H comme honneur. I comme Information

Par Théophraste !

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Théophraste Renaudot par Alfred Charron (1894), partie supérieure de la statue érigée devant l'hôtel de ville de Loudun. Photo © Jean-Marie Cailleau - Loudun

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Notre abécédaire du journalisme retrace ici la formidable évolution de la pratique journalistique, du 17ème siècle à aujourd'hui! Vos souvenirs, commentaires, précisions, ajouts sont attendus à l'adresse suivante: gabriellelefevre@entreleslignes.be

L’honneur du journaliste est de faire son métier dans les règles déontologiques, contre les pressions, les menaces et pour l’information sérieuse la plus complète possible du public.

La honte est malheureusement l’envers de ce premier énoncé.

L’habillage c’est en quelque sorte la mise en scène, la manière dont on captera votre regard ou votre écoute afin de garder votre attention que l’on sait volatile. Surtout à présent que quelques secondes suffisent pour que l’on croie être informé… L’habillage c’est notre arme de séduction afin que vous alliez jusqu’au bout de notre article, de notre émission. Il nous faut veiller aussi à ce que l’habillage – une photo trop captivante, une musique ou un fond sonore trop distrayant - ne supplante pas l’info, en général plus austère.

I comme information, investigation

L’information par voie de presse est donc née avec La Gazette de Théophraste Renaudot en 1631 et cela, autre paradoxe, par la grâce de Richelieu qui n’était pas particulièrement démocrate. Renaudot obtient donc du Roi de France le privilège exclusif « de faire imprimer et vendre par qui bon lui semblera les gazettes, nouvelles et récits de tout ce qui s’est passé et passe tant dedans que dehors le royaume, conférences, prix courant des marchandises et autres impressions desdits bureaux (bureaux d’adresse) à perpétuité, et tant que lesdites gazettes, nouvelles (…) auront cours en ce dit Royaume et ce, exclusivement à toutes autres personnes ». (Francis Balle, Information et « désinformation », Encyclopédie Universalis. Les Enjeux)

Mais l’information « savante » s’est nichée, entre le XVII e et le XIXe siècle dans les revues savantes et les hebdomadaires politiques ou culturels en Angleterre principalement. Le journalisme dit littéraire est apparu dans la presse périodique. 

Selon Francis Balle, l’information moderne est née avec le concept d’opinion publique, inséparable de la notion de démocratie à savoir l’émergence d’un Etat qui n’est pas le pouvoir du Prince. Voir Hobbes qui jette les bases de l’Etat moderne et John Locke qui en 1652, fait de l’opinion l’arbitre des vices et des vertus et la meilleure résistance possible contre le prince. Quant à Emmanuel Kant, il institue l’Aufklärung : l’usage public que les savants sont amenés à faire de la raison. « Le critère de la vérité, ainsi que l’explique Francis Balle, c’est le consensus public, la possibilité de communiquer son opinion, ce qu’il nomme dans La philosophie du droit l’accord des jugements ». La presse en devient donc l’instrument privilégié, consacrée par les lois. C’est donc la presse et le parlement qui constituent l’Etat moderne, qui instituent la continuité entre l’opinion publique et la loi, tout en consacrant la dissociation entre l’Etat et la société civile.

Ainsi que le résume Francis Balle, l’expansion d’une presse extrêmement diversifiée et politisée, l’avènement d’une véritable opinion publique et la constitutionnalisation de l’Etat marquent profondément la société moderne européenne de l’ouest et nord-américaine. Le Siècle des Lumières voit s’affirmer ces mutations qui explosent véritablement dans les révolutions du XVIIIe s.

L’information moderne quant à elle apparaît au XIXe siècle : le 1er juillet 1836, Emile de Girardin fonde le quotidien La Presse, en même temps qu’un clerc d’avoué lance Le Siècle, tous deux avec un prix d’abonnement très bas. Aux Etats-Unis en 1833 était apparu le New York Sun, en 1835 le New York Herald . En Angleterre, c’était le Daily Telegraph en 1855 et le Standard en 1857. C’est avec ces titres que l’information touche enfin un grand public grâce au prix d’achat très bas. La commercialisation massive du journal voit son apparition le 1er février 1863 avec Le Petit Journal de Moïse Millaud, qui ne coûte que 5 centimes. Suivent Le Petit Parisien et Le Matin en France. En Grande-Bretagne, les journaux à un demi penny font leur apparition en 1881 avec le Evening News, The Star en 1888. Aux Etats-Unis, il suffit de revoir l’admirable Citizen Kane d’Orson Welles pour revivre la bataille qui opposa le World Pulitzer à Le Journal, fruit de la concentration de deux grands quotidiens new-yorkais.

La presse est donc devenue un produit industriel, disponible au plus grand nombre grâce à son bas prix dû à la publicité commerciale, à son audience que se disputent les titres au nom du libéralisme économique. Les titres se multiplient pour capter les audiences les plus vastes et les plus diverses. Les journalistes pratiquent tous les genres pour diversifier les nouvelles.

C’est dans ce contexte qu’apparut, vers 1920, la radio suivie de la télévision. Un autre grand chapitre de l’histoire de l’information s’ouvre ainsi.

Investigation : tout journalisme digne de ce nom est investigation sinon, il n’y a pas de journalisme. Ce terme est apparu récemment par opposition à une presse de complaisance et particulièrement en France par rapport aux faits divers spectaculaires comme l’affaire du notaire de Bruay en Artois, parallèlement à l’émancipation de la magistrature et l’apparition de « petits juges » qui allaient bousculer l’univers feutré du judiciaire. En Belgique, le journalisme d’investigation a été illustré par des enquêtes sur des affaires judiciaires importantes qui semblaient occultées par la magistrature et le pouvoir politique.

 En pointe : des journalistes de l’hebdomadaire d’extrême gauche Pour, incendié en 1981 par des militants d’extrême droite, car on y dénonçait des « dysfonctionnements » de la gendarmerie, alors corps militaire, et des collusions avec l’extrême droite. Ce journalisme d’investigation acquiert une importance énorme vers 1985 au moment où éclataient chez nous les bombes des Cellules Communistes Combattantes et les tueries des « Tueurs du Brabant ». Quelques journalistes ont alors mené des enquêtes en profondeur alors que la police, les services de renseignements, la magistrature et les politiques tentaient d’étouffer ces affaires ou du moins les interrogations sur le fonctionnement de la démocratie belge qu’elles suscitaient.

Un autre journalisme dit d’investigation s’est développé parallèlement : celui qui enquêtait sur le monde des affaires et la corruption entre celui-ci et des politiciens. La magistrature jouant ici un autre jeu : certains juges, selon leur appartenance politique, donnaient plus ou moins d’informations aux journalistes, les instrumentant pour autre chose que la gloire de l’information.

Le jeu du chat et de la souris entre journalistes, juges et politiciens est illustré jusqu’au drame par les affaires Cools et Agusta, entre autres.

Certains journalistes se sont parés de ce qualificatif d’investigation pour mener leurs propres enquêtes mais parfois pour des motifs purement commerciaux et de gloire personnelle : l’affaire Dutroux allait leur permettre de jouer sur les fantasmes et la souffrance du public, divisant la société entre « croyants » et non croyants la thèse des « réseaux de pédophiles », véritable fable populiste jetant le discrédit sur tout l’appareil judiciaire et politique. C’est en réalité le contraire d’un journalisme dit d’investigation qui doit aller le plus loin possible pour faire éclater la vérité pour servir in fine le bien de la société et de la démocratie. Ce sont des pratiques sensationnalistes fort éloignées des obligations déontologiques des journalistes (vérification des informations, recoupement, refus de l’apologie de la violence, respect de la vie privée, etc.)

A la suite de WikiLeaks et des révélations par Julian Assange et son équipe sur les pratiques de contrôle des opinions publiques par le gouvernement américain, l’investigation n’est plus seulement le fait de journalistes solitaires mais de groupes internationaux de journalistes partageant des millions de données et les analysant en réseau afin de dénoncer les plus grands scandales d’évasion fiscale, de corruption de secteurs entiers de l’économie, des sports, de la finance. Souvenons-nous des « Offshore Leaks », « Luxembourg Leaks », « Panama Papers », « Paradise papers », etc. On assiste à cette occasion à l’émergence des « lanceurs d’alerte » et au débat sur la protection des sources des journalistes.  Il s’agit d’actions internationales et courageuses face aux abus d’une mondialisation néolibérale liberticide et créant de tragiques inégalités socio-économiques.

Quelques sources:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Consortium_international_des_journalistes_d%27investigation

Journalisme d’enquête en France : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2003-1-page-137.htm

Journalisme en réseau : https://forbiddenstories.org/

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Julian Assange est le précurseur du journalisme d’investigation à dimension mondiale. Photo © commons.wikimedia

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