Traqué

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

Il ignore quand et comment mais il a contracté le covid-19.  Résultat : 4 semaines à étouffer et à souffrir jusqu’au fond de sa moelle dans un lit d’hôpital mais son martyr  prit fin un jour de mai grâce au travail du personnel soignant habillé comme des cosmonautes qui a travaillé dur pour l’arracher à la mort. Depuis  qu’il est rentré chez lui, son téléphone n’arrête pas de sonner. On lui demande les noms des gens qu’il a vu et à qui il aurait parlé. Il ne répond rien. Un vieux réflexe acquis pendant les années où il militait dans un groupuscule politique alternatif. Ne jamais parler, ne pas donner de nom et sauvegarder son réseau.

Evidemment, dans la rue, tout le monde l’observe craintivement puisque tout le monde sait qu’il a été malade. Les rumeurs se répandent plus vite que le virus. Il choisit un chemin dépourvu de caméras de surveillance. Pas facile, elles sont partout. Après une demi- heure de marche en vérifiant qu’il n’est pas suivi, quand il estime qu’il est suffisamment loin de chez lui et que personne ne l’observe, il se débarrasse de son téléphone portable dans une poubelle publique. Voilà ! Il est à nouveau un homme libre. Un tram se pointe à ce moment précis, il le prend. Dans le wagon, il est au centre de tous les regards. Une  vieille femme assise sur la banquette et son chien couché sur ses genoux ne le quittent pas des yeux. Une  petite fille et son lapin en peluche qu’elle serre dans ses bras l’observent comme s’il était une bête curieuse. Tout le monde le fixe sévèrement ainsi que la caméra de surveillance plantée au plafond du wagon. Ils ont peur, ils ont tous peur de lui. Une voiture de police suit le tram quelques minutes, puis disparaît. Dès que la voiture de police abandonne le tram, il en descend en vitesse. Il se perd dans les ruelles de la ville, du moins, il l’espère. Personne ne le suit, il l’a vérifié plusieurs fois en feignant de s’intéresser aux vitrines des magasins ou en nouant ses lacets. Dans son quartier, il sait où se positionner pour éviter les caméras de surveillance mais comment échapper aux vieux qui s’emmerdent derrière leur fenêtre, aux chats qui observent la rue et aux drones qui survolent le quartier pour prendre sa température ?

Arrivé chez lui, il pénètre dans le hall d’entrée de son immeuble et grimpe l’escalier quatre à quatre  sans rencontrer personne. La chance est avec lui. Arrivé dans son appartement, il commet l’erreur d’allumer son ordinateur. Imbécile ! Les courriel tombent comme la pluie et les notifications Facebook comme la grêle. Quel idiot !  A présent, le monde entier peut le localiser. Instinctivement, il sent qu’il doit disparaître des réseaux sociaux s’il veut vivre libre Il tente de retirer son nom de Facebook. Pas simple, le site s’accroche à lui comme une pieuvre avec des tentacules pleines de glu. Quand, enfin, il parvient à faire disparaitre son nom des réseaux sociaux, il s’empare de son laptop et le jette dans le vide ordure où il s’écrase vingt mètres plus bas. Le fracas de l’ordinateur qui s’écrase lui fait un bien fou. La liberté le submerge comme une vague d’eau de mer violente, salée et salutaire. Une énorme claque. Le lendemain, au lever, il veut se raser comme tous les matins mais dans le miroir de la salle de bain, son cou ne porte plus de tête. Son visage a disparu mais il est satisfait : « Ils peuvent toujours me chercher à présent », se dit-il.

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