Ben Bella : les larmes du moudjahid

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Par | Journaliste |
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Aminata Traoré lors de la commémoration du centième anniversaire de la naissance d’Ahmed Ben Bella à Tlemcen en Algérie. © Photo Gabrielle Lefèvre

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Ils sont des dizaines d’anciens de la guerre d’Algérie, réunis au centre culturel de Tlemcen, portant le poids des ans et des souvenirs : ces images de révolution, de combats dans les collines, les villages, les forêts. Et surtout, ces souvenirs atroces de massacres de civils et d’exécutions de combattants par les troupes françaises. (1) Au centre de toutes ces images et de ces émouvantes évocations des drames et des victoires, le sourire doux et le regard attentif d’Ahmed Ben Bella dont l’Algérie commémore le centenaire de la naissance, à Maghnia, près de Tlemcen en Oranie.

Ce révolutionnaire, « étoile de la libération de l’Algérie, dans le ciel de l’Afrique »,  ainsi que l’évoquait un des orateurs, « vient d’une zone rurale, il est né du peuple et devint un opposant à la colonisation française ». Plus tard, premier président de la République algérienne démocratique et populaire, Ahmed Ben Bella accueilli « les révolutionnaires du monde entier en lutte contre les colonialismes mais a défendu aussi la paix et le dialogue entre les nations et marqua sans cesse son opposition au racisme. » Un résumé d’histoire qui fut décliné ensuite par divers orateurs, retraçant ainsi  la vie du premier président d’un pays dont il a conquis l’indépendance par la force des armes et  qui fut renversé par un coup d’Etat de militaires algériens, emprisonné d’abord puis exilé en Suisse. Il est revenu en Algérie en 1990 pour se consacrer aux causes de la Palestine, de l’Irak, de l’altermondialisme, du panarabisme, notamment.

Un film est diffusé, images d’archives alternant avec des témoignages pleins d’émotions de survivants de cette période tragique. A mes côté, un vieux renifle doucement, efface de ses mains les larmes qui coulent discrètement sur son visage, soupire à l’unisson d’autres qui se reconnaissent et partagent ainsi, dans le chagrin, leurs souvenirs des peurs, des blessures, des violences qu’ils ont subies ou qu’ils ont accomplies parce qu’ils n’avaient pas le choix. C’était la révolution, le combat pour l’indépendance, pour la fierté d’un peuple colonisé et sauvagement réprimé par l’armée française.

Les Algériens se réconcilient ainsi avec leur histoire : en la soumettant aux historiens qui recueillent les témoignages des combattants de l’époque et ceux des soutiens étrangers qui aidaient avec l’argent et avec les armes le Front national de Libération (FLN).

Une vision pan africaine

Se dessine alors la trame historique de la vision politique de Ben Bella, leader révolutionnaire, émancipateur des nationalismes africains dans une vision pan africaine du développement basé sur la justice et le droit des peuples. Et les orateurs évoquent ces grands personnages qui ont transformé l’histoire africaine, avec, entre autres, l’aide de Ben Bella : Nelson Mandela en Afrique du Sud qui a dit « c’est l’Algérie qui a fait de moi un homme » ; Amilcar Cabral du Cap vert et Guinée Bissau  qui surnomma Alger « la Mecque des mouvements de libération » ; Agostinho Neto d’Angola, Samora Machel du Mozambique…

« Aider les amis qui soutiennent la liberté est un devoir sacré, disait Ben Bella, un des pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine en 1963 instaurée par l’empereur Haïlé Sélassié  d’Ethiopie. 44 ans après, Ben Bella a été nommé au Comité des Sages de l’Union africaine, mais il disait : « je ne suis pas un sage, je suis un révolutionnaire. L’Afrique doit s’imposer dans un monde en transformation ».

Aminata Traoré : une guerre froide pas finie

Une parole plus que jamais d’actualité, ainsi que le rappela l’ancienne ministre de la culture et du tourisme malien, Aminata Traoré qui a connu Ben Bella lors du Forum social africain à Bamako et à Porto Alegre, notamment. « J’en garde le souvenir d’un père spirituel, mon combat a un sens dans ce monde injuste et violent où l’Afrique souffre particulièrement. A Bamako, il m’a conforté dans le combat contre le colonialisme et la droitisation du monde. Trump et la droite dure gagnent. La xénophobie et le racisme montent en force, en France. Je suis inquiète en tant que femme, de l’avenir de ce continent que des enfants, des familles fuient par milliers à cause du radicalisme alors qu’ils devraient pouvoir y vivre dignement. » Et, poursuit-elle : « La militarisation de la planète, les guerres de convoitises imposées à nos pays sont le signe d’une guerre froide pas finie. Je suis une femme blessée, meurtrie par les discours mensongers sur ce continent qui, pourtant, n’a pas démérité. Il nous faut décoloniser les mentalités, croire en nous dans un continent qui doit s’unir. », conclut Aminata Traoré.

Pierre Galand : un internationalisme de paix et de solidarité

Evoquant les réseaux qui, un peu partout apportaient de l’aide à la révolution algérienne, Pierre Galand, ancien secrétaire général d’Oxfam qui avait apporté son soutien à de nombres luttes de décolonisation et pour l’indépendance, ajouta : « c’était un combat pour ce qui était juste, le droit des peuples à leur autodétermination. Imaginer l’internationalisme, c’est ce que Ben Bella a apporté à l’humanité », dit-il en évoquant la première conférence des économistes du Tiers Monde à Alger, où se trouvaient Fidel Castro, des représentants des pays non  alignés… « Ben Bella, c’est le résistant que l’on appelait terroriste comme, à présent, on nomme les résistants palestiniens. Seules les idées donnent une valeur à l’action militaire. »

Pour ce pacifiste militant, c’est la coopération Nord/sud qu’il faut opposer à l’idéologie de la violence et de l’affrontement, ce sont les valeurs humanistes qui peuvent combattre la mondialisation sauvage. « Notre tâche est de nous libérer des lois du marché, ce qui est en marche dans le mouvement altermondialiste. Il nous faut créer un Front de libération international par la paix, le pluralisme, la solidarité. Dans notre monde fracturé, il nous faut reconstruire un projet pour la société, pour ces jeunes Africains qui ne devraient plus trouver la mort dans la Méditerranée, devenue le plus grand cimetière du monde. Cette hécatombe est un crime contre l’humanité. Or, à présent, c’est l’OTAN qui remplace le Conseil de sécurité des Nations Unies. Notre obligation consiste à nous mobiliser comme nous l’avons fait contre la guerre du Vietnam et contre l’apartheid en Afrique du Sud. Les droits de deux peuples à leur autodétermination ne sont toujours pas respectés : celui des Palestiniens occupés par Israël, celui des Sahraouis occupés par le Maroc. (2) Il en va de l’avenir de notre vie en commun. »

 Ahmed Ben Bella, « sage » de l’Union africaine, avait soutenu ces deux causes.

  1. : « 1.500.000 martyrs tombés, dans l’honneur », précise un orateur (les historiens, eux, parlent de près de 400.000 morts algériens, des combattants et surtout des civils.
  2.  Ben Bella est né en Algérie, de père et de mère marocains, souligne-t-il lui-même. Sa vision du panarabisme a échoué précisément sur les relations conflictuelles entre l’Algérie et le Maroc à cause de l’incertaine délimitation des frontières entre ces deux pays au temps du colonisateur français et ensuite, avec la découverte de richesses minières importantes convoitées par le Maroc. Après des épisodes de guerre entre l’Algérie et le Maroc, en 1963, le conflit se perpétue en sourdine à propos du statut du Sahara occidental, occupé illégalement par le Maroc.
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Pour en savoir plus sur la pensée d’Ahmed Ben Bella, lire son interview datant de 2006 :

http://www.silviacattori.net/spip.php?article3082

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