Mépris envers la culture

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
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Culture sur les murs. Photo © Laurent Berger

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Lecture 7 min.

« Vous parlez du “Horla”, mais qu’est-ce que c’est que ce livre ? Je n’en ai jamais entendu parler, comment puis-je aider ma fille si vous nous sortez des trucs comme ça que personne ne connaît ? »

Vous souvenez-vous de cette phrase ? « Quand j’entends le mot culture, je sors mon révolver ! » Cette affirmation me revient souvent à l’esprit quand je perçois un retour de ce mépris envers la culture. Demandons, par hasard, à un nouveau membre du parti socialiste s’il connaît l’histoire de la Commune de Paris, s’il se souvient de cette institutrice qui s’appelait Louise Michel qui voulait briser les chaînes de la soumission en donnant des livres aux enfants. Comment s’étonner des résultats de certaines élections quand on voit ce que les gens consomment ?
Bien sûr, en classe, je ne sors pas mon révolver, mais j’ai toujours la conviction que les livres sont des armes qui peuvent donner des mots à nos révoltes. Et quand aussi j’entends cette autre affirmation que les jeunes ne lisent plus, je songe toujours à ces élèves particuliers, vus comme des marginaux aujourd’hui, qui tiennent à la place de leur Smartphone, un livre, même parfois, un roman qui comporte beaucoup de pages ! Ces lecteurs survivants d’une espèce que je ne crois pas en voie de disparition, me confortent dans l’idée que tout n’est pas encore perdu !

Nous devrions vérifier si l’enseignement est vraiment gratuit pour tous. Vérifier si toutes les écoles présentent des bibliothèques bien tenues avec un bibliothécaire, si tous les enfants peuvent se rendre au musée, au théâtre, à l’opéra,  si tous les enfants peuvent lire Molière, s’étonner devant le Penseur de Rodin. Vérifier si tous les élèves connaissent l’histoire de la naissance de l’islam, s’ils ont déjà entendu parler des poètes soufis. S'ils connaissent le bonheur d'Epicure, l'engagement de Camus. 

Les discours rassurants évoquent  l’égalité des chances. Pourtant, l’école continue de reproduire les clivages sociaux par des filières de relégations diverses : relégation dans un enseignement professionnel par défaut, qui n’est pas valorisé, suppression des examens, suppression de certains cours généraux, diminution des heures de français, une à deux heures de cours d’histoire, quasiment aucun cours de droit, presque aucun cours réel de citoyenneté active, absence de cours d’histoire de l’art. Quelques heures de latin  seraient prévues pour tous, en réalité, une à deux heures une fois par semaine ou une semaine sur deux.

En ville, il existe désormais les écoles de riches et les écoles de pauvres.  Et les riches ne trouvent pas vraiment utile de transmettre une culture  qui transgresse les frontières aux plus défavorisés : préférence peut-être pour une société du spectacle, de la fête permanente, de l’euphorie perpétuelle. Que penser de cet élève qui refuse de se couvrir la tête pour entrer dans une synagogue durant un voyage scolaire à Prague? Serions-nous désormais enfermés dans nos frontières identitaires? Que penser aussi de cet autre élève qui refuse d'analyser l'origine du monde de Courbet? Si la culture s'absente, les ponts risquent de disparaître pour être remplacés par des murs!

La démagogie est de vouloir diminuer l’exigence, d’écarter le principe de la responsabilité et de l’engagement, de choisir le moindre mal, de prétendre répondre aux besoins des jeunes, de se mettre à leur niveau, de partir de leur vécu, de leur soi disant culture: ce qui a pour conséquence un renoncement à élever, à vouloir se borner à une culture qui serait plus accessible, plus immédiate. Ce qui me pousse à nous rappeler ce que pensait Hannah Arendt sur la politique du moindre mal :« Politiquement, la faiblesse de l’argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu’ils ont choisi le mal . »

Je suis inquiet lorsque j’entends l’insulte « sale intello ! » ou encore lorsque des jeunes arrogants de leur ignorance se moquent de ceux qui lisent. Cela ressemble aux mauvais relents d’une vision fascisante de la culture où les artistes étaient traités de dégénérés, se voyaient enfermés, rééduqués. J’observe que certains facilitateurs voudraient que le cours de français ne soit plus un cours de littérature, mais un cours de communication où les textes informatifs seraient prédominants pour des raisons utilitaires.  Donc, les contenus sont progressivement vidés au nom d’un anti-élitisme qui ne fera que renforcer les inégalités par rapport à l’accès aux contenus cognitifs et culturels !

Si nos propres valeurs humanistes ne s’affirment plus en Europe, elles ne seront plus perçues ailleurs. Il n’y aurait plus alors que le paradis de la consommation qui serait attirant pour les autres. La marchandisation des êtres et des choses nous donne un individu qui ne s’appartient plus : un individu incertain qui finit par être séduit par la perspective unique identitaire. La pensée occidentale ne se fait plus reconnaître par des exemples inter culturels probants. « L’Occident » est attirant parce qu’il n’offre plus qu’un paradis superficiel où nous sommes tous  invités à consommer. Alors des jeunes filles de l’Est se font avoir par les propositions alléchantes qui cachent leur utilisation future dans la traite des blanches. Aux Etats-Unis, les premières générations d’origine étrangère se sacrifiaient en prenant les jobs que personne ne voulait, permettant aux générations futures de rencontrer éventuellement l’ascenseur social. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? La fragilisation des classes moyennes provoque des contrastes de plus en plus forts entre les groupes sociaux.

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Ce qui intéresse de plus en plus les hommes, ce n’est plus la gestion des affaires communes, mais bien la gestion de la garantie de leurs libertés personnelles. Or ces dernières ne peuvent survivre sans la garantie de la survie des libertés collectives. L'humaniste s'interroge sur le renforcement de la démocratie communautaire et privatisée. L'école émancipatrice permet à l'adolescent de devenir un élève libre parmi les autres. Ce dernier est capable de s'élever. Libre de s'abstraire, volontaire pour progresser, curieux de recevoir l'héritage d'une histoire collective. Un élève autonome est capable de recevoir les clefs culturelles afin de comprendre le monde qui l'entoure. Un élève libre peut dépasser les contraintes de sa religion, de ses traditions, de son quartier, de sa cité,. sans toutefois renier sa culture d'origine, sa religion, sa famille.  Les jeunes « d'origine étrangère », qui ne connaissent pas leur culture, la fantasment souvent dans la fabrication artificielle qui leur est imposée par les gourous.  Ils sont parfois séduits par les discours radicaux tenus dans les mosquées clandestines. La privation de la culture du pays d'accueil et de la culture d'origine mène au repli direct sur une identité prédéterminée. Un repli qui est exprimé surtout par des jeunes défavorisés récupérés par les idéologues manipulateurs: «C’est de la faute de l’Occident! Le terrorisme est la revanche des pauvres! » S'élever signifie que l'individu pourrait sortir du local afin de se diriger vers les régions inconnues, vers les raisonnements moins simplistes, sortir des théories du complot, éviter de désigner un bouc émissaire. 

Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, instaure le fascisme comme l’affirmait le philosophe libertaire Albert Camus. Cet homme révolté qui aimait l’Algérie et la France.

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