Glyphosate: Phytofar attaque

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Je ne sais pas si Magritte aurait apprécié que l’on utilise son inspiration surréaliste pour servir les intérêts d’une firme dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle a fait preuve d’agissements criminels, contre les humains et contre la nature. Il s’agit évidemment de Monsanto (à laquelle on peut ajouter les autres superpuissantes multinationales de l’agrochimie que sont Dow Chemical, Bayer, Syngenta, BASF, Du Pont).

En effet, Phytofar a introduit un recours au Conseil d’État contre la réglementation wallonne en matière d’utilisation de produits à base de glyphosate  (le tristement célèbre Roundup produit par Monsanto), révèle l’Echo.  Son communiqué de presse arbore fièrement une composition d’homme portant un  chapeau boule noir et arrosant le sol avec un pulvérisateur à l’ancienne et en mention « ceci n’est pas du glyphosate ».Un tel recours avait déjà été déposé contre la Région bruxelloise et il serait question d’une action semblable contre la Région flamande.

L’industrie phytopharmaceutique entend ainsi démontrer l’absurdité d’un système belge  morcelé où les diverses régions prennent des mesures différentes quant à l’utilisation du glyphosate par les particuliers et par les professionnels.

Résumé par Phytofar : « En Wallonie, à Bruxelles et en Flandre, vous pouvez acheter des produits phytosanitaires contenant du glyphosate. L'achat de produits est en fait contrôlé par le gouvernement fédéral. Le gouvernement flamand vient juste de décider qu'à partir de demain, 19 juillet 2017, l'utilisation de produits contenant du glyphosate sera interdite en Flandre pour les particuliers, mais sera autorisée pour les entrepreneurs de jardin qui ont une licence « Phyto ». A Bruxelles, vous ne pouvez pas utiliser ces produits, ni votre entrepreneur de jardin. Mais vous pouvez acheter de tels produits à Bruxelles et votre entrepreneur de jardin peut les utiliser dans votre jardin, si votre jardin est en Flandre. Qu'en est-il de votre maison en Wallonie ? Seul votre entrepreneur de jardin peut encore utiliser le glyphosate jusqu’au 31 mai 2018. Après, c’est momentanément interdit jusqu’au 30 novembre 2018. »

L’industrie considère que ces décisions sont prises selon des considérations politiques et non scientifiques (il faut lire les « Monsanto papers » publiés par Le Monde pour comprendre comment cette firme menace les chercheurs et laboratoires qui ont démontré la dangerosité du glyphosate !)  Comble de mauvaise foi, Phytofar ajoute : « L'ingérence politique dans l'autorisation de produits phytosanitaires mine la confiance et rend les producteurs réticents à investir dans de nouvelles ressources innovantes (même des produits biologiques). »

Donc, quand des pouvoirs politiques veillent à la santé publique et à la protection de la nature, ce qui est leur rôle principal selon les citoyens, il s’agit d’une ingérence inacceptable pour l’industrie qui ne voit là qu’une entrave à ses profits, même lorsqu’il est démontré que sa production est dangereuse pour la santé humaine. De plus, l’industrie menace de ne pas investir dans des alternatives respectueuses de l’environnement.

Intérêts privés contre bien public

Ainsi, nous voilà replongés au cœur de la controverse qui agite les opinions publiques à propos des fameux traités de libre-échange transatlantiques ou avec le Japon : comment sont fixées les normes sanitaires ? Pour protéger les consommateurs à savoir les populations ou les intérêts des firmes multinationales ? Pour être bien certaines d’être protégées, les firmes avaient obtenu des instances de la Commission européenne un système de règlement des différends entreprises-Etats, privé, très coûteux et en général favorable aux entreprises. La pression des mouvements sociaux et citoyens a fait éclater ce scandale et l’on se souvient de la révolte des élus wallons contre le projet de traité Europe-Canada (CETA) aboutissant à un préambule plus contraignant et à la création d’une instance de règlement des différends constituée par des juges professionnels.

Les citoyens européens, eux, souhaitent que ces différends soient jugés par les justices nationales, réputées plus sensibles aux politiques de protection des intérêts des populations et de toute façon obligées d’appliquer les lois nationales (pour autant qu’elles ne soient pas en contradiction avec les normes européennes…)

Les recours introduits par Phytofar en Belgique seront l’occasion d’observer les pouvoirs du Conseil d’Etat et donc des pouvoirs politiques face aux multinationales.

Les citoyens, eux, peuvent toujours recourir à la justice pour faire avancer leurs droits à une protection de leur santé, de leur environnement, des biens communs à toute l’humanité. Rappelons l’initiative du « vrai-faux » tribunal contre Monsanto, que nous avons déjà évoquée dans notre rubrique.

A l’heure où la Belgique et plusieurs pays européens sont secoués par le scandale du Fipronil, à savoir l’avidité d’une jeune « start up » flamande qui a empoisonné le secteur de la production industrielle des œufs, juste pour s’assurer de meilleurs gains au détriment de la santé publique, ce recours de Phytofar représente une véritable provocation de l’industrie. On verra si les politiques et notamment le nouveau gouvernement wallon, sauront relever le défi.

- Phytofar : association professionnelle réunissant les principaux groupes du secteur phytopharmaceutique actifs en Belgique. Son communiqué de presse : http://www.phytofar.be/Files/Upload/Docs/CP_CeciNEstPasDuGLyphosate_170718.pdf

http://www.lecho.be/economie-politique/belgique-bruxelles/Monsanto-Cie-attaquent-l-interdiction-du-Roundup/9925350?ckc=1&ts=1503566164

http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/06/01/monsanto-operation-intoxication_5136915_3244.html

http://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/notre-avenir-chimique-%C3%A0-la-sauce-europ%C3%A9enne

http://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/multinationales-les-citoyens-demandent-justice

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Gabrielle Lefèvre, Eric David : « Juger les multinationales », éd. GRIP/Mardaga.

 

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