La Belgique, un petit pays autoproclamé

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Ce paysage identique va du Luxembourg à l'Allemagne. En tournant la tête à droite, on apercevrait la France. Photo © Jean Rebuffat

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Il est décidément très difficile de raisonner hors de la notion de frontière. Telle est la leçon inattendue – et invisible jusqu'ici – d'un sondage réalisé en Belgique la semaine dernière et publié au début de cette semaine-ci. Une écrasante majorité de Belges dénoncent la prolifération des ministres de la santé et veulent qu'on en revienne à un seul ministre, ce qui revient à refédéraliser la santé.

Soit. On peut comprendre le souci d'efficacité qui sous-tend cette position. Cependant, la part régionalisée, en termes de budget, n'atteint pas les 10%. Les ministres de la santé ayant des compétences dans les entités fédérées ont donc des compétences résiduelles, ce qui est confirmé par le fait qu'ils exercent bien d'autres compétences. On trouve, à titre de comparaison, un ministre de la Région bruxelloise qui a la chasse et l'agriculture dans ses compétences. La fédéralisation, en Belgique, c'est une déjacobinisation. D'ordinaire, des états, cantons, etc., se fédèrent pour former un état plus grand. On peut donc soutenir sans caricaturer qu'en réalité, il n'y a en Belgique qu'une véritable ministre de la santé, Maggie De Block. La question de tout reconfiner au niveau fédéral est certes intéressante mais c'est un autre débat. Il part du principe que la Belgique, le lit-on et l'entend-on partout, est un petit pays. C'est surtout un petit pays autoproclamé. Dans l'Union européenne, il y a 27 pays. Combien, pensez-vous, sont-ils plus peuplés que la Belgique? Sept. Juste après les Pays-Bas, septièmes. Cela veut donc dire qu'il y a 19 pays membres de l'Union européenne qui sont moins peuplés que la Belgique, fait que la plupart des Belges ignorent de toute évidence en entonnant l'antienne du petit pays qu'on ne peut donc pas couper. Il est vrai qu'en superficie, la Belgique est petite: 23ème sur 27. Mais avec la troisième densité de population, toujours juste derrière les Pays-Bas et devant le Luxembourg, le champion étant Malte.

On est dès lors en droit de se demander si la formulation de la question posée ne cache pas, volontairement ou involontairement, une bonne petite dose de belgicanisme? Ne crions pas au complot: cette croyance du petit pays est très prégnante. Chercher dans sa lasagne institutionnelle les causes majeure des dysfonctionnements qui frappent la Belgique est à tout le moins simpliste. Surtout quand on compare leur similitude, en cas de crise comme celle du Covid-19, avec les pays voisins... souvent organisés de manière très différente. En d'autres termes, ce n'est pas la bonne raison, ceci d'autant que la complexité belge a poussé dix partis très différents à trouver des compromis qui ont été appliqués – or pourquoi se gausser des prétendus neuf ministres de la santé qui seraient incapables de se coordonner alors que dix partis le font qui plus est pour soutenir un gouvernement minoritaire?

Il semble que le réflexe des opinions publiques restent encore et toujours déterminé par ce résidu des hoquets sanglants de l'histoire que sont les frontières nationales, lesquelles enserrent des pays de dimension et de densité de population très différentes. Comme s'il n'y avait pas continuité! Bien des reportages ont montré le côté absurde de ce verrouillage, qui empêche un habitant allemand d'aller acheter, comme d'habitude, son pain à cinquante mètres en France dans le même village.

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En France où l'on a observé une mesure intelligente mais fortement critiquée: le fameux rayon de 100 km dans lequel, au premier stade du déconfinement, on pouvait circuler. Il allait pourtant dans le sens de l'histoire. Un circuit court, ce n'est pas obligatoirement national, comme la baguette du client allemand précité, c'est à proximité. L'idée de Schengen est partie dans ce sens et la planète le réclame pour éviter de mourir. Mais là aussi le vieux réflexe de repli a joué, car ce rayon de 100 km était certes de règle, mais tempéré par le fait qu'on pouvait circuler également... dans son département, quelle que soit sa dimension! L'Aisne, par exemple, va de la frontière belge jusqu'à l'est de Paris. Ce département résume parfaitement le côté artificiel de tout découpage administratif: il empile du nord au sud des miettes de territoires historiquement très différents. Mais une fois créé, comme n'importe quel territoire délimité, il acquiert aussitôt une sorte de légitimité téléologique, comme s'il était écrit quelque part qu'il existerait alors qu'il aurait très bien pu ne jamais exister – à l'inverse de son sol et de ses habitants, qui, eux, existent et auraient existé.

Il est étrange que cette constatation ne frappe ni l'historien contemporain, ni le journaliste, ni grand monde, en fait. Peut-être faut-il chercher dans les chromosomes des mammifères que nous sommes la nécessité d'un territoire déterminé, comme si le sentiment insulaire existait sur les vastes terres émergées...

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