Exodus septante-six +

Journaliste punk

Par | Journaliste |
le

Photo d'archives de l'Exodus en 1947. Photo libre de droits tirée de Wikipédia.

commentaires 0 Partager
Lecture 10 min.

«Le temps ne fait rien à l’affaire», chantait Brassens. Et de fait, il y a un parfum d’éternité dans le récit qui suit. Où l’on se love dans la haine. Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?[1] pourraient psalmodier les victimes, à l’instar de Jésus sur la croix. Sauf qu’ici, les morts sont anonymes et privés de sépulture. Au commencement était un essai de démocratie laïque et la transformation d’un désert en jardin. C’était il y a 76 ans.

Il faut le dire, l’écrire et l’affirmer; la politique délirante menée par «Bibi» Netanyahou, certes démocratiquement élu, désespère une grande partie des Israéliens et offre à ses opposants une voie royale pour établir des parallèles, souvent simplistes, entre l’attitude de Tsahal et la Shoah. Une sorte de Point Godwin à la sauce proche-orientale, comme un cadeau à ses adversaires palestiniens qui n’en demandaient pas tant. Netanyahou et son gouvernement fortement teinté d’extrême-droite et de radicalité religieuse ont tout mis en place pour susciter[2] les baffes mortifères que le Hamas leur inflige.

Une rhétorique bien huilée

Immédiatement après l’attaque du 7 octobre jaillissent les justifications dans les rangs des habituels défenseurs de la cause palestinienne; oui, l’attaque du Hamas est odieuse, mais voilà, le gouvernement israélien l’a bien cherché par sa politique d’«apartheid»[3] et sa rage colonisatrice des territoires occupés. Dès le lendemain des attentats sanglants, l’édito du quotidien Le Soir, qu’on a connu mieux inspiré, s’engouffrait dans la brèche; les cadavres encore tièdes, déjà sa rhétorique pro-palestinienne[4], bien huilée par des années de service, s’enclenchait sans même prendre la peine d’une analyse des faits un tant soit peu circonstanciée. Or si cette analyse n’est pas faite, à quoi sert encore la presse écrite? À laisser fleurir les mortels amalgames?

Une attaque comme celle du Hamas le 7 octobre ne sert pas le peuple palestinien. Bien au contraire. L’organisation d’origine frériste sait parfaitement que cela provoquera des représailles disproportionnées et que c’est la population gazaouie qui va trinquer. La détestable habitude qu’a le Hamas de se fondre dans la population et d’y établir ses quartiers ne peut résulter qu’en un sacrifice des civils, pas besoin d’avoir fait bac+5 pour le comprendre. C’est une stratégie à double voie particulièrement cruelle; d’un côté on égorge des enfants à l’arme blanche, on viole puis on éventre les femmes enceintes dont on décapite les foetus, on fait irruption dans un festival où l’on massacre des jeunes gens qui dansent en tirant dans le tas à la Kalachnikov. De l’autre, le Hamas, par son raid meurtrier, «invite» littéralement Israël à bombarder ses positions dans la Bande de Gaza tout en sachant que cela se traduira par un bain de sang civil. Mort, où est ta victoire ?

Le chaos qui règne à Gaza et dans le sud-ouest d’Israël déchaîne les passions antagonistes et l’idée même d’une paix semble se situer à des années-lumière de la réalité du terrain. La polarisation et l’exportation du conflit ont creusé des ornières dont il paraît impossible de s’extirper. Signalons que, du 7 au 24 octobre, 588 actes antisémites ont été recensés en France[5]. La machine à casser du juif est relancée.

D’un désert, un jardin

Cette polarisation en vient même, via les réseaux sociaux, à créer des récits sur mesure pour entretenir un climat de haine réciproque. À peine ose-t-on encore dire aujourd’hui que le bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza était sans doute imputable au Jihad Islamique palestinien, rival du Hamas à Gaza, plutôt qu’à Tsahal et que, d’ailleurs, c’est le parking jouxtant l’hôpital qui a été visé et non les bâtiments. Peine perdue : une légende s’installe à la vitesse de la lumière et s’inscrit comme une évidence dans les conversations : c’est Israël qui a bombardé l’hôpital en représailles à l’attaque du Hamas, point barre. Version relayée par l’AFP puis par le New York Times lui-même comme une info recoupée. Ce hoax a la vie dure ; autant dire que ça arrange bien du monde. À partir de là, il devient difficile d’argumenter ou de chercher une quelconque objectivité ; il n’y a plus de vérité. Chacun regagne son camp et n’en démord plus. Et alors, on fait quoi ?

Dire qu’un jour, Israël pouvait se targuer d’être la seule démocratie et le seul État laïque du Proche et Moyen-Orient… Techniquement, c’est toujours le cas ; mais les accointances de plus en plus profondes de l’incontournable Likhoud avec les partis ultra-religieux et l’extrême droite radicale ont tout d’un reniement de ce rôle de démocratie laïque au milieu d’autocraties plus ou moins islamistes. D’où l’émergence d’un large mouvement interne d’opposition à la politique imbécile de Netanyahou, compte tenu notamment qu’elle est faite de compromissions inavouables avec les factions citées ci-dessus. Un mouvement plutôt marqué à gauche, dont le quotidien Haaretz est le porte-drapeau, prend un élan encore trop faible que pour renverser l’alliance au pouvoir. Or, il devient une nécessité absolue qu’il y ait en Israël une opposition musclée si l’on veut voir revenir l’espoir, même ténu, d’une paix durable à deux États.

Reste à savoir à qui appartient cette terre aride dont les «colons» juifs on fait un jardin. Et là, les revendications se bousculent, selon que l’on fait débuter l’histoire aux accords d’Oslo (1993), à la création d’Israël en 1948, à la déclaration Balfour de 1917, au régime ottoman à qui les Arabes vendirent leurs terres au XIXe siècle, aux Croisés, à la Rome antique, aux 12 tribus d’Israël (-1200 -1500) ou, enfin, à la Genèse de la Bible. De quoi perdre son latin, son arabe, son anglais et son hébreu !

Le mort-étalon

La radicalisation des discours dans les deux camps, loin de servir la cause qu’ils disent défendre, entraîne une situation figée, car revenir à une approche moins tranchée sera entendu comme un affaiblissement, une reculade, une capitulation. Comment alors peut-on attendre d’Israël et de l’Autorité palestinienne qu’ils se retrouvent à mi-chemin, fleur au fusil ?

La multiplication des formules lapidaires définitives, souvent faisant allusion au nazisme lorsqu’il s’agit d’Israël ou à la terreur si l’on parle du Hamas, n’aide pas davantage à dépassionner un débat qui en aurait pourtant bien besoin.

À cet égard, on pourrait s’interroger sur les raisons qui poussent tant de gens, dans notre pays, à se mobiliser autour de ce conflit-là, alors qu’il n’en manque pas dans le monde qui mériteraient aussi notre attention. Et qui, si tel est un critère de mobilisation, font davantage de morts que le bras de fer entre l’État hébreu et le Hamas actuellement ou jadis l’OLP. À commencer par notre ancienne colonie, le Congo ex belge, aujourd’hui RDC, où différentes factions s’entretuent allègrement à la fois sur le front du pouvoir politique et celui de la conquête des gisements de ressources précieuses qui y abondent. En dehors du bon docteur Mukwege et son équipe, qui se préoccupe des massacres de femmes et d’enfants, des viols massifs de villageoises par des milices armées? Qui?… Ici comme ailleurs pourtant, l’horreur est quotidienne, meurtrière et indicible.

Qui se préoccupe du devenir des Kurdes, cette population de 60 millions d’habitants, qui a subi un génocide en 1988 et vit à cheval sur quatre pays sans en posséder aucun? Et les Ouïgours? Et les Tibétains? Et les Chrétiens d’Égypte? Et les Berbères? Et les Tutsi? Et les Rohingyas? Et les Sahraouis[6]? Et les Amérindiens? Et les Arméniens? Et les migrants?

La fixation sur la question palestinienne reste une cause extrêmement clivante qui génère de la violence. Alors, qu’est-ce qui caractérise cette lutte-là par rapport aux autres, qu’est-ce qui fait qu’elle mobilise à ce point? Serait-ce la personnalité de l’adversaire, qu’il est bon de pouvoir traîner librement dans la boue sans se faire taxer de…? Et si c’était?... Et si c’était.


[1] Psaumes, 22 1-32

[2] Susciter n’est pas justifier !

[3] Personnellement, je ne cautionne pas l’adoption de cette expression spécifiquement liée à la politique menée en Afrique du Sud jusqu’à la libération de Nelson Mandela en 1991.

[4] « Pro-palestiniens », ou « propals » : termes familiers désignant, dans le langage courant, les personnes, groupes et organismes de soutien à la cause (BDS, UPJB, PTB etc). A priori, cette expression n’est pas encore répudiée comme portant atteinte à l’honneur de celles et ceux qu’elle désigne.

[5] Source : 28 Minutes, Arte, 25/10

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

[6] Une organisation bruxelloise, le Comité belge de soutien au peuple sahraoui, membre d’un réseau européen, se préoccupe effectivement de l’avenir de ce peuple-là.

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte