Mais non, pas du gigot bouilli

À table avec l'Ogre

Par | Journaliste |
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Béni soit le gigot anglais... Reportage photographique © J. Rebuffat

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Lecture 7 min.

La viande ovine et bovine britannique, à la veille (?) du Brexit, s'est invitée à ma table, ou plutôt le contraire : c'est moi qui suis allé sur place, dans les vertes (?) collines du sud-est de l'Angleterre, pour comprendre et apprécier de visu comment elle est avant de terminer dans nos assiettes.

Mais tout d'abord quelques mots sur la philosophie de cet élevage. Basé sur une très longue tradition (nous ne sommes pas en Angleterre pour rien), il répond avant tout à une recherche de standardisation et s'appuie sur un savoir-faire qui amène la viande, finalement, à présenter les mêmes caractéristiques de dimension et de goût. À quelques exceptions près, cette viande, vous ne saurez pas de quelle race elle est, non pas parce que ce n'est pas indiqué sur l'emballage, mais parce qu'elle provient d'hybrides soigneusement choisis mais éminemment variés. Comme l'écrit si bien le dossier de presse (je ne vais pas me fatiguer, j'ai envie de passer à table), «pour répondre idéalement aux critères que sous-tend la Norme Qualité Britannique, on doit se retrouver avec un animal à la fois rustique, précoce, docile et pas trop lourd. Aujourd’hui, ce bovin de boucherie est issu de croisements raisonnés qui permettent de produire une viande à la fois tendre, rouge et goûteuse. Les principales races à viande ou mixtes utilisées à l’heure actuelle sont la Limousine, l’Aberdeen Angus, la Charolaise, la Simmental, la Hereford, la Blanc Bleu Belge, la Blonde d’Aquitaine, la South Devon, la Welsh Black et la Shorthorn.»

Ces animaux sont en général laissés le plus longtemps possible à pâturer à l'extérieur, mais Brexit ou non, la sécheresse de ces dernières années, et singulièrement de ce dernier été, a roussi les prairies de cette belle campagne vallonnée, entrecoupée de haies et de bosquets et parsemée de charmants petits villages où vous vous attendez à croiser Mrs Marple.

Les fermes ne sont pas très grandes et généralement élèvent et moutons et bovins. Ces fermiers aiment leurs bêtes ; ils les guident avec douceur... ce qui s'explique aussi par la docilité soigneusement voulue par d'habiles croisements génétiques. Ne craignez pas un coup de corne: à part la Longhorn, ce sont des espèces où la corne fait défaut. Toutes les vaches n'ont pas bon caractère mais on dirait que les anglaises sont élevées pour ne pas sortir du bien comme il faut comme n'importe quelles ladies.

Cette politique de l'hybridation ne donne pas toujours des animaux très agréables à regarder.

La robe de certains bovins est franchement moche; certains agneaux ont l'air d'hésiter entre deux races, un peu comme si les pois de senteur de Mendel, au lieu de s'hybrider rose, avaient des taches rouges aléatoires sur des pétales blancs (ou vice-versa); mais on s'en fiche, le tout est de fournir le gigot parfait ou l'impeccable rôti. Le cahier des charges est rigoureux. Outre l'amour légendaire des Britanniques pour les animaux et la campagne, la crise de la vache folle a provoqué une prise de conscience qui outrepasse souvent les normes européennes pourtant réputées exigeantes.

Cependant, pour pouvoir produire des hybrides raisonnés, il faut, M. de la Palice, des individus de race pure, plus particulièrement des taureaux. Vous pouvez ainsi observer dans les prés de superbes taureaux Angus avec lesquels inutile d'espérer une corrida: ils sont placides et trouillards, malgré leur gabarit impressionnant. Mais entendre John parler de ses animaux est un régal: il est intarissable et intéressant.

Ces taureaux seront accouplés avec des vaches allaitantes, sélectionnées pour vêler en moyenne cinq fois avant d'être réformées (euphémisme signifiant conduites à l'abattoir). La plupart de la viande consommée au Royaume Uni provient d'animaux jeunes à peine adultes. Car outre la standardisation de la taille qui permet de ne pas avoir des côtes de bœuf gigantesques, le faible poids de la carcasse et la facilité de découpe, c'est avant tout le tendre de la viande qui est souhaité par les consommateurs. Hors de question, par exemple, de suspendre l'animal abattu autrement que par la hanche, pour éviter de contracter les fibres.

Mais passons à table, ici et là.

Là, c'était au restaurant d'un bel hôtel plus manoir anglais tu meurs (d'où Mrs Marple), le Chilston Park Hotel, où l'agneau nous fut servi de façon un peu sophistiquée, en effilochée.

Le lendemain midi, dans un pub sympathique, the Woolpack Inn, au tour du bœuf, une belle tranche de faux filet (en Belgique, on dit contrefilet) parfaitement cuite, bleue mais chaude à cœur.

Ici, c'était chez moi. J'avais pris soin d'acheter dans un supermarché steak et agneau (des souris, en l'occurrence) et de les cuisiner chez moi.

Il faut dire qu'après avoir vu ces animaux vendus aux enchères au marché d'Ashford sous le regard attentif des producteurs et des acheteurs,

il était logique de voir le résultat chez le marchand. Je ne sais pas pourquoi nous avons sauté l'étape de l'abattage, mais à voir la mine dégoûtée de certains collègues citadins à Ashford en reniflant l'odeur du bétail, je devine un peu pourquoi...

Le verdict ?

L'agneau, on le sait, trouve principalement sa saveur de la façon de l'accommoder. Le Chilston l'avait compris, et moi aussi : cinq heures de cuisson au four à 90 degrés, mes souris étaient parfaites, arrosées d'un tout petit peu d'huile d'olive et tout simplement assaisonnées de sel (peu), de poivre (plus), de thym, de romarin et de laurier du jardin. Fondantes, goûteuses, maigres et cependant nullement sèches.

Le bœuf, ou plutôt le bovin, lui, peut manifester une plus grande variabilité de goût. Mais bien sûr, ici, la volonté de départ est exactement à l'opposé : il s'agit d'obtenir toujours la même chose. L'objectif est atteint. Franchement, cette viande est bonne, qu'il s'agisse du faux filet bleu ou du bête rump steak cuit un peu plus pour voir si la viande tenait une cuisson plus longue sans cracher de l'eau, ce qu'elle ne fait pas. Elle est bonne et à un prix somme toute raisonnable. Je comprends pourquoi elle plaît aux restaurateurs, avides d'invariabilité. Elle a du goût, elle est tendre sans fuir sous le tranchant du couteau, elle a été parfaitement maturée (21 jours pour mon steak). Mais... avec de tels principes, c'est la limite du genre, elle ne confère pas cette expression d'exceptionnel que peut valoir une viande peut-être un peu plus dure, peut-être un peu plus variable, peut-être un peu plus risquée, plaisir me direz-vous qui se paie désormais une fortune.

En tout cas, je ne la déconseille pas et même, je la conseille si vous voulez être sûr de votre coup (et de votre coût). Un bon vin rouge là dessus et voilà vos convives happy. Bon appétit et large soif !

Liens utiles

Pour en savoir plus sur la viande norme qualité britannique

Chilston Park Hotel

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The Woolpack Inn

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