Oh, les gros mensonges…

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Pour nous consoler des propagandes fielleuses, la poésie des sculptures de Caroline Delbaere.Photo © Caroline Delbaere

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« Ouvrir les frontières aux migrants, c’est mettre la sécu en danger » : la palme du plus gros mensonge dans l’actualité récente revient sans conteste à Bart De Wever, président de la NVA. Il doit sans doute avoir peur de la réaction généreuse des citoyens belges pour oser affirmer quelque chose d’aussi bêtement faux. Les migrants n’émargent pas à la sécurité sociale, la majeure partie d’entre eux souhaite transiter par la Belgique et non pas y rester. Et les associations qui les aident ne travaillent pas à les maintenir en Belgique ni à « ouvrir tout grand les frontières » mais à leur assurer des « routes migratoires sûres et légales », ainsi que le précise « Médecins du Monde ».

Quant à ceux à qui l’on accorde l’asile (dans le cas de réfugiés), soit le droit de rester (dans le cas de migrants « économiques »), beaucoup retournent chez eux lorsque les circonstances sont meilleures dans leurs pays d’origine. Les autres s’intègrent et participent, plus que les Belges de souche parfois, à l’économie nationale et locale. L’exemple de l’Allemagne est parlant : près d’un million de migrants ont été accueillis par Angela Merkel qui avait bien besoin de ces jeunes Syriens, Afghans ou Irakiens souvent formés à des métiers et en tout cas désireux de vivre une nouvelle vie en paix. Dans une Allemagne vieillissante, c’était une aubaine même si le contexte est tragique.

Angela Merkel ne fait pas partie de ces « bien pensants de gauche » ainsi dénommés par Bart De Wever.. Elle fait d’une pierre deux coups : de la politique démographique réaliste et un geste généreux correspondant aux valeurs de cette Europe qu’elle défend envers et contre tout nationalisme, allemand ou autre.

Bart De Wever devrait, lui-aussi, s’inquiéter du vieillissement de la Flandre « de souche »… Et arrêter d’empêcher de taxer les grosses entreprises championnes de l’évasion fiscale et qui ne paient pas les impôts nécessaires à l’Etat pour relancer l’économie et donc l’emploi… Et ainsi financer la Sécu, pivot de la solidarité nationale.

Les mensonges concernant les politiques migratoires sont souvent plus subtils. Ainsi, Peter De Roover, chef de groupe N-VA à la Chambre, défendait la politique de Theo Francken, notre inquiétant secrétaire d’Etat à l’asile, avec une dangereuse habileté. Il décrit « le paradoxe moral » dans lequel se situe le gouvernement qui veut remplir ses obligations de droit international et donc accueillir les demandeurs d’asile, et « conserver le niveau élevé de protection sociale », voire même d’empêcher que « notre modèle social disparaisse » (rien que cela !). Nulle part,  il ne chiffre les « dommages » créés par les quelques centaines de personnes par an qui restent chez nous. Jamais il ne parle du manque de moyens causé par l’évasion fiscale. Il réduit la réflexion à ceci : « c’est un combat pour un bon équilibre dans, par exemple, le maintien de la sécurité ou le fait de maintenir le sentiment, oui,  d’être chez soi, à l’intérieur de nos frontières. Et c’est effectivement menacé. C’est une question d’équilibre. » (1)

Voilà : tout est dit et tout est faux. Les statistiques, les faits constatés sur le terrain même par les plus hautes autorités économiques le disent bien. Il n’y a aucune perte d’ « équilibre » consécutive à l’accueil de migrants mais il y a bien une instrumentalisation de leur présence pour servir des thèses d’extrême-droite qui s’affirment de plus en plus fort dans toute l’Europe.

Dans le chef de la N-VA, la politique migratoire est un merveilleux alibi pour réaffirmer le communautarisme sur lequel se base ce parti : on protège la communauté envers et contre tout et l’on s’autorise à choisir qui peut rejoindre et rester dans cette communauté et à quelles conditions. Il s’agit à tout prix de protéger la « cohésion idéologique vitale pour le destin d’une communauté », ainsi que l’écrit le philosophe Vincent De Coorebyter.

Comme si quelques migrants pouvaient dissoudre une telle communauté ! Et surtout, l’affaire permet à ce parti d’attaquer de front tous les « gauchistes », particulièrement francophones, à la veille d’une échéance électorale tendue par un contexte économique fragile dans lequel les pertes massives d’emplois ne sont pas compensées par des embauches convenables. La pauvreté augmente dans le pays. Comme ailleurs, l’extrême-droite propose aux populations insécurisées le bouc-émissaire parfait, l’étranger, même si celui-ci est en détresse.

Un autre champion de la subtilité raciste est le Premier-ministre hongrois Viktor Orban. Interviewé le 15 janvier 2018 par Le Soir, il décline les concepts d’extrême-droite avec une grande clarté : l’Europe n’a pas à décider à la place des Etats qui ils acceptent ou non sur leur territoire. D’ailleurs l’Union  européenne ne peut fonctionner qu’avec « un parlement aux pouvoirs limités, d’une Commission qui veillerait sur les traités plutôt que de faire sa propre politique, et d’un Conseil des chefs d’Etat fort. » Donc, « nous ne nous laisserons pas dicter par Bruxelles qui nous devons accueillir dans notre pays. Seule la Hongrie peut décider de qui peut séjourner sur son sol. »  Ce nationalisme exacerbé repose aussi, selon Viktor Orban, sur les valeurs traditionnelles chrétiennes (sans aller jusqu’à préciser que la crainte des Hongrois est de voir arriver en terre catholique une masse de musulmans). Bien sûr, il faut aider ceux qui sont menacés de mort, mais alors dans les pays de premier accueil comme la Turquie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie. « L’amour chrétien n’est pas indivisible. En premier lieu, il s’agit d’assumer ses responsabilités vis-à-vis de la famille, de la communauté, de la nation, puis du continent et du monde. Comment pourrait-on aider la planète en se retournant contre son propre peuple ? ».

Pour Viktor Orban, la guerre est finie et il n’y a donc plus de demandeurs d’asile, rien que des migrants économiques. Donc, il faut aider les pays d’origine et empêcher que les migrants viennent chez nous. Encore faut-il qu’il y ait une aide réelle. Or, le Premier ministre hongrois participe à une Europe ultra libérale qui impose des traités de libre-échange, ceux-là même qui tuent toute tentative de créer une économie centrée sur les besoins des populations locales, sur l’autosuffisance alimentaire et sur la solidarité, base des politiques sociales. Les migrations de pauvreté ne peuvent que s’accroître. C’est bien ce qu’avait affirmé le Pape François. Viktor Orban n’est certainement pas plus catholique que le Pape.

Pour d’autres pays, la fermeture et l’externalisation des frontières de l’UE ont d’autres motifs : dans le cas de la Bulgarie, son zèle à bien contrôler ses frontières (principalement avec la Turquie) prouve sa bonne volonté européenne tout en masquant une rancœur de n’être pas reconnue comme un membre à part entière. (2) En effet, la Bulgarie ne fait pas partie de l’espace Schengen.  En fait, le bon élève de la sécurité du territoire reste l’Etat le plus pauvre de l’UE et sa population ne comprend pas cette intégration européenne qui ne lui rapporte pas grand-chose et qui n’a pas réduit la corruption  ni la puissance du crime organisé. (3) La Bulgarie assure pour six mois la présidence de l’Union ce qui veut dire qu’elle devra organiser les négociations sur la politique migratoire et arriver à un consensus avec des Etats de l’Est qui, comme la Pologne et la Hongrie, refusent catégoriquement toute notion de « quotas » de migrants à accueillir.  Tandis que l’Allemagne, la Suède et l’Italie refusent que la « solidarité » de l’Est, en cas d’afflux de réfugiés, se limite à de l’aide financière ou logistique.

Il y aura de l’ambiance entre ces Etats aux nationalismes ombrageux. Devinez quelle est la devise adoptée par la Bulgarie pour sa présidence européenne ? L’union fait la force… Et cela, ce n’est pas un mensonge. Juste une impossibilité aussi bien en Belgique qu’en Europe !

On pourrait vous citer bien d’autres mensonges d’Etats, un art dans lequel le cher Donald Trump s’est d’emblée classé comme champion toutes catégories.

A nous d’affirmer sans cesse les valeurs humanistes, occultées par les propagandes mensongères des Etats.
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(1) Voir Le Soir du 6-7 janvier 2018.

(2) http://www.lemonde.fr/europe/article/2018/01/04/bulgarie-le-plus-pauvre-des-pays-europeens-prend-la-presidence-tournante-de-l-ue_5237639_3214.html

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(3) https://www.transparency.org/news/feature/17_commitments_for_a_clean_bulgaria_will_politicians_sign_on

 

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