C'est mieux comme ça

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge goldwicht

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Lecture 5 min.

Tout a commencé quand mon ordinateur m'a désobéi. J’avais beau marteler les touches, rien n’apparaissait à l’écran. C’est peut-être cela la crise de la page blanche. Après des centaines de tentatives, j’ai dû me résoudre à revenir au bon papier fidèle et au stylo toujours prêt à rendre service.

J’ai couvert plusieurs pages du carnet de mon écriture maladroite. J’étais satisfait de ce que j’avais écrit. Des phrases émanait une musique qui me plaisait et qui transcrivait précisément ma pensée. Le carnet, je l’ai rangé dans la bibliothèque comme je le fais tous les jours mais, au matin, quand j’ai voulu me relire, les pages étaient vides. Où sont passés mes écrits ? J’ai mis du temps à les retrouver. Les phrases s’étaient enfuies dans les livres voisins pour former des mots plus précis et des phrases mieux écrites. Au côté de mon carnet se trouve un livre de Henri Michaux Je l’ouvre et lis : « J’ai maudit ton front, ton ventre, ta vie, j’ai maudit les rues que ta marche enfile, les objets que ta main saisit, j’ai maudit l’intérieur de tes rêves » Je reconnais mes mots écrits la veille mais ils se sont mieux ajustés, ciselés, burinés et rangés à leur manière. Les mots seraient des migrants qui fuient les pages quand ils sont torturés, malmenés et affamés ? Les mots qui font naufrage entre deux livres sont transformés en poussière qui envahit ma bibliothèque. De la poussière, il y en a plein. Des mots oubliés et séchés. Des fossiles de mots. Afin d’observer le phénomène, je décide de passer la nuit devant ma bibliothèque. J’installe une chaise, une couverture et me prépare du café car la nuit sera longue. Je m’attends à tout. Verrais -jje des lettres passer de mon carnet aux livres en volant ? J’attends. La littérature est lente, tellement lente. J’ai l’impression d’observer la vie d’une famille de gastéropodes qui ne bave pas. Je me suis probablement endormi quelques minutes car, à mon réveil, tout a changé. Au premier coup d’œil, je ne remarque rien mais en y regardant de plus près, je découvre que mon carnet est ouvert et qu’un livre s’est introduit entre ses pages. Mon carnet et ce livre ne sont pas les seuls à s’accoupler dans ma bibliothèque. Le Marquis de Sade a pénétré la bible et Bataille le coran. Même les livres en langue étrangère baisent allègrement. Les livres illustrés de mes enfants se sont introduits dans les livres d’art. Normal, les images s’attirent. J’ignorais que les livres faisaient l’amour mais rien ne m’étonne et j’en suis plutôt satisfait. Le lendemain, j’ai écrit une nouvelle dans mon carnet pour le site d’information « Entre les lignes » comme je le fais régulièrement. Je n’étais pas complètement satisfait de ma nouvelle car mon style est trop lourd et bien maladroit. Il manque de souplesse et de liant. Ce que j’écris semble avoir été tracé au marteau-piqueur . Aussi j’ai tenté une petite expérience en rangeant mon carnet dans la bibliothèque juste à côté d’un exemplaire de Madame Bovary édité par le Livre de poche. Et voici, ce que j’y ai découvert quelques jours plus tard.

"Le lendemain fut, pour Emma, une journée funèbre. Tout lui parut enveloppé par une atmosphère noire qui flottait confusément sur l'extérieur des choses, et le chagrin s'engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d'hiver dans les châteaux abandonnés."

- Ma femme ne s'en occupe guère, dit Charles ; elle aime mieux, quoiqu'on lui recommande l'exercice, toujours rester dans sa chambre, à lire.

- C'est comme moi, répliqua Léon ; quelle meilleure chose, en effet, que d'être le soir au coin du feu avec un livre, pendant que le vent bat les carreaux, que la lampe brûle ?...

- N'est-ce pas ? dit-elle, en fixant sur lui ses grands yeux noirs tout ouverts.

- On ne songe à rien, continuait-il, les heures passent. On se promène, immobile dans les pays que l'on croit voir, et votre pensée, s'enlaçant à la fiction, se joue dans les détails ou poursuit le contour des aventures. Emma lit et imagine la vie à Paris, au point d'en oublier semble-t-il, toute réalité:

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" C'était une existence au-dessus des autres [...], quelque chose de sublime. Quant au reste du monde, il était perdu, sans place précise, et comme n'existant pas. Plus les choses, d'ailleurs, étaient voisines, plus sa pensée s'en détournait. Tout ce qui l'entourait immédiatement, campagne ennuyeuse, petits bourgeois imbéciles, médiocrité de l'existence, lui semblait une exception dans le monde, un hasard particulier où elle se trouvait prise, tandis qu'au-delà s'étendait à perte de vue l'immense pays des félicités et des passions.

C’est beaucoup mieux que ma nouvelle, non?

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