Les joues qui piquent

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

L’infirmière a frappé à la porte de la chambre et est entrée sans attendre l’autorisation de Madame Mortier.

Celle-ci s’est demandée pourquoi on appelle cet établissement « Maison de repos » quand on vous réveille tous les jours à l’aube juste au moment où on vient de retrouver le sommeil.

  • Ils sont partis, Madame Mortier ! Ils sont partis !
  • - De qui vous parlez, Marthe ? a demandé la vieille, de mauvaise humeur.
  • Les Africains qui avaient envahi le parc de l’autre côté de l’avenue, ils sont partis.
  • Tous ?
  • Je crois bien, oui.
  • De leur plein gré ?
  • Cà, je ne le sais pas, à mon avis, la police les a sûrement aidés un peu. Ces gens-là ont tendance à s’incruster
  • Ils ont laissé des crasses derrière eux ?
  • C’est horrible, le parc ressemble à une déchetterie. Des papiers gras partout, des sacs en plastique, des bouteilles. Les hommes de la voirie en auront pour la journée à le nettoyer le parc.
  • Je suis heureuse que les cygnes et les canards retrouvent le calme et la quiétude a déclaré la vieille
  • - Moi aussi, Madame Mortier, moi aussi.
  •  Vous aurez de la visite aujourd’hui ? demande l’infirmière avant de sortir.
  • Mes enfants et mes petits-enfants, probablement, comme tous les jours.

L’infirmière est partie avec l’intention d’empêcher un autre vieillard de dormir. La vieille se serait bien levée pour observer le parc, son parc déserté par les envahisseurs et les cygnes, ses cygnes, si majestueux quand on leur fout la paix mais se lever lui demandera un effort terrible et la fenêtre est loin, si loin. Et pour voir quoi ? Sa vue est devenue si mauvaise depuis la dernière opération de la cataracte. Tout est flou, à présent. Tu parles d’un chirurgien, un véritable artiste, celui-là ! Un dingue qui enlève la vue aux gens.

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Finalement, elle décide qu’elle  ne se lèvera pas, ni aujourd’hui, ni jamais. Quand il n’y a rien à voir et rien à faire, mieux vaut rester au lit. Elle attendra l’heure des visites. Attendre, elle a l’habitude. Elle a fait çà toute sa vie. Elle attendra son fils et ses enfants. Ils ne se disent rien d’important, ils n’ont jamais rien à raconter, ils sont taiseux comme des chats mais c’est bon de les savoir près d’elle.

L’avion pour Khartoum est en bout de piste, sur le point de décoller. Les parents sont menottés mais pas les enfants ce qui permettra au Secrétaire d’état de déclarer que les expulsions se font dans le respect et en toute humanité.

  • On n’ira plus embrasser la vieille  dame, alors, demande la plus grande des filles.
  •  Non.
  • C’est dommage, je l’aimais bien même si elle avait des joues qui piquent. Elle va être triste.
  • Je ne sais pas, peut-être.
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