Dans la station

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

Les autorités, comme d’habitude, ne nous ont pas laissé le choix mais nous ont bien vendu l’idée. Désormais, les maisons de retraite sont interdites sur terre. Les vieux finiront leurs jours dans une station spatiale qui sera mise sur orbite autour de la planète : « Ce sera une nouvelle expérience, ont scandé les autorités, vous découvrirez votre planète comme jamais vous ne l’avez vue ! » Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on est con. Mon imbécile de fils a marché à fond dans cette absurdité : Il est arrivé un jour chez moi en criant : « Maman, Maman ! Bonne nouvelle ! Tu pars pour l’espace ! ». Il faut dire que l’idée arrange tout le monde. Depuis l’épidémie du covid-19, on se méfie des vieux qui collectionnent le virus et du personnel soignant qui pourrait le transmettre. On nous a donc équipé d’un casque, d’une combinaison spatiale et nous avons embarqué, nous les vieillards choisis pour habiter la première maison de retraite spatiale. Le début du voyage fut pénible. La fusée qui devait nous permettre de rejoindre la station spatiale était si puissante qu’au décollage j’ai cru que j’allais avaler mon dentier. Depuis, dans la station de retraite, nous nous adaptons vaille que vaille à nos nouvelles conditions de vie. Evidemment, les visites sont rares. Nos familles restées sur terre culpabilisent alors qu’à nous, elles manquent. Le problème, c’est la promiscuité. Des centaines de vieillards, du personnel hospitalier et des membres d’équipage dans une station spatiale c’est trop. Nous sommes trente dans ma chambre dont Huguette, 75 ans, qui claironne sans arrêt que ses enfants ont fait de brillantes études puisque son fils aîné travaille à la NASA et que le cadet est spationaute à Baïkonour. Pour échapper à sa logorrhée, il suffit de se boucher les oreilles ou de devenir sourd, une qualité tout à fait accessible à mon âge mais le plus grand risque est ailleurs. Nos cerveaux son tellement proches et fragiles que les pensées des autres risquent de nous contaminer. La pandémie de la pensée unique nous guette. C’est pourquoi, je passe beaucoup de temps auprès des jeunes infirmiers. J’accueille avec délectation leurs histoires d’amour et leurs souvenirs érotiques.

Quand mon cerveau est trop proche de celui d’un gâteux qui radote, j’actionne mes cloisons étanches, mes barrières intelligentes et je pense aux jours heureux et lointains. Piètres défenses contre la pensée unique et volubile des vieux qui ressassent leur vie jour et nuit dans l’espoir d’y trouver une pépite d’or. Pas facile d‘échapper à la pensée unique quand on est confiné dans un espace minuscule. J’ai demandé au personnel de bord l’autorisation de rester quelques minutes à l’extérieur de la station avec l’équipement adéquat mais on m’a refusé catégoriquement toute sortie. Les seuls qui sont autorisés à quitter la station sont les morts car des dizaines de cercueils regagnent la terre tous les jours pour être enterrés et pleurés.

Aujourd’hui, je mange à la cafétaria avec la centaine vieillards de la maison de retraite. Et ce qui devait arriver arriva : Je viens de penser : « Tout était mieux quand j’étais jeune ». Catastrophe !

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