Dans les veines

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

Un an que je vis dans la rue et le monstre Hiver s’approche de moi comme un démon tout puissant. Le matin, je sens déjà son haleine glaciale sur mon visage et ses mains puissantes qui s’emparent de mes orteils sans défense. Cette année, le monstre aura ma peau, c’est sûr. L’hiver n’est pas le seul démon de la rue. Des bandes d’extrémistes armés de battes de baseball veulent nettoyer l’Occident de ses déchets. Ce n’est pas parce que je vis parmi les déchets que j’en suis un. Je ne suis pas leur seule cible. Ils s’en prennent aussi aux étrangers qui, d’après eux veulent coloniser l’Occident blanc et chrétien. Des dingues, ces mecs. Gus, un SDF comme moi semble avoir trouvé une parade. Des ouvriers qui travaillent dans les égouts ont oublié de refermer le socle en fonte qui mène au sous-sol. Le monde souterrain nous est ouvert. Une bonne solution contre le monstre Hiver et les démons néo-nazis. Gus et moi, nous sommes descendus dans les veines de la cité, bientôt suivis par une famille de pauvres, expulsés de chez eux pour ne avoir pas avoir payé le loyer. Ils sont trois : Henri et Mathilde, les parents et Oscar, leur fils : « On aimerait bien payer le loyer mais on ne peut pas. », répète Mathilde. Ils nous considèrent comme des voleurs mais on n’a pas d’argent !

C’est pas trop mal les égouts. Nous déroulons nos sacs de couchage sur la plateforme en métal qui court au-dessus des eaux usées. On se réchauffe aux déjections des citadins nantis. Les rats qui, nous dit-on sont des animaux intelligents y vivent. Alors, pourquoi pas nous ? Sous nos yeux, sur l‘eau du canal souterrain principal, défile le trop plein des gens qui habitent l’étage du dessus. Des déchets, des excréments, des eaux usées mais parfois des aliments et des objets inviolés dans leur sachet plastique. Ils ont trop là-haut. On voit bien qu’ils ne savent plus quoi faire de leur bouffe et de leurs achats. Ils les vomissent jusque dans les profondeurs de de la ville. Gus est le roi de la pêche en eaux sales. A l’aide d’un bâton, il parvient à récupérer des objets neufs et de la nourriture L’odeur est pestilentielle ici car l’eau ne charrie que des déchets. On serait mieux près d’une source d’eau pure dans la montagne

- Où file l’eau des égouts ? je demande à Gus.

  • Elle se déverse dans la mer, je suppose, dit-il
  • La mer, c’est par là ? demande Oscar en montrant le bout du tunnel. Je ne l’ai jamais vue, la mer.

Le lendemain, quand je me réveille, Gus et Oscar ont pris place dans une poubelle noire et profonde qu’ils ont prise dans le local réservé aux égoutiers. Gus leur a également volé un balai au sommet duquel il a accroché un caleçon qui fait office de pavillon noir.

- Nous sommes des pirates, dit fièrement Oscar.

- Nous partons pour la mer, m’annonce Gus. A ses côtés, Oscar, avide d’aventures est tout sourire. Le départ est donné. Gus utilise le balai comme une gaffe contre le mur du tunnel pour donner une impulsion au bateau. Je ne vois que les doigts d’Oscar arcbouté au bastingage qui nous lance des » Au revoir, Au revoir ! ».

- Au revoir, moussaillon, je lui réponds. La poubelle vogue sur le canal souterrain et, très vite, disparait dans le premier tunnel.

A mes côtés, Mathilde est en larmes.

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- Vous êtes triste parce que Oscar s’en va ?

- Non, je suis émue parce qu’il va enfin voir la mer.

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