Cachemire-Inde: le “siège numérique”

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Par | Journaliste |
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Arundhati Roy, flamboyante et engagée pour les droits humains. © F. Mantovani Gallimard

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Lecture 5 min.

Si vous désirez vous plonger dans la jungle humaine de Dehli et découvrir un condensé de l’incroyable diversité de cet immense sous-continent qu’est l’Inde, alors, lisez « Le Ministère du Bonheur Suprême » de cette très talentueuse autrice qu’est Arundhati Roy. Souvenez-vous du succès planétaire remporté par son livre « Le Dieu des Petits Riens ».

La recherche du bonheur est bien ce qui nous meut quelle que soit notre culture, notre situation dans le monde. Quel que soit notre sexe, aussi. L’autrice nous emporte dans l’univers méconnu et souvent réprimé des hermaphrodites, transgenres, bisexué.e.s, homosexuels, lesbiennes où la survie dépend le plus souvent de la prostitution.

Autour d’un enfant portant les deux sexes, et décidant de sa propre identité à l’adolescence, se regroupent quantité de personnages champions de la survie, de la débrouille, de la merveilleuse philosophie de la solidarité des plus pauvres, des plus menacés à cause de leur étrangeté.

Une répression sanglante

Au-delà de ce fascinant voyage dans l’humanité, l’autrice nous emporte, par ricochet, dans une description extrêmement dure du conflit sanglant qui martyrise la population du Cachemire, à majorité musulmane, occupé sans pitié par les forces armées indiennes.

Elle raconte la résistance populaire, l’impitoyable répression de l‘occupant indien, le sort tragique réservé aux femmes dans ces sociétés, encore pire lorsqu’elles sont combattantes et prisonnières.

Ainsi, par le biais de ce roman foisonnant, elle nous force à remettre dans la lumière ce conflit qui nous paraît si lointain car peu abordé par les médias occidentaux. En 2010 déjà, Arundhati Roy avait créé une onde de choc en déclarant publiquement, en présence du leader indépendantiste Syed Ali Gilani (guérilla maoïste dite naxaliste) : « Le Cachemire n’a jamais fait intégralement partie de l’Inde. C’est un fait historique que même le gouvernement indien a accepté. » A la suite de quoi, les ultra-nationalistes hindous pourchassent l’autrice et elle subit des menaces pour cause de sédition.  Voilà ce qu’elle a déclaré au Hindustan Times en 2010 : « Je plains la nation qui musèle ses écrivains lorsqu’ils disent ce qu’ils pensent. Je plains la nation qui met en prison ceux qui réclament justice pendant que les assassins, les escrocs à col-blanc, les pillards, les violeurs et ceux qui exploitent les plus pauvres parmi les pauvres restent libres. »

A l’heure où l’Inde est gouvernée par un président d’extrême-droite, la répression est encore plus dure. Certaines informations nous parviennent cependant. Ainsi, le CETRI vient de publier une analyse d’une forme moderne de répression des populations : le « siège numérique ». « Il y a un peu plus d’un an, le 5 août 2019, l’Inde révoquait l’autonomie qui régissait le statut du Cachemire depuis 1947. Cette escalade sans précédent contre le droit à l’autodétermination des Cachemiris s’est accompagnée d’un « siège d’internet » aux conséquences dramatiques, comme le révèle un rapport fouillé de la « Jammu Kashmir Coalition of Civil Society » (JKCCS) . La conclusion du rapport est sans appel : « le siège numérique affecte la vie des Cachemiris ordinaires, entraînant l’étouffement et l’effacement de leurs droits humains, de leurs opportunités et de leurs aspirations. Ce siège est un moyen délibéré de rompre les liens sociaux, économiques et politiques entre les Cachemiris, tout en les isolant du reste du monde. Pour la population déjà vulnérable du Jammu-et-Cachemire, qui vit dans un état de guerre perpétuelle et d’urgence permanente, ces mesures instaurent un « apartheid numérique » qui constitue une forme de traitement discriminatoire et de punition collective systémique et généralisée. »

Le combat d’Arundhati Roy est celui de nombreux défenseurs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Un des aspects les plus importants du droit international d’après la seconde guerre mondiale, et qui vise à remplacer les armes par la négociation sous l’égide de Nations Unies. Cependant, la force de paix n’est pas suffisante si l’on en juge par les interminables conflits qui ensanglantent la Palestine colonisée par Israël, le Sahara Occidental colonisé par le Maroc, pour ne prendre que les exemples les plus proches de nous. Des exemples qui soulignent l’impuissance des Nations unies et des Etats qui la composent à faire triompher la justice, à protéger les plus faibles, à contraindre les Etats voyous qui occupent militairement et colonisent des territoires qui ne leur appartiennent pas.

En ce qui concerne le Cachemire, la situation est rendue plus dure encore pour les populations locales car, en août de cette année, le gouvernement nationaliste hindou de New Delhi, dirigé par Narendra Modi, a révoqué sans la moindre procédure démocratique, le statut d'autonomie constitutionnelle de l'État du Jammu-et-Cachemire. Le but est clair : « hindouiser » le Cachemire sous prétexte de le « pacifier ». Quels sont les Etats qui empêcheront cela ? Quelles rétorsions internationales contre cette nouvelle attaque contre le droit international ? A cause de la faiblesse internationale, le sang coulera encore longtemps au Cachemire.

En savoir plus :

https://www.cetri.be/Un-an-de-siege-numerique-au

https://www.lepoint.fr/monde/le-coup-de-force-de-narendra-modi-sur-le-cachemire-indien-07-08-2019-2328692_24.php#

https://www.amnesty.be/veux-agir/agir-ligne/petitions/cachemire-expression-petition?s=2019-0135%3A33436917-b383c004-3a51-4b5c-a241-1cad846917a3

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https://www.hrw.org/fr/news/2019/08/19/inde-il-faut-proteger-les-droits-des-habitants-du-cachemire

 

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