Le pacifisme n’est pas mort !

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une caricature du Syrien Hossam Al Saadi, réfugié politique, auteur de « Syrie – Belgique. Du silence au dessin », un livret poignant édité par Traverse et Couleur Livres. www.traverse.be

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« La paix, c’est la guerre des idées », disait Victor Hugo. C’est en tout cas une invention récente, très moderne à savoir de la « belle époque » car avant, « la guerre était le seul moyen légitime de trancher des différends », nous explique l’historien français Jean-Michel Guieu.

Les deux guerres mondiales sont passées par là et ont laminé les courants pacifistes pourtant bien  actifs, souvenons-nous de Jaurès. Les nationalismes ont supplanté la pensée internationaliste, communiste et pacifiste. Mais le pacifisme ne s’est pas arrêté pour autant, plaide Stéphanie Demblon, chargée de campagne à « Agir pour la Paix ». Souvenons-nous de la guerre froide, de la « dissuasion nucléaire », des grands mouvements anti-guerre nucléaire des années 70-80 avec 400.000 personnes descendues dans les rues de Bruxelles à l’appel notamment de Pierre Galand fédérant quantités d’associations du nord et du sud du pays, contre les missiles capables de nous détruire tous.  

Ce grand mouvement préfigurait ce qui se passe à présent : une mondialisation des mouvements sociaux et citoyens, pacifistes, anti-nucléaires, anti-missiles ; des revendications, liées étroitement aux luttes environnementales, à la pauvreté, à la violence contre les femmes. A présent, l’idée de paix est liée à celle de justice sociale, explique Stéphanie Demblon. C’était aussi la vision du Belge Henri La Fontaine, notre prix Nobel de la Paix en 1913.

La « guerre des idées » de Victor Hugo progresse, même si nous sommes confrontés à des paradoxes cruels comme la production par la FN de Herstal d’armes à destination de l’Arabie saoudite en pleine guerre honteuse contre le Yémen, un des pays les plus pauvres au monde. Pourquoi ne pas enfin se pencher sérieusement sur la reconversion de ce type d’usine ? Pourquoi ne pas étendre l’objection de conscience aux travailleurs ?

Les tendances modernes du pacifisme sont illustrées par le « No justice No peace » des Black Lives Matter aux Etats-Unis en protestation contre les policiers blancs qui abattent de jeunes noirs. Une protestation soutenue par les pacifistes et les formations pratiquant l’action directe non violente. Il y a aussi les « humanitaires » qui viennent en aide aux réfugiés politiques et économiques, victimes de déplacements de populations causés par les guerres et les difficultés économiques et sociales. La mobilisation citoyenne autour des réfugiés du Parc Maximilien à Bruxelles est un exemple magnifique de cette action concrète des populations solidaires. Et, point d’orgue tout récent : le prix Nobel de la Paix 2017 décerné à la Campagne internationale pour l’abolition de l’arme nucléaire (ICAN), un mouvement exemplaire de désobéissance civile contre l’arme nucléaire.

Changer de paradigme

Afin de bien réfléchir cette notion de paix dans le contexte actuel, il nous faut changer de paradigme, explique le sociologue français Alain Joxe. Il y a une « jonction nouvelle de la révolution informatique et de la fin de l’équilibre nucléaire. C’est la fin de la bipolarité : l’espace-temps n’est plus le même. » « Nous assistons à la prolifération des robots qui se substituent aux centres de décision. Il s’agit d’une rupture civilisationnelle. » De plus, un nouveau vocabulaire est apparu : guerres inter religieuses, inter linguistiques, de voisinage, entre forces économiques, pétrolières, etc. « Il n’y a plus vraiment de guerres entre Etats dans un monde où la finance est mondialisée et déterritorialisée. »

Le pacifisme surgit alors comme « une défense des droits humains, comme un front global d’où naît une intelligence globale bien nécessaire face à la disparition progressive des souverainetés d’Etat face à la montée des souverainetés des entreprises », explique Alain Joxe.

La crise coréenne montre à quel point la menace nucléaire est purement théâtrale, un jeu de rôle permettant à de grandes puissances de faire peur aux peuples.

Pourtant, avec la disparition de l’URSS, l’inutilité de l’arme nucléaire est apparue clairement. Or, la stratégie de la terreur se poursuit grâce à la révolution électronique. On investit dans des bombes atomiques ultra précises, on donne des subventions pour constituer un arsenal pour des massacres post nucléaires : « les Etats-Unis imposent ainsi leurs vues aux Etats nations de l’Alliance atlantique. En réalité, c’est contre d’éventuels soulèvements de populations à cause des inégalités sociales croissantes que s’arment les puissants ; pour cela, on n’a plus besoin de l’arme nucléaire massive mais bien de précision électronique. »

Face à cela, les pacifistes sont des « artisans de la paix », une paix qui est une création pemanente. Ainsi, on a vu « les Nations Unies créer des forces de paix. Partout, on recherche une criminalisation efficace des actes contre la paix mais aussi des actes contre les droits humains commis par les nouvelles puissances mondiales que sont quelques grandes entreprises. Il nous faut donc créer des concepts juridiques nouveaux pour définir les désordres créés par la liberté des entreprises actuellement hors la loi. », plaide Alain Joxe. 

Des militaires se posent aussi des questions devant ces « guerres qui commencent sans guerre et finissent sans paix », à l’exemple de la Syrie aujourd’hui. Des guerres qui échappent aux décisions des armées, qui ne défendent plus le peuple. On voit que les armées sont transcrites dans le modèle policier. On n’a plus besoin de but politique si l’adversaire est local. Ajoutons à cela le délitement de l’Etat nation et le seul objectif armé reste le maintien de l’ordre : « la morale policière ne cherche pas la paix mais l’ordre ».

Nous assistons à des guerres pétrolières honteuses qui provoquent des réactions de vengeance menées par des religieux qui veulent eux-aussi un monopole guerrier, souligne Alain Joxe.

Face à cela, que faire sinon informer, construire des alliances, mobiliser les mémoires et créer de nouvelles formes de mobilisations pacifistes.

Jugés pour avoir demandé la paix en Turquie

1.128 universitaires turcs sont  accusés de « propagande terroriste »  et risquent une condamnation, de plus de 7 ans de prison. Leur crime ? Avoir signé en janvier 2016, une pétition demandant l’arrêt des opérations militaires au cœur des villes kurdes du sud-est de la Turquie. Car les combats entre les forces de sécurité turques et la rébellion du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) étaient sanglants : « des villes entières étaient sous état de siège. Leurs populations étaient privées d’alimentation, de soins, menacées dans leurs mouvements par les tirs de snipers. L’armée avait engagé les grands moyens : artillerie, chars, hélicoptères de combat. C’est dans ce contexte de dévastation – au total, plus de 2 300 personnes, dont au moins 360 civils, ont péri dans ces combats – que le professeur de français de l’université franco-turque de Galatasaray a rejoint le groupe des Universitaires pour la paix, uni par un même mot d’ordre : « Nous ne serons pas complices de ce crime. » », écrit Nicolas Cheviron dans Médiapart du 6 décembre 2017.

Appel est lancé à tous les universitaires pour soutenir le combat de ces Turcs attachés à la liberté de pensée et d’expression et qui, courageusement, revendiquent la paix.

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