient l’aspect parfaitement légal de positions radicales qui peuvent s’inscrire dans le débat démocratique, et privilégient l’option religieuse ou idéologique. La vraie définition de ce type de violence est, selon Rik Coolsaet, « socialisation dans l’extrémisme qui se manifeste dans le terrorisme ». « Ce qui n’a rien de typiquement islamiste et qui convient pour décrire les actions de mouvements extrémistes de droite et de gauche, des djihadistes comme des anarchistes du 19ème s. Ces trajectoires menant à la violence se produisent dans certains contextes, dans un environnement qui permet cette socialisation. Il s’agit donc d’un processus complexe, différent pour chacun », constate Rik Coolsaet. « Un programme de « déradicalisation » est donc impossible puisqu’il faut des approches individualisées. »

Le fourre-tout de la « radicalisation »

Mais ces nuances déclinées brillamment dans un rapport d’experts ont été écartées au profit  d’un concept présentant une force d’attraction sociétale, politique et administrative, celui de « radicalisation », bien plus médiatique.

Ainsi, l’inquiétude de la société par rapport aux réfugiés a été mixée avec celle de terrorisme. La radicalisation est une notion fourre-tout dans laquelle ont place la barbe, le foulard, la burqa, le discours religieux… « Ainsi, on décontextualise la radicalisation, alors que celle-ci naît dans la vie de tous les jours, dans un contexte qui explique le terrorisme et les motivations des terroristes. On mène un combat d’idées (contre le salafisme) alors qu’il faut identifier les conditions politiques, économiques et culturelles qui rendent ce discours attractif auprès de certains. Il faut expliquer pourquoi 44% des « djihadistes » viennent de Bruxelles, autant de Flandre et seulement 12% de Wallonie ? Pourquoi les profils des jeunes terroristes sont similaires en Flandre et en Hollande mais différents en Grande-Bretagne ? Pourquoi le phénomène touche les familles belgo-marocaines et pas belgo-turques ? Ne pas tenter de comprendre cela pourrait causer beaucoup de torts. »

Parmi les jeunes Belges partis pour rejoindre Daesh, une grande majorité étaient connus pour des violences dans les quartiers, pour de la petite criminalité. Pour eux, Daesh représente le super gang. Pour la minorité, il s’agit surtout de la conséquence de drames familiaux, d’adolescents en difficultés avec leurs parents et amis à qui l’Etat islamique promet une autre vie et, pour les jeunes filles, l’attirance vers de « beaux mecs » !

« Tous baignent dans une subculture du « no future » : je n’ai rien à perdre ici  et tout à gagner en passant de l’autre côté de l’acceptable. C’est passer du zéro à héros », insiste Rik Coolsaet. 

Face à cela, comment réagissent les partis politiques belges ? « Selon eux, la société n’est pas responsable de la radicalisation, il s’agit d’idées importées par des migrants marocains… « Mais alors, quand est-ce qu’on arrête d’être allochtones ? A la troisième, quatrième, vingtième génération de Belges ?  C’est ainsi qu’on stigmatise notre jeunesse », insiste Rik Coolsaet. « Ma place n’est plus ici, pensent ces jeunes. Daesh, plus qu’Al-Qaïda, leur offre un catalogue de solutions répondant à leurs motivations : respect, avenir, copains, participation à un mouvement historique : tu pourras t’éclater ici alors que tu es un minable dans ton pays. Daesh est un territoire où tout est possible tout de suite, même en simplement se connectant à internet. C’est cela l’habileté diabolique de ces gens qui exploitent les lignes de fracture de notre société. Et quand Daesh sera abattu, les fissures de la société belge seront toujours présentes ainsi que le faisceau de frustration de ces jeunes. C’est à cela qu’il nous faut donner une réponse. »  

Affect Liberties

Cette conférence de Rik Coolsaet s’inscrit dans une recherche universitaire interdisciplinaire qui entend allier les universitaires et les citoyens afin d’alimenter le débat politique sur les conséquences sociétales des luttes contre la radicalisation, explique Fabienne Brion, professeur en criminologie à l’UCL. « En abandonnant les causes sociales, les colères, les frustrations, les désirs de justice peuvent être interprétés comme des indices de dangerosité, dit-elle. On appliquera des politiques de surveillance et de répression en ciblant les groupes qui expriment leur colère. Avec la surveillance des réseaux sociaux, notamment, on agit même avant le passage à l’acte, ce qui met à mal la politique pénale libérale. De plus, en demandant aux acteurs sociaux de repérer des indices de radicalisation, on pervertit la relation pédagogique et d’aide. Contre-manipulation et surveillance : qu’est-ce qui cloche dans la fabrique sociale ? », interroge-t-elle.

Rik Coolsaet, en conclusion du débat : « Il nous faut une approche sociétale, locale où le sécuritaire ne prend qu’une petite part. Une approche pragmatique, individuelle car ces jeunes ont leur place ici. « Ce sont des victimes qui font des victimes, disent des mamans de « terroristes ». « Ils sont responsables de ce qu’ils font et doivent être punis », ajoutent-elles. Plutôt que de les « déradicaliser », ce qui est impossible à faire, il faut les amener à renoncer à l’action violente, sans pour autant les obliger à renoncer à leurs convictions. Cela pourra leur donner confiance et leur ouvrir des perspectives positives. « Ce qu’il faut « déradicaliser », c’est la politique ! », lance-t-il en boutade.

http://affectliberties.com/

Un exemple d'ultra-violence dans un groupe d'extrême-droite français:

http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/03/29/devant-le-tribunal-d-amiens-l-ultraviolence-sous-le-vernis-ideologique_5102252_1653578.html

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