Le nouvel africain

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 6 min.

Personne ne comprend ce qui s’est passé. Lui, moins que les autres. Peut-être en avait-il marre de voir et revoir sa même gueule de con depuis tant d’années dans le miroir de la salle de bain ? Jamais de surprise. Lui, lui, toujours lui, encore lui ! Le fait est que ce matin-là, il n’a pas trouvé sa gueule habituelle dans le miroir. Ce matin, il est noir. A l’intérieur, il est resté le même avec ses souvenirs, ses idées, son sentiment de supériorité de blanc et ses préoccupations mais à l’extérieur, il est africain de la tête aux pieds. Que faire ? Rester planqué chez soi ou sortir ? Il décide d’aller prendre l’air. Quoi ! Il n’a rien à se reprocher. Il est libre d’aller et venir où il veut et quand il le veut. Il est un citoyen comme un autre, se dit-il.

Au moment où il veut sortir de son appartement, il entend son voisin de palier monter l’escalier. Merde ! Il va lui poser des questions, lui demander ce qui s’est passé et ce qu’il fait là mais il n’a aucune réponse à lui fournir. C’est la catastrophe ! Vite, il referme la porte et attend que l’homme rentre chez lui. Dès que la voie est libre, il ouvre la porte en silence et descend l’escalier au ralenti sans faire de bruit.

Dans la rue, il respire. En ville, tout le monde ignore qu’il s’est transformé. Par conséquent, personne ne s’étonnera ni ne lui posera de questions embarrassantes. Pourtant, des passants l’observent bizarrement et certains l’évitent. Un homme a craché sur son passage. C’est vrai qu’il est noir. Il l’avait oublié. Le soir tombe. Il n’a aucune envie de dormir dans la rue. Une seule solution : Rentrer chez lui. Il possède encore les clefs. Par chance, il ne croise personne dans le hall de l’immeuble ni dans les escaliers. Il pénètre dans son appartement comme un voleur, sans faire de bruit. Ouf ! Il est sauvé. Il peut dormir dans son lit. Un voisin s’est probablement rendu compte qu’un Africain inconnu s’était introduit dans l’immeuble, la veille, parce que le lendemain matin, à six heures pile, on frappe violemment à sa porte.

- Police !

- Vérification d’identité !

Des papiers, il en possède mais ils ne correspondent plus à ce qu’il est. Il ne voit pas comment expliquer aux flics qu’il est noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur. Le mieux est d’enfiler les vêtements de la veille et filer par la fenêtre, enjamber le balcon voisin, et pénétrer dans l’appartement d’à côté. Au moment où il en sort, les flics sont tellement attentifs à sa propre porte qu’ils ne se rendent pas compte qu’un africain inconnu sort sur le palier, emprunte les escaliers et gagne la rue sans être inquiété. C’est une réussite mais c’est aussi une catastrophe. Où dormir à présent ?

Il se doute que son appartement sera placé sous surveillance et à l’hôtel, on lui demandera ses papiers. Que faire ? Il erre dans la ville à la recherche d’une idée et d’un endroit où passer la nuit. Heureusement dans sa veste, il retrouve son portefeuille qui contient une carte de banque avec laquelle il peut retirer de l’argent pour acheter à manger. Il erre plusieurs heures à la recherche d’un endroit sûr où passer la nuit. Il passe et repasse devant des portes cochères où logent des SDF et des migrants sans se décider. Passer la nuit dehors lui fait peur, c’est la première fois. Finalement, une famille syrienne lui offre une place minuscule sur un carton pouilleux dans une porte cochère. Il ignore si on lui offre l’hospitalité par bonté d’âme ou parce qu’il possède assez d’argent pour acheter un sandwich pour cinq. En fait, il s’en fiche. L’important c’est qu’il ne dormira pas seul cette nuit. Dormir seul est pénible mais dormir seul dans la rue lui semble inhumain. Le matin, il part chercher à manger pour la famille syrienne car il est le seul à posséder une carte de banque. Quand il revient avec de l’eau et des sandwiches, il découvre la porte cochère vide et le carton déserté.

- Les flics les ont embarqués, lui dit le SDF qui vit devant l’immeuble juste en face entouré de dizaines de sacs plastiques remplis de déchets. Leur demande d’asile a été rejetée par l’Office des étrangers. On les a emmenés dans un centre fermé.

- Et puis ?

Le SDF s’étrangle de rire : « Et puis, retour à la casa, je suppose. Depuis les dernières élections, il n’y a plus vraiment de suspense pour ces gens-là.

Dormir seul dans la rue l’inquiète tellement qu’il propose au SDF de partager sa porte cochère et sa sébile de mendiant

- Ce n’est pas possible, répond celui-ci. La nuit, des tarés ratissent les rues et agressent les nègres.

 

- Tu ne risquent donc rien, dit-il au SDF.

L’autre grogne : Parce que tu crois que je vais te laisser tabasser sans rien faire !

Le nouvel africain traîne encore un peu dans cette ville qui ne veut pas de lui. Un flic monte bien la garde devant la porte de son immeuble. Notre homme observe son appartement à partir du trottoir d’en face. Si le flic s’en allait, il tenterait sa chance mais non, il reste à son poste comme on lui en a donné l’ordre. C’est un bon flic. Que faire ? Sa place n’est plus ici, il s’en rend compte. Une publicité vante le prix dérisoire d’un voyage en autocar dans le sud de l’Espagne. Il achète un billet.

A Tarifa, il cherche un marin qui pourrait l’emmener en Afrique en bateau. Ce n’est pas loin. De Tarifa, on aperçoit la côte quand le temps est clair.

- Vous êtes sûr ? demande le pêcheur andalou, perplexe, en se grattant le crâne. D’habitude, les africains voyagent vers le Nord.

- Oui, c’est absurde, reconnait le nouvel africain, mais la vie l’est, n’est-ce pas ?

Le marin doit être d’accord car il met son moteur en marche et le bateau quitte le quai.

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L’Europe s’éloigne à toute vitesse. La brume prend sa place. A partir du moment où l’Europe a disparu, le nouvel Africain porte son regard vers l’Afrique si lointaine et si proche. Au moment précis où la côte africaine apparait, blub, blub, blub, glub, des centaines de cadavres humains remontent à la surface autour du bateau. Des hommes, des femmes, des enfants noirs comme lui, qui lui font comme une haie d’honneur, l’accueillent en heurtant la coque et l’escortent jusqu’au port.

 

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