Charlie, trois ans, toujours vivant

Emois et moi

Par | Journaliste |
le

Le dessin que Jean-Claude Salemi avait fait le jour même, soit le 7 janvier 2015.

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Lecture 3 min.

Je me souviens. C'était le 7 janvier 2015. La matinée, dans mon bureau, s'annonçait studieuse. L'un de mes deux plus jeunes fils était assis à deux mètres de moi, étudiant ses examens; l'autre était à la bibliothèque de l'ULB. En 2015, j'avais parié que je publierais chaque jour un billet sur mon blog. J'étais en train de lire mon courrier et de consulter la presse en ligne. À un moment donné, j'ai dit, la voix étranglée: «Il se passe quelque chose à Charlie Hebdo». Mon fils s'est arrêté d'étudier. L'autre a commencé à chatter. «Tu as vu ce qui se passe?». D'un coup, toute la bibliothèque de l'ULB se mit à bruire de la rumeur terrible. Celui qui était près de moi me raconta plus tard qu'il n'aurait jamais pensé qu'être journaliste pouvait amener à la mort, sauf à être correspondant de guerre. Il m'avait regardé avec une inquiétude affectueuse, comme si j'étais un rescapé de l'enfer. Il n'avait même pas dix-huit ans...

Ce jour-là, voilà ce que j'ai écrit. Je n'en change pas un mot.

Bien sûr, j'écris ces lignes sous le coup de l'émotion. Mais je suis assez calme pour rappeler très élémentairement que pas plus que sans la liberté de blâmer, il n'est point de louange flatteuse, sans la liberté de provoquer, il n'y a plus que du politiquement correct, du conformisme et que si l'eau tiède lave fort bien les consciences, elle fait très mal pousser ces plantes que sont la liberté ou la laïcité.

S'il s'avère que des plumes aussi réputées que Charb, Wolinski, Cabu ou Tignous figurent bien parmi les victimes du massacre qui a été perpétré voici trois heures à Paris, qui sérieusement même parmi les adorateurs les plus bornés des intégrismes les plus intolérants pourrait croire que cela fera taire les autres?

Le propre (si ce mot mérite d'être employé en ce cas) des terroristes est d'essayer de faire peur; tous les totalitarismes s'y emploient et je sais bien, moi, modeste journaliste ouest-européen aux racines multiples, qu'ils n'arrêteront pas demain, quelle que soit la violence de la répression qui pourrait s'abattre sur eux. Le combat est inégal: nous ne pouvons pas, nous, perdre nos valeurs. Ils le savent aussi. Si nous les perdons, eux gagnent comme un kamikaze peut gagner à ses propres yeux au moment de l'explosion: ils nous auront détruit moralement, ce serait bien plus grave. Donc ne démissionnons pas. Et persévérons, de cette persévérance qui n'est pas diabolique mais libertaire.

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Non, Charlie, t'iras pas au paradis. Pour une bonne et simple raison: il n'y a pas de paradis. Le ciel est vide et les traînées de sang dont les zélateurs des prophètes souillent notre terre ne vengeront jamais aucun dieu. Nous, sur la terre, nous avons mal; nous n'aimons pas les tueurs psychopathes. Nous aimons rire. Nous aimons vivre. Et c'est ici et tout de suite, la vie. Arrêtez de croire que nous allons nous soumettre. Nous gagnerons. Vous avez perdu, déjà, et votre acte barbare est l'expression même de votre défaite. Vous n'opposez aux idées que le couteau et la mitraillette. Les corps meurent mais les dessins de Charb, de Cabu, de Wolinski et de Tignous resteront, quand bien même vous les brûleriez cent fois, mille fois. Pensez-vous être les premiers à avoir essayé?

Nous estimons que l'homme est perfectible mais nous n'avons jamais dit qu'il était parfait. Nous espérons que le progrès est possible mais nous n'avons jamais assuré qu'il était continu. Nous voulons que la tolérance s'installe et vous savez quoi? Nous avons déjà commencé, nous. Essayez. Vous verrez. Ce n'est pas si difficile. À peine un peu plus qu'appuyer sur la détente d'une kalachnikov.

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