Il est urgent de ne pas attendre

Poing de vue

Par | Journaliste |
le

Capture d'écran du site officiel du gouvernement français

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Dans les années 70, la plupart des pays ouest-européens ont dépénalisé l'avortement de façon plus ou moins restrictive en le laissant toutefois dans le code pénal. Tout se passe donc comme si c'était toujours un crime, mais qu'il était justifié dans certaines circonstances. Cette situation, qui constituait un énorme pas en avant, n'est aujourd'hui plus satisfaisante au niveau des principes ni même au niveau de la pratique.

Pour l'instant, le débat bat son plein en Belgique. Les partis d'opposition au niveau fédéral et un parti de la majorité (les libéraux flamands) ont déposé des propositions de loi allant dans le sens de la sortie de l'IVG du code pénal (qui reste une matière fédérale). Mais voilà: rien n'avance. Pourquoi? Pour deux raisons qui se cumulent. La première est que cela fait grincer des dents au CD&V. Les démocrates-chrétiens avaient massivement voté contre la première loi, dite Lallemand-Michielssens (seul le député PSC bruxellois Jean-Louis Thys s'était abstenu), et personne n'ignore que toutes les avancées éthiques se font contre ce parti, toujours ouvertement chrétien, à l'inverse du CDH, son pendant francophone, lequel l'est cependant concrètement encore et toujours, n'en déplaise à celles et ceux qui disent le contraire. (Le CDH vient encore de réussir un formidable couac de communication en affirmant un jour que le parti est pour la sortie du code pénal avant d'assurer le contraire le lendemain.) La seconde raison, c'est qu'il y a d'autres priorités, selon le parti dominant, la NVA. C'est évidemment une manière (bien belge, soit dit en passant) de remettre la solution à plus tard, par exemple après les élections: les frigos, en Belgique, ont toujours été remplis (les cadavres y sentent moins). Le rôle d'un parlement est de légiférer et en matière éthique, il l'a toujours fait sans attendre qu'un gouvernement ne le lui souffle. Des majorités alternatives se sont créées pour les approuver, mais il paraît, comme le dit le MR, seul parti francophone au pouvoir fédéral, que cela fait désordre – une autre manière très politicienne d'évacuer le débat. Bref on est pour mais on ne fait rien, on ne va pas peiner les Flamands pour ça et l'ultra-libéralisme n'attend pas, lui.

L'argument du manque d'urgence est complètement faux et très dangereux. Les enquêtes d'opinion le montrent: la Belgique est tout à fait prête à cette réforme, les esprits sont mûrs et commencent à s'impatienter. Le pays s'est considérablement décatholicisé et une majorité de Belges ne se revendiquent d'aucun culte (dans un état qui les subsidie si largement, c'est un comble). Mais là n'est pas l'essentiel. On objecte, pour justifier l'attente, le fait qu'aucune poursuite n'a plus été entamée pour des faits d'IVG et qu'il n'y a donc aucune raison d'abroger une loi inutile. Eh bien non: il y en a deux. La première est qu'une loi inutile est une loi qui décrédibilise tout le système législatif. Pourquoi, dès lors, se plier à telle ou telle autre loi? La deuxième est qu'une loi en sommeil peut toujours être réveillée. Irréaliste? En Italie, où l'IVG est dépénalisé depuis quarante ans, en 2005, 59% des médecins faisaient valoir leur droit à l'objection de conscience pour ne pas pratiquer d'IVG. On exerce sur elles et sur eux des pressions permanentes, notamment religieuses, et en 2018, à Rome, 80% des gynécos ne veulent pas poser cet acte. En Pologne, la lutte pour obtenir à tout le moins le statu quo est loin d'être gagnée...

C'est loin et cela se passe dans des pays où l'église catholique reste bien plus puissante qu'ici? Mais en Belgique, il y a des précédents. La loi criminalisant tout avortement était tombée en désuétude quand certains parquets se sont mis à s'agiter. Le docteur Willy Peers fut emprisonné, l'aurait-on oublié? Puis il y eut à Bruxelles et à Gand de longs et coûteux procès qui se terminèrent par des acquittements tarabiscotés. Par exemple, la cour d'appel de Bruxelles acquitta le professeur Pierre Hubinont et un grand nombre de ses collaborateurs en usant d'un subterfuge juridique: puisqu'il n'y avait plus eu de poursuites depuis longtemps, ils avaient pu croire que la loi qu'ils violaient allègrement était sans effet... alors qu'ils agissaient en pleine conscience et dans l'espoir, au-delà de l'aide aux femmes en détresse, qui était évidemment leur raison majeure, de faire avancer les choses. L'histoire a montré par la suite que les prédictions catastrophistes des opposants à la loi, qui assuraient imminent le recours massif à l'IVG, étaient démenties dans les faits. On nous les ressort aujourd'hui. Mais il y a des lois encadrant les professions médicales!

Alors, non, l'urgence n'est pas d'attendre; l'urgence est de proclamer que l'IVG est un droit inaliénable et irrévocable, non pas pour rester dans le peloton de tête des pays en matière de lois éthiques, mais pour être en adéquation avec l'état de la société. Une liberté donnée à chacun n'est pas une obligation pour tous, ce sain principe doit remplacer les saintes prescriptions qui elles, visent à dicter à tou.te.s une morale de vie à laquelle la plupart d'entre nous ne veulent plus se soumettre – tout en n'empêchant personne de la choisir si ça lui chante.

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