Mieux faire

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

Comme tous les matins, je me rends au bistrot d’en face pour prendre mon café. La serveuse sait que je l’aime serré, sans lait et sans sucre.

  • J’ignorais que vous aviez un frère, dit-elle en m’apportant mon café.
  • Pourquoi dites-vous cela ?
  • Jetez un œil au client assis à l’autre bout du bistrot.

Un homme est là en train de lire le journal et boire son café. C’est vrai qu’il me ressemble beaucoup, le visage, l’allure et les vêtements même s’il est plus jeune d’une dizaine d’années environ. Il m’observe attentivement. Son regard me fixe intensément. Ce sosie qui pose les yeux sur moi me met mal à l’aise.

Je termine mon café en vitesse et je sors par la porte du bistrot la plus proche de ma table sans passer devant l’inconnu. Dans la rue, je me sens déjà mieux. La foule me protège et je respire. Cette accalmie ne dure pas longtemps. Au bout de la rue, je me rends compte que mon sosie est sorti du café et qu’il me suit. Du coup, je feins de m’intéresser aux vitrines qui bordent la rue pour observer mon poursuivant. Il est là à dix mètres. Quand je m’arrête, il s’arrête et quand je reprends ma route, il m’emboîte le pas. Qu’est-ce qu’il veut ? M’agresser ? Afin de le perdre, je me précipite dans le premier bus qui s’arrête devant moi. J’ai fait vite, les portes se referment dans mon dos. Pourtant, après cinq minutes de voyage, je me rends compte que l’homme est là, dans le même bus et qu’il m’observe. Heureusement, le bus est bondé et une dizaine de voyageurs se trouvent entre lui et moi. J’en profite pour descendre en espérant que l’inconnu ne s’en rende pas compte. J’atterris dans un quartier que je ne connais pas. Mais il est encore là qui me suit toujours, pas loin, à dix mètres. Je marche de plus en plus vite dans l’espoir de le semer et soudain, à ma droite, je découvre une ruelle dans laquelle en comptant sur l’effet de surprise, je m’engouffre en courant. Après quelques secondes, je l’entends courir derrière moi. Il est plus jeune, il court plus vite et j’entends ses pas se rapprocher. Dans quelques secondes, il me rejoindra, c’est certain.

Je redoute le moment où sa main se posera sur mon épaule. La ruelle est une impasse au bout de laquelle, épuisé, essoufflé, prisonnier, je m’arrête. L’inconnu me rejoint. Plus jeune, il est moins essoufflé que moi. Il me ressemble avec plus de cheveux et moins de rides. Il porte des vêtements qui m’ont appartenu mais dont je me suis débarrassé il y a longtemps. Je reconnais la veste, la chemise, le pantalon et le foulard. Il les aurait achetés dans une friperie ? Il se rapproche de moi. Je suis inquiet parce qu’il est plus jeune et que je ne ferais pas le poids s’il devenait violent mais il ne l’est pas. Il approche sa bouche de mon oreille et chuchote : « Je voulais te dire… »

- Quoi ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Je demande en reprenant mon souffle.

- Je voulais te dire que, pendant ces quinze dernières années, tu aurais pu faire mieux. Tu avais toutes les cartes en main pour faire mieux.

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Il a raison, totalement raison. Honteux, je lui réponds : « Je sais, je sais. Désolé. » en baissant la tête.

Depuis ce jour, chaque fois que je croise par hasard un petit garçon dans la rue, j’ai peur.

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