Ah, Carola !

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Carola Rackete et Magid Magid à Bruxelles. Photo Françoise Nice.

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La salle était pleine de jeunes, surtout des femmes, à peine quelques têtes grises. On y parlait toutes les langues de l’Union européenne. Une diversité qui se réunissait sur le thème : « L’Europe forteresse tue ». Et voilà Carola, fine, souriante, sereine, arborant un immense chignon de cheveux noués ce qui lui donne une allure de reine. Néfertiti, par exemple. Une allure de capitaine aussi, ferme et souriante à la fois, discrète et terriblement présente.


Photo Jean-Frédéric Hanssens

Carola Rackete est devenue le symbole contemporain de l’activisme sérieux, réfléchi, souriant et inébranlable en faveur des droits humains. Avec simplicité et réalisme, elle explique qu’elle n’a fait que respecter le droit international maritime en recueillant, sur son Sea-Watch 3, des migrants en perdition sur la mer Méditerranée. Et que ce droit prime sur les autres et même le droit national doit s’incliner devant lui. Donc, Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien de l’époque, ne pouvait que pérorer et inonder les réseaux sociaux de son fiel, il devait s’incliner devant ce devoir de sauver des humains menacés de mort et de les amener sur la terre ferme. Ce qu’elle fit en accostant à Lampedusa, après une longue attente avec 42 personnes sauvées à son bord. Elle fut arrêtée mais la justice ne pouvait que la libérer.

« J’ai seulement voulu sauver des êtres humains. Je ne pensais pas aux conséquences de cet acte. La priorité était la vie de ces gens au moment où je prenais la décision. J’ai juste fait mon devoir, je devais le faire. », explique-t-elle.

Que faisait l’Union européenne pendant ce temps, à part discourir sur ses valeurs ? Elle fermait ses frontières, elle érigeait des barbelés, elle arrêtait les opérations de sauvetage et interdit encore et toujours aux navires de sauvetage de remplir leur mission, décrit-elle. Ce qui fait que des migrants se noient en mer, observés par les avions autorisés à surveiller les zones de passage. Et des migrants sont rejetés vers les côtes libyennes par des garde-côtes libyens équipés et payés par l’Union européenne. Des migrants dont on connaît pourtant le sort effroyable qui les attend en Libye.

Et surtout, ce que souligne Carola, c’est le danger de cette déshumanisation croissante dans nos pays, elle devient « normale », elle alimente le racisme ambiant.

« Est-ce qu’on réalise vraiment ce qu’il se passe ? », demande-t-elle. « Beaucoup de gens travaillent, se mobilisent pour les réfugiés, les migrants, mais il leur semble que rien ne change au point de vue social. » Or, en effet, il s’agit à présent de lier les questions humanitaires aux questions climatiques. Il faut une nécessaire convergence des luttes. « Le système économique accroît massivement la pauvreté. Cela provoque la lutte pour la survie dans le monde entier. Les migrants sont-ils juste des migrants économiques ? Ils fuient les inégalités mondiales. Et nous aussi nous sommes responsables et même complices car nous avons failli à trouver des solutions à ce problème. » Et d’évoquer la militarisation croissante de l’Europe.

Humour magique de Magid Magid !

Une Europe dont la politique est détaillée de manière très critique mais avec humour et grands sourires par Magid Magid, deuxième invité de cette soirée enthousiasmante. Un phénomène très applaudi par la salle, et pour cause, ce jeune homme arborant casquette jaune et vêtements genre rappeur est un réfugié somalien en Grande Bretagne, devenu Lord-maire de Sheffield l’année passée puis parlementaire européen lors des dernières élections. Il représente le Parti vert de l’Angleterre et du Pays de Galles. Il représente surtout la politique telle qu’on voudrait qu’elle soit : dynamique, participative, directe car « tout le monde peut agir selon ses capacités », voyez « Extinction Rebellion » mais attention, il vaut mieux utiliser la non-violence car les Etats disposent de bien plus de moyens violents pour riposter !

D’après les questions de la salle, la radicalité de ce mouvement écologiste et son usage de la désobéissance civile plaisent aux jeunes activistes pressés par l’imminence du désastre climatique et par les atteintes odieuses aux droits humains un peu partout dans le monde. Les beaux discours sur les « valeurs » européennes irritent, on préfère une sorte de « guerre culturelle », dixit Magid Magid, afin de convaincre les gens.

Et il faut connecter tous les combats, insiste Carola, mettre ces débats sous les projecteurs des médias… qui n’avaient pas été invités à cette soirée débat. Sauf nous, parce que non traditionnels. Parce que ces activistes newlooks ne veulent pas d’une émotion factice et passagère, ils veulent « éclairer les débats », un nouveau narratif sur des actions réelles et possibles, sans naïveté.

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Mercredi soir, ils se préparaient pour une autre forme très traditionnelle mais très concrète d’action directe : une manifestation devant le Parlement européen.


Photo Jean-Frédéric Hanssens

 

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