Rue Neuve, Bruxelles
Une édition originale par Thierry Robberecht, le 23 mai 2022

© Serge Goldwicht
Ils passent tous devant nous en feignant de ne pas nous voir avec dans chaque main d’immenses sacs en plastique dans lesquels ils transportent tout ce qu’ils ont acheté. Ils achètent beaucoup et tout le temps mais, malgré cette fièvre les magasins ne sont jamais vides. Comme j’aimerais qu’ils m’enferment dans un sac plastique et qu’ils m’emmènent dans leur maison ! En même temps ce serait une catastrophe car je ne verrais plus ni Maman, ni Papa et mon petit frère mais je n’aurais plus faim ni froid.
Ils passent devant nous en feignant de ne pas nous voir mais moi, je sais bien qu’ils ont vu et qu’ils emportent notre pauvre image avec eux. Ensuite, ils enferment leur cœur dans un coffre-fort dont ils jettent la clef loin, très loin pour nous oublier.
Maman me dit de sourire aux passants ou de pleurer très fort, très bruyamment. Comment sourire quand on est triste et comment pleurer bruyamment quand tout est en larmes au fond de moi ? Quand ils nous laissent quelques cents, presque rien, on leur dit « Merci beaucoup » dans leur langue. La langue des riches est plus puissante que la langue des pauvres. Elle avale tout.
Quand Maman ose les interpeler, ils feignent de n’avoir rien entendu et pressent le pas pour nous oublier. D’autres nous font signe qu’ils n’ont pas de monnaie sur eux mais seulement une carte bancaire. Maman nous dit en souriant que si nous pouvions installer un système qui accepte les cartes bancaires, nous serions riches. Mais voilà qu’un homme s’arrête et abandonne quelques centimes dans le gobelet en carton que Papa a placé devant nous.
Il pourrait nous donner beaucoup plus parce qu’il est riche mais il est tellement satisfait de sa pauvre générosité qu’il en sourit. Tout de suite, je me lève et je cours derrière lui. Il se retourne vers moi, mécontent : « Je t’ai donné tout ce que j’ai. Je n'ai rien de plus, me dit-il en me montrant ses grandes mains vides Mais il ne comprend rien. Moi, ce n'est pas son argent que je veux. C’est son sourire.
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