Photo/peinture : réflexions.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Photographie et street art s’entendent comme larrons en foire. La photo sert de modèle : nombreux sont les street artistes qui cherchent sur Google Images un modèle et le reproduisent, bombe aérosol d’une main, smartphone de l’autre. Souvent les peintres s’approprient le modèle ne copiant que les traits principaux et produisent alors des images éminemment personnelles. D’autres s’attachent, au contraire, à reproduire aussi précisément que possible la photographie-source.

Que les peintres aient des modèles et que par leur talent ils les dépassent cela est bel et bon et pas vraiment nouveau, mais la reproduction à l’identique sur une toile ou sur un mur d’une photographie en revendiquant explicitement la démarche m’interroge.

Mon interrogation porte sur le rapport de l’art au réel. Pour bon nombre de street artistes peindre sur un mur une photographie est assurément la volonté de rendre compte de la vérité d’un moment. La démarche repose sur une proposition implicite : la photographie est le seul média à garder en mémoire les traces d’un passé jugé digne d’être conservé. Une assertion qui ne résiste pas à l’analyse. En effet, notre regard sur le monde n’est pas l’enregistrement passif d’une image de ce monde. Notre regard cherche des indices, des repères pour donner un sens à sa perception. Dit autrement, l’image que nous nous formons du monde est un construit qui prélève dans sa perception des éléments signifiants. Notre culture, notre bibliothèque d’images mentales, notre intelligence, à partir des ces images partielles et séquentielles créent d’autres images mentales qui entretiennent l’illusion qu’elles sont du domaine de la perception plutôt que de celui de la culture.

Par ailleurs, nous entrons en relation avec le monde grâce à nos yeux qui sont comparables à un objectif photographique. Leur focale est sensiblement de 55 mm. Cela revient à dire que lorsque nous regardons le monde nous n’en voyons qu’une partie, et une partie déformée pour des raisons optiques. Les objectifs photo vont du grand angle (voire du fish-eye) au téléobjectif. L’image du monde que nous propose la photographie est corrélée au choix de la focale. Prenons un exemple pour illustrer cette idée. Pénétrez dans la cour d’un immeuble et photographier avec un grand angle le ciel. Vous verrez alors que toutes les verticales tendent à se rejoindre en un point lointain. Les verticales ne sont plus perpendiculaires aux horizontales. Le cliché ne ment pas et pourtant vous ne serez pas abusé par cette représentation parce que vous savez que ce n’est pas le fait d’appuyer sur le déclencheur qui change la géométrie de l’immeuble.

Plus généralement, pour comprendre un espace complexe nous devons le géométriser. Par l’apprentissage nous intégrons des lignes et des formes de base : la ligne, le cercle, le carré, le rectangle, le cube etc. La perception de l’espace génère une activité mentale de décomposition de l’espace en ses composantes géométriques. Décomposé un temps, notre intelligence recolle les morceaux du paysage et recompose un ensemble complexe.

En résumé, le réel nous est inaccessible et le voir impossible. Inaccessible par nos sens et notre intelligence. A fortiori, l’appareil photo ne peut en rendre compte : il produit certes des images mais des images d’un réel qui nous présupposons être là. Je ne dirai rien des couleurs mais la démonstration pourrait être la même. La couleur est relative à la longueur des ondes renvoyées par les objets du monde. Changer l’œil, vous changer les couleurs. De plus, notre vision des couleurs dépend de notre culture.

En conclusion il est illusoire de penser que la photographie atteste du réel et qu’elle en garde la trace. Choix de la focale, cadrage, vitesse d’obturation du diaphragme, ouverture, choix de la couleur ou du noir et blanc, sont autant d’alternatives techniques qui créent des représentations du réel.

Peindre une photographie peut viser d’autres objectifs qu’amener le « regardeur » à penser son rapport au réel. Nous inviter par exemple à réfléchir aux raisons que pouvait avoir le photographe pour garder trace d’une personne ou d’un événement. Réfléchir également sur comment se constitue la mémoire familiale.

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SwedOner

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