De la peste au corona : à vos souhaits !

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille), tableau de Michel Serre (musée Atger, Montpellier).

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Lecture 8 min.

Savez-vous que l’expression « à vos souhaits » et celle de « Dieu vous bénisse ! » lorsque quelqu’un éternue nous provient des grandes épidémies de peste qui ont ravagé l’Eurasie au cours des siècles. Eternuer était un signe de cette infection qu’on ne comprenait pas, que l’on ne pouvait guérir et qui fauchait impitoyablement une majorité de la population, hommes, femme, enfants, jeunes et vieux. Personne n’était épargné, on ne pouvait que se confier à Dieu.

Les épidémies dans notre histoire

Depuis son apparition sur terre, l’humanité a été confrontée à des germes, bacilles, microbes, virus plus ou moins meurtriers, transportés par l’eau, des insectes, des animaux avec lesquels Sapiens avait créé une proximité vitale : en les chassant, en les élevant, en cultivant. Ces contacts ont modelé les réponses immunitaires des populations humaines, au prix d’un nombre incalculable de morts. Parce que l’humain est un être de culture, ce qui compense son immense faiblesse face aux périls de la nature, il a développé toutes sortes de stratégies de protections, de traitements, d’évitements des épidémies tout en progressant dans la compréhension de ces grands fléaux de notre histoire.

 La grande victoire de l’humanité a été sans conteste la découverte de la vaccination qui permit d’opposer une réponse immunitaire aux vecteurs de maladies mortelles. De plus, la mise au point de médicaments de synthèse servit à soigner à bas prix des millions de malades et notamment les victimes du paludisme qui sévit encore dans trop de régions pauvres du monde. Car les inégalités de développement économique et social des populations sont elles aussi la cause de la perpétuation de maladies mortelles comme la malaria, le choléra, la lèpre. La mondialisation des épidémies, qui a commencé avant même la conquête criminelle de l’Amérique latine par les Espagnols, s’est poursuivie avec toutes les colonisations, la traite des esclaves, les échanges commerciaux. Elle s’est amplifiée avec le développement des moyens de transports intercontinentaux accessibles à un plus grand nombre d’humains, vecteurs souvent inconscients des maladies anciennes et d’autres encore inconnues.

La pandémie de COVID-19 et ses variantes est la suite prévisible de cette longue histoire. Cette histoire tragique et fascinante est très bien racontée par le scientifique Jacques Ruffié et le spécialiste en histoire de la médecine qu’est Jean-Charles Sournia dans leur livre « Les épidémies dans l’histoire de l’homme. De la Peste au Sida. »

La deuxième édition de ce livre date de 1995, les épidémie corona ne s’y trouvent pas encore mais les auteurs prédisaient déjà, sur base des interactions entre l’humain et son écosystème, la diffusion de maladies mortelles encore inconnues.

Ils racontent les réactions des populations terrorisées par ces fléaux dont elles ignorent le pourquoi et le comment. Les paniques, les enfermements jusqu’à ce que mort s’ensuive, les pillages, les fêtes et débauches du désespoir, les refus d’obéir aux quarantaines pour des motifs lucratifs. Ainsi, lors de la dernière flambée de la peste à Marseille en 1720, des passagers et des marchandises, dont des produits orientaux interdits, débarquent d’un navire infesté, malgré la quarantaine. En quelques jours, on en est à plus de mille morts par jour, les infirmeries sont débordées, les charniers s’accumulent… En six mois, Marseille et ses environs ont perdu plus de trente mille habitants alors que les mesures de préventions étaient connues depuis 1348, date des grandes pestes européennes.  Les autorités publiques ne se sont pas donné les moyens de faire respecter les lois, les habitants refusaient ces entraves au commerce et à leur liberté de circulation et refusaient de craindre la contagion… On retrouve ce type de déni dans les réactions de certains, heureusement minoritaires, qui n’hésitent pas à mettre en danger la vie d’autrui. Heureusement, les moyens d’existence sont bien plus protégés aujourd’hui que lors des siècles précédents.

C’est à partir de la fin du XIXe siècle, après les découvertes de Pacini et de Pasteur sur le bacille de la peste, que se tinrent des conférences internationales pour aménager les règles de quarantaine entre certains pays à propos de la peste, du choléra et un peu moins de la fièvre jaune. Rapidement, il apparut nécessaire de créer des organismes permanents. E 1839 fut établi à Constantinople un Conseil supérieur de la santé géré par les Ottomans avec l’aide des puissances occidentales. Il était aidé par le Conseil sanitaire de Tanger en 1840 puis par le Conseil quarantenaire d’Egypte en 1843 et devint ainsi un bureau d’information pour tout le bassin méditerranéen. A partir de 1902, un Bureau sanitaire panaméricains se consacra surtout à la fièvre jaune. Tous travaillaient en ordre dispersé jusqu’à l’ouverture, en 1910, de l’Office international d’hygiène publique. Il devint « un observatoire mondial des grandes maladies épidémiques et forma le noyau de ce qui devait être la section sanitaire de la Société des Nations pendant l’entre-deux-guerres, puis l’Organisation Mondiale de la santé après 1945 », expliquent Ruffié et Sournia.

Il est regrettable de constater combien le rôle essentiel de l’OMS a été critiqué notamment par les Etats-Unis lors du déclenchement de l’épidémie de la COVID-19 et que des sursauts souverainistes aient entravé la nécessaire mobilisation mondiale contre cette pandémie. Le « chacun pour soi » est une réaction contraire au sens de l’histoire de l’humanité.  

Priorité à la santé publique

Ayant lu cela, nous comprenons mieux la situation actuelle, qui était prévue, annoncée par des scientifiques du monde entier. Leurs voix n’ont pas été entendues par le monde politique et économique qui a privilégié une mondialisation néolibérale basée sur l’exploitation sauvage des ressources naturelles et humaines. « Après moi le déluge… », autre maxime qui résume fort bien certaines dérives de notre culture humaine, pourrait s’énoncer ainsi : « après la peste, le choléra, le corona… » si la réaction mondiale se cantonnait uniquement à des stratégies de vaccination. C’est toute la politique de santé publique qui est à présent questionnée.

 En Belgique, nous approchons des 20.000 morts depuis le début constaté de la pandémie, soit mars 2020. 18.697 exactement le 22 décembre. Un chiffre à la fois énorme et faible par rapport à la dangerosité du virus COVID-19.

Enorme car on aurait pu diminuer ce macabre bilan si nos dispositifs de santé publique avaient été mis à jour en fonction des travaux des épidémiologistes et autres scientifiques spécialistes des pandémies qui avaient prévus l’apparition de pandémies de ce type et précisé les méthodes pour y faire face. Malheureusement, les pouvoirs publics des pays occidentaux ont fermé les yeux sur ces avertissements et n’ont pas voulu investir dans une médecine préventive, dans l’information des populations, dans l’équipement adapté des structures de soins.

Faible parce que, malgré tout, nos pays bénéficient d’un système de santé de pointe, de personnel soignant très bien formé, d’infrastructures nombreuses ce qui a permis de contenir plus ou moins la pandémie tout en mobilisant les citoyens dans des opérations de confinement, déconfinement, des mesures de précautions hygiéniques et de déplacements limités, qui ont été mises en place vaille que vaille et parfois de manière chaotique.

Et surtout, dans le monde entier se sont constituées des chaînes d’information entre scientifiques ce qui a abouti à l’expérimentation contrôlée de médicaments et de techniques de ventilation pour venir en aide et sauver une partie des plus grands malades. Parallèlement, d’autres réseaux de scientifiques mettaient au point des vaccins, en un temps record grâce à cette collaboration mondiale.

On aurait aimé plus de gouvernance mondiale, moins de compétitions entre grandes entreprises pharmaceutiques, la création de filières d’approvisionnement en médicaments peu coûteuses pour les populations les plus pauvres… Il s’agit là d’un combat politique qui doit être amplifié au plus vite. Celui de la solidarité humaine. Le débat actuel sur la vaccination est l’occasion de rappeler que notre liberté individuelle dépend de notre solidarité collective : le refus de la vaccination peut entraîner la mort d‘autres personnes. Nous sommes interdépendants, entre humains et avec la nature environnante, qu’on le veuille ou non. A nous de mettre en œuvre les mesures indispensables afin d’éviter de nouveaux désastres épidémiologiques, hélas très prévisibles.

  • Ruffié. Sournia. « Les épidémies dans l’histoire de l’homme ». Coll. Champs. Ed. Flammarion. 1995.
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