25.000 euros, le prix d’une (chienne de) vie

Une édition originale

Par | Journaliste |
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Ni rage ni désespoir; seule, troublante et dramatique, la vérité.

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La Trois diffusait hier soir un documentaire sur le procès de l’amiante en Italie. Celui-ci s’est ouvert en 2009 à Turin et a vu, au terme de 3 années de procédure, la condamnation des patrons d’Eternit, le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny et le baron belge Louis Cartier de Marchienne, du chef de de « catastrophe criminelle » et d’« homicides par négligences criminelles ». Ils ont été jugés responsables de la mort de 2 889 personnes (au moins), au cours du plus grand procès jamais organisé sur le drame de la fibre mortelle.

Moi pas savoir

L’axe de défense des accusés a toujours été de nier le fait que les effets délétères de l’amiante chrysotile leur étaient connus. Sauf qu’un patron maniant l’amiante dans les années 1970 ne pouvait ignorer que la nocivité de cette substance est notoire depuis le début du 20e siècle. À cette époque, on enregistrait déjà un grand nombre de décès parmi les travailleurs de l’industrie de l’amiante. C’est dans les années 1930 que l’on a commencé à suspecter son caractère cancérogène. En 1955, l’enquête épidémiologique de Richard Doll dans une usine textile d’Angleterre apporte la preuve du lien entre exposition à l’amiante et cancer du poumon. Pour le mésothéliome, c’est en 1960 que Wagner établit le lien entre l’amiante et cette maladie. Son étude portait sur 33 cas de mésothéliome provenant pour la plupart de la zone de la Province du Cap, en Afrique du Sud, où était exploitée une mine de crocidolite : parmi ces cas, 28 concernaient des personnes ayant travaillé dans la mine ou ayant vécu à proximité. Ce n’est pas un mystère que l’industrie a tout fait à l’époque pour que ces études ne soient pas diffusées. Mais les industriels du secteur étaient bel et bien les premiers informés.

Pendant l’agonie, les affaires continuent

Les juges italiens ont fini par reconnaître le tort causé aux travailleurs en condamnant les responsables, chose que la justice internationale ne s’est toujours pas résolue à faire à l’égard notamment de Saint-Gobain (dont Eternit est une filiale), malgré le dépôt de plusieurs milliers de plaintes en France notamment. Aujourd’hui, près d’un demi-million de personnes se savent condamnées à mourir à plus ou moins court terme des suites de l’exposition à l’amiante chrysotile. Joie dans les chaumières ! Le plus souvent, dans un dénuement total, puisqu’ils ne perçoivent aucune indemnité d’invalides. Et ce, alors que Saint-Gobain annonce des profits records. Pendant l’agonie, les affaires continuent.

Certes, Saint-Gobain a été condamné en 2013 en France pour le décès d’un ouvrier exposé à l’amiante pendant 22 ans. La famille a reçu 107.500 euros, dont 23.000 euros pour les souffrances physiques et morales endurées par la victime. Le prix d’une vie. Une goutte d’eau dans l’océan des profits de Saint-Gobain. En Belgique, en mars dernier, la cour d’appel de Bruxelles a condamné Eternit à payer 25.000 euros de dommages et intérêts à la famille de Françoise Jonckheere, décédée en 2000 d’un cancer de la plèvre dû à l’inhalation de poussière d’amiante. Deux personnes, sur des dizaines de milliers de victimes.

Vers un non-lieu ?

Pour la plainte collective, qu’on n’appelait pas encore à l’époque « class action », c’est plutôt mal barré. Il y a quelques semaines, en France, le parquet a requis, à la consternation générale, l’arrêt de l’instruction dans plusieurs dossiers ouverts par des familles de victimes. Selon Libération (28/06/2017), « la probabilité est désormais grande, maintenant, que les juges d’instruction suivent cet avis et décident d’un non-lieu, ce qui rendrait donc très hypothétique la tenue d’un procès. Cette perspective déclenche un mélange d’incompréhension et de colère du côté des défenseurs des victimes. « Cette affaire est l’une des plus grandes catastrophes sanitaires que la France ait connues. La justice a travaillé durant vingt ans et les réquisitions du parquet sont en contradiction avec ce qu’écrivent les experts », estime Sylvie Topaloff, avocate de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). »

C’est pas demain qu’on ira tourmenter les actionnaires de Saint-Gobain pour des peccadilles. Circulez, y a rien à voir. D’ailleurs, Eternit a changé de nom, suivant l’exemple édifiant d’Union Carbide (devenu Ucar depuis Bhopal). Et comme cette dernière, c’est en Inde qu’elle déverse aujourd’hui, sous le nom d’Etex, son poison dans la nature. Comme le rappelle Le Vif (24/03/2017), à Kymore, des milliers d'habitants vivent sur des tonnes de débris d'amiante. Résultat de déversements sauvages pendant des années par une usine locale. La multinationale belge Etex (ex-Eternit) en a détenu 50 % des parts entre 1989 et 2002. »

À propos, connaissez-vous le slogan d’Etex, responsable de milliers de morts par inhalation d’une fibre tueuse ? « Inspiring way of living ». Allez-y : inspirez, expirez.

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