Vu du Mac's: marcher pour sortir de sa cage

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
le

Autour de la table, après la marche, chacun tente de retracer les pas accomplis dans le décor borain. Photo © MLeroy

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Un cesser-le feu- de quarante-huit heures permet à la Syrie de souffler un moment. Presque toutes les factions qui s'opposent, se déchirent, se détruisent, ont accepté de s'arrêter. Pour le temps de la réflexion? Il ne semble pas que cette faculté résiste à la tempête qui fait rage, qui pose sur un peuple un manteau de chagrin et de sang. Alep, autrefois, avant, était cette ville au charme ombreux, natté de lumières, où les gens te tendaient la main. La vieille cité n'est plus que ruines, le marché n'est même plus l'ombre de son ombre, il ne devrait plus y avoir, à Alep, un coin où trouver le repos, sinon au cimetière. Pourquoi cettte réminescence d'Alep, en marchant sur les terrils, en tentant de distinguer le relief vers l'horizon? Peut-être grâce à la marche qui va si loin, dans les souvenirs, qui permet d'être au plus près du moment qui s'écoule et de prendre du recul, en même temps. Etrange sensation de flotter, en léger décalage avec le torrent des nouvelles dont tant de tristes. Souvenir de cette exposition qui laisse des traces. Elle se déroule au Mac's, le Musée des arts contemporains du Grand-Hornu. Elle se nomme "My body is a cage" et montre des oeuvres qui nous concernent. Elles évoquent notre corps. Qui peut être une prison, une cage, mais dont la clé, pour en sortir, et aller vers les autres gens, serait de penser, de s'efforcer de prendre un peu de recul. C'est le groupe Arcade Fire qui a interprété et créé cette chanson reprise ensuite par Peter Gabriel. 

"My body is a cage

That keeps me from dancing

With the one I love

But my mind holds the key

Du Mac's était venue cette invitation à la marche. Ou à la danse, si vous préférez...L'artiste Jean-François Pirson, marcheur, architecte, écrivain, que sais-je encore...; proposait à des gens de venir "marcher, tracer, construire", comme une danse", dans le cadre de l'exposition qui se clôturera ce 25 septembre. Ce jour-là, Pirson emmènera encore d'autres personnes pour une balade autour du Grand-Hornu, aux confins de Boussu, Quaregnon, Wasmes, en passant par des cités, des sentiers, un cimetière perdu, un canal oublié, un terril d'où le regard porte loin. En chemin, il demandera aux marcheurs de s'efforcer au silence, peut-être pour entendre la chanson du vent dans un piquet de métal supportant un panneau, d'essayer de s'imprégner de la manière dont ils s'inscrivent dans le décor, de se concentrer sur le moment qui s'écoule. Il leur demandera de ramasser, au passage, des choses qui parlent de ce voyage, de cette trace dans le paysage. Des feuilles, un caillou, un morceau de charbon, une branche, une boîte de bière aplatie, une pièce de monnaie perdue.

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Puis, de retour au musée, il demandera aux voyageurs de tracer sur une feuille de papier un souvenir de leur itinéraire. Cette esquisse de carte de géographie approximative, il leur faudra la retracer sur le sol d'une vaste salle, l'arpenter comme en suivant la trace, puis marquer la trace avec les éléments récoltés en route. Bizarre expérience, à la limite de la danse, de l'écriture, du jeu et de l'exercice de la mémoire, en groupe. Alors que l'on ne s'y attend pas, toutes les pistes s'embrouillent, se recoupent, se nouent et se délient, et la pensée résultant de la marche prend forme. Le signe qui restera de la marche sera différent pour chacun des arpenteurs, avec malgré la diversité des perceptions, quelque chose de commun. Le sentiment d'avoir vécu quelque chose dans le même espace-temps.

Quel serait le rapport entre le souvenir d'Alep, la guerre qui fait rage et est suspendue, "My body is a cage" et la balade avec Jean-François Pirson? Peut-être bien, je dis peut-être parce qu'au fond, qui sait, parce que d'avoir marché dans Alep j'ai conservé le souvenir de visages avenants, d'une grande culture et d'un art de vivre aux parfums de thé et de soleil et d'olives. Cette trace ténue si lointaine m'a peut-être amené à écouter avec plus d'acuité le réfugié syrien croisé l'autre jour, dans la ville. La Syrie n'est pas que la guerre, qu'une blessure. Elle est un assemblage d'êtres et de vies. On rêverait d'un cesser-le-feu qui dure. Comme dit la chanson, "My body is a cage", s'arrêter pour réfléchir un temps serait la seule voie permettant de sortir du piège. Banal? Pourquoi est-si difficile à réaliser, alors?   

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