A livre ouvert

On ignore pourquoi, peut-être la surutilisation des réseaux sociaux et des émissions télé où tout le monde déballe sa vie privée mais un matin il fut possible pour chaque individu de lire les pensées dans le cerveau des autres. L’horreur, plus d’intimité aucune. La boîte crânienne restait solidement soudée mais on pouvait lire les pensées de son prochain comme dans un livre ouvert. Il suffisait de se poster derrière quelqu’un et de lire. Les humains qui ne pensaient qu’au sexe ou à l’argent apprirent des poèmes par cœur pour masquer leur perversion : « Putain !Quels nichons elle a cette nana, je me la ferais bien ! J’ai trois cent mille euros sur mon compte mais pour être à l’aise, il m’en faudrait le double», devint un poème de Verlaine des plus pudiques et des plus dansants. Les pédophiles remplacèrent leurs pensées nauséabondes par des textes de Maurice Carême. Les racistes ne remplacèrent rien, trop contents qu’on fouille et qu’on découvre leurs idées à vomir. Il y eut une baisse importante du nombre de téléspectateurs et de la vente de livres. Pourquoi regarder un détective américain résoudre des crimes alors qu’on peut découvrir les pensées de son voisin ? Pourquoi lire les réflexions imbéciles du Prince Harry ou d’un autre ? Beaucoup de couples se déchirèrent parce qu’un homme ou une femme apparaissait soudainement dans la tête d’un amant pendant le coït . Il y eut plus d’intérêt pour les autres mais cet intérêt était dicté par une curiosité malsaine. Il n’y eut pas que des conséquences négatives. Des enfants découvrirent le visage de leur grand-mère qu’ils n’avaient pas connue simplement parce que leur grand-père y songeait avec mélancolie. D’autres découvrirent des images de sexe et de guerre parce que des vieux n’avaient connu que cela dans leur vie. Et moi ? Moi, je plonge ma tête dans le sable comme une autruche parce que je ne veux rien savoir de votre vie privée et je veux vous empêcher de découvrir la mienne.