D. Vidal: L’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme

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Par | Journaliste |
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L'affiche de la campagne lancée par l'Association belge-palestinienne dénonçant les 50 ans d'occupation israélienne de la Palestine, en toute impunité.

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«Théodore Herzl, réveille-toi, ils sont devenus fous!», s’exclame Dominique Vidal, journaliste (Monde Diplomatique) et historien lors d’une conférence «Du sionisme au post-sionisme» (1). Il dénonce d’emblée l’usage abusif des termes «antisionisme» et «antisémitisme» utilisés par la propagande israélienne et reprise par Manuel Valls notamment, à propos du BDS. Il souligne que la France est le seul pays au monde à interdire le boycott d’Israël, le considérant comme une provocation à la discrimination, à la haine et à la violence en utilisant pour cette fin une loi sur la presse datant de 1881! La liberté de la presse et aussi la critique et l’opinion sont ainsi réprimées.  Ce faisant, les politiques français banalisent le terme d’antisémitisme puisque les critiques actuelles visent la politique du gouvernement israélien le plus extrémiste qui ait existé et pas les Juifs en tant que tels.

Récemment, cette confusion entre les termes a été relancée en Belgique par des opposants à la campagne initiée par l’Association belgo-palestinienne «50 ans sous occupation», illustrée par l’affiche «Effaçons l’occupation, pas les Palestiniens» (2). Le droit à l’existence de l’État d’Israël n’est jamais remis en question par ces militants des droits des Palestiniens. Mais la seule critique des politiques gouvernementales israélienne est à nouveau taxée d’antisémitisme. La confusion entre antisionisme et antisémitisme est volontaire car elle entend éviter le vrai débat de fond sur des politiques gouvernementales, explique Dominique Vidal. Pourtant, le sionisme n’est pas en cause puisqu’il a atteint ses objectifs en 1948 avec la naissance de l’État d‘Israël, État juif à côté d’un État arabe, ainsi que l’avait décidé l’assemblée générale des Nations Unies.

Le mythe du sionisme

Que signifie le «peuple juif», interroge Dominique Vidal? Comment le définir? Il ne s’agit pas d’une race, ni d’un territoire, ni d’une langue, ni d’une religion. Ainsi, 80% des Juifs de France ne sont pas religieux. Que signifie alors le concept de «retour des Juifs»? L’historien Schlomo Sand parle de «peuple inventé» et déconstruit le mythe sioniste fabriqué sur une prétendue expulsion des Hébreux de cette terre alors occupée par les Romains. Or les occupants romains n’ont jamais expulsé des peuples occupés. Il n’y a donc aucun droit au retour, historiquement validé. 

Le conférencier rappelle aussi que le sionisme a bénéficié d’abord de l’appui de la Grande-Bretagne qui défendait ainsi ses intérêts dans la région: le canal de Suez et l’industrie pétrolière naissante. Cela s’alliait bien avec un État juif comprenant une population arabe «soumise». Ainsi, naissait une nation avec sa langue, ses services publics, son armée, ses institutions (l’Agence juive et le Conseil national) et une population grandissant rapidement puisque les horreurs du nazisme ont accéléré l’immigration juive en Palestine. Le sionisme, une idéologie ultra minoritaire, a donc été bouleversé par le génocide qui se chiffre à plus de six millions de Juifs massacrés par les nazis: il faut en effet ajouter ceux qui ont été tués en Pologne et en URSS et qui n’ont pas été identifiés comme Juifs.

Pour Ben Gourion, seul un État patrie pouvait sauver le peuple juif. Cela se fit au détriment du peuple palestinien qui a été gommé de l’histoire pour les intérêts des occidentaux, souligne Dominique Vidal. Car, dit-il, les survivants du génocide en Allemagne et en Pologne ne pouvaient pas rentrer chez eux à cause de l’antisémitisme de la population, mais ils n’étaient pas autorisés à se réfugier aux États-Unis pour la même raison. Voilà pourquoi ils ont gagné le nouvel État juif.

Le sionisme a toujours été l’objet de fortes contestations parmi les Juifs. Avant la guerre mondiale, nombre d’entre eux étaient communistes ou sociaux-démocrates, d’autres encore, parmi les Juifs orthodoxes attendent le venue d’un messie pour constituer un État juif. La radicalisation des sionistes a été marquée tragiquement en 1995 lors de l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin par la droite et l’extrême-droite qui l’accusaient d’avoir vendu la Palestine à Arafat.

De la colonisation à  l’annexion

L’extrémisme triomphe aujourd’hui avec le Foyer juif de Naftali Bennett dans le gouvernement de Benyamin Netanyahu. Grâce à l’arrivée de Trump au pouvoir aux Etats-Unis, le rêve des ultras du sionisme se concrétise par un tournant dans la colonisation juive puisqu’on en arrive à l’annexion pure et simple des terres palestiniennes.

Dominique Vidal énumère les lois liberticides votées ces dernières années en Israël et qui, selon lui, caractérisent un processus de fascisation de cette société:

  • Une loi de 2011 interdisant aux Palestiniens de commémorer la Nakba de 1948, date d’instauration de l’État d’Israël après un nettoyage ethnique impitoyable qui a poussé des milliers d’entre eux à un exil douloureux. Cette loi interdit aussi à tout organe public subventionné par des fonds d’État de déclarer qu'Israël ne doit pas être un État juif, et que les pratiques du gouvernement sont antidémocratiques.
  • Loi ségrégation : les villes et cités créent des comités d’admission qui décident si des personnes désireuses de s’installer dans la localité sont jugées « convenables».  Une nouvelle discrimination à l’encontre des Palestiniens d’Israël mais aussi envers les gays.
  • La loi ONG vise principalement les humanitaires et les défenseurs des droits humains. Elle les oblige à déclarer les subventions qu’elles reçoivent de l’étranger. Cela ne concerne  pas les associations privées qui reçoivent des dollars des Américains, principaux soutiens aux colons.
  • Une loi permet à 90 députés sur 120 d’expulser des députés de la Knesset. Les Palestiniens en sont la principale cible.
  • La loi BDS autorise Israël à refouler hors du territoire les personnes, associations et entreprises qui appellent au BDS (Boycott. Désinvestissements. Sanctions).
  • Une loi interdit à l’association «Breaking the Silence» d’intervenir dans les établissements d’enseignement.

Deux États?

Alors que toute la société israélienne est concernée elle aussi par ces lois, la majorité de la population, entretenue dans une paranoïa permanente par le gouvernement (peur de Gaza, de l’Iran…) conforte le pouvoir en place. 48 % des Juifs israéliens se prononcent pour une expulsion des citoyens «arabes» d’Israël. L’ambition sioniste radicale d’occupation de toute la «Judée-Samarie» a aujourd’hui le vent en poupe.

La solution de deux États, telle que décidée par les Nations Unies, est rendue impossible par cette politique affirmée d’annexion des terres et de l’eau par Israël. L’État binational serait idéal sur les bases de l’Etat laïque et démocratique voulu par Yasser Arafat et le rêve des socialistes juifs, deux peuples imbriqués étroitement par la colonisation, ayant une seule frontière, une seule capitale, deux droits au retour, celui des Juifs et des Palestiniens… Mais les peuples n’en veulent pas, constate Dominique Vidal. Les Palestiniens redoutent le renforcement de l’apartheid (reconnu par les NU comme un crime contre l’humanité, soulignons-le), surtout après le vote de la loi de «régularisation» qui admet l’accaparement des terres palestiniennes par les colons. Les extrémistes juifs veulent priver les Palestiniens de leurs droits politiques. Heureusement, l’actuel président d’Israël Reuven Rivlin affirme le droit à une citoyenneté pour tous.

Dans notre monde où toute l’architecture international est ébranlée par la vague populiste, les espoirs de paix sont minces. Les pressions de la communauté internationale sont timides. Seule reste la force des mouvements sociaux et citoyens: le BDS est appliqué non seulement par des citoyens mais aussi par des fonds de pension, des grandes entreprises, des banques. On estime que cela coûte quelque 4 milliards de dollars par an à Israël, selon une récente étude américaine, souligne Dominique Vidal.

Dans les pays arabes, on assiste à une contradiction forte entre la position des dirigeants et celle des populations qui sont en majorité pro-palestiniennes. La menace iranienne offre un prétexte à une coalition entre des régimes arabes (sunnites et pétroliers) avec Israël contre l’Iran (chiite et riche en pétrole mais pro-russe). Des troubles graves sont donc à prévoir, annonce Dominique Vidal, qui craint un délire guerrier de Donald Trump contre l’Iran.

(1) Le 11 mars 2017 à l’Espace Delvaux à Watermael-Boitsfort dans le cadre d’un cycle de conférences et d’animations « Cent ans de conflit en Palestine ». Voir à ce sujet notre article http://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/isra%C3%ABl-un-etat-juif-pour-le-pire

(2) http://www.association-belgo-palestinienne.be/ http://www.stop-occupation.be/

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