Ils marchent pour la justice

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Par | Journaliste |
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Une grande manifestation à rabat en soutien avec les Rifains. Photo © Ahdath.info

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Dans le Rif marocain, en Turquie, des populations marchent pour la justice sociale, pour la justice tout court. Avec courage, ils bravent la répression policière et militaire et se confrontent avec l’indifférence des Etats européens et la nôtre. L’enjeu est bien la démocratie pour tous. Leur sort est lié au nôtre par la proximité historique, culturelle, économique.

Depuis environ sept mois, la population d’Al-Hoceima, dans le nord marocain, est en ébullition. La révolte s’est cristallisée autour de la mort horrible de Mohcine Fikri, broyé dans la benne à ordures où la police avait jeté les 500 kg d’espadons qu’il avait pêchés illégalement. C’était son seul moyen de subsistance dans cette région oubliée des autorités marocaines où la jeunesse subit le désespoir du chômage. La colère populaire a été immédiate, les manifestations ont rapidement été  menées par un collectif de jeunes avec, à leur tête, un chômeur de 36 ans Nasser Zefzafi. Ils accusent l’Etat de corruption, du manque d’investissements dans cette région rifaine où le chômage des jeunes est massif, où le secteur informel a pris le dessus et surtout, où est développée la culture du cannabis alimentant le trafic de drogue dans les pays européens.   

Ainsi, s’est constitué le Hirak, un mouvement contestataire qui a été réprimé par les forces de police pendant que le gouvernement mettait sur pied, à toute vitesse, quelques projets de développement dans la région. Le 29 mai, Nasser Zefzafi a été emprisonné pour avoir interrompu le prêche d’un imam dans la mosquée d’Al Hoceima. Ce dernier reprochait aux contestataires de mener le pays vers le chaos. L’activiste a été accusé de porter atteinte à la liberté de culte et d’attiser la discorde entre les croyants. Un sujet sensible dans un pays où le roi est aussi le commandeur des croyants… Et le Rif a toujours été plus ou moins rebelle ce qui explique pourquoi il a été privé des travaux d’infrastructures, des hôpitaux et autres éléments indispensables au développement économique.

Les manifestations, toutes pacifiques, ont continué non seulement dans la région mais aussi dans d’autres villes du pays, y compris à Rabat, réclamant la libération des rebelles du Rif et la justice sociale et économique dans le pays. En vain. Le pouvoir marocain craint plus que tout la division de son territoire et de son pouvoir, témoin la répression forte du peuple sahraoui qui réclame depuis des années son droit à l’autodétermination. 

Après quelque 150 arrestations d’opposants, des femmes marocaines ont voulu rompre le silence qui entoure cette répression : « conscientes de l’importance que jouent les femmes dans le Hirak du Rif et au vu de l’arrestation de la chanteuse du mouvement Silya, nous, femmes marocaines appelons à faire du mois de juillet, un mois placé sous le signe de la lutte pour la libération des prisonniers politiques du Hirak.
Aujourd’hui, plus que jamais les voix des femmes doivent porter la voix des femmes d'Al Hoceima qui bravent les matraques quasi-quotidiennement en sortant dans les rues de la ville exprimer leur colère et demander la libération de leurs maris, leurs fils, leurs frères ou camarades aujourd’hui derrière les barreaux.
Nous femmes marocaines, demandons à toutes les femmes issues de la diaspora et de l’immigration de se solidariser à la cause des prisonniers politiques du Hirak et à la cause des femmes du Hirak qui aujourd’hui continuent à porter la voix de celles et ceux que l’Etat a décidé de bâillonner.

Ensemble soyons debout pour faire du mois de juillet un mois de lutte internationale pour la libération des prisonniers politiques du Hirak ! »

Cet appel sera-t-il entendu ? La diaspora marocaine est en effet étroitement contrôlée par le pouvoir marocain dont la propagande contre les « complotistes » est intense.

L’Europe, elle, se tait dans toutes les langues, préférant favoriser le libre-échange avec le Maroc, l’appeler à contrôler le trafic de drogue et l’exode des jeunes en quête d’avenir.

« Marche pour la justice » en Turquie

Même silence coupable de la part de l’Europe face au courage de la population turque qui marche, pacifiquement elle aussi, contre la dictature qui se met en place. En un an, depuis le putsch manqué, 50.000 personnes ont été emprisonnées, 150.000 fonctionnaires suspendus ou limogés, sans raison valable pour la plupart. 165 journalistes sont en prison, des enseignants aussi. Aucune critique n’est tolérée. Le président Erdogan s’assure ainsi un contrôle total de la police et de la justice et s’arroge tous les pouvoirs. Malgré cette impitoyable répression, des milliers d’opposants ont marché depuis Ankara vers Istanbul, du 15 juin au 9 juillet, entourant le leader de l’opposition. 

"Nous briserons les murs de la peur", a déclaré à la foule Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP), au terme de 25 jours de marche. "Le dernier jour de notre marche est un nouveau départ". La foule estimée à deux millions de personnes s'étalait sur une grande esplanade en bord de mer, près de la prison de Maltepe, un quartier d'Istanbul, où est incarcéré Enis Berberoglu, un député CHP condamné à 25 ans de prison pour avoir fourni au journal d'opposition Cumhurriyet des informations confidentielles, raconte AFP.

Toujours selon AFP, les soutiens de M. Kiliçdaroglu ont comparé cette initiative à la célèbre "marche du sel" de Gandhi en 1930 contre le pouvoir britannique en Inde. "Nous avons écris une légende", a répété à plusieurs reprises M. Kiliçdaroglu. "Vous avez écrit l'histoire".

Les autorités turques ont laissé faire mais n’ont en rien arrêté leur répression des opposants, arrêtant même les responsables d’Amnesty International Turquie.

L’Europe, une fois de plus, ne dit rien. Où se cache donc la politique étrangère européenne ? Elle est enterrée, semble-t-il,  par les politiques nationales et les ententes entre Etats. Qui se passent bien des valeurs communes…

Les populations, elles, marchent. Pacifiquement. Désespérément?

 

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