L'harmonica de Silvio a perdu son souffle

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Au Mudam, à Luxembourg, été 2019. Silvio Cocco joue un air de Sardaigne en hommage à Emile, compagnon du Devoir de Mémoire du Fief de Lambrechies, qui vient de mourir. Emile figure sur la photo de droite, prise lors de son séjour au Borinage par la photographe LaToya Ruby Frazier. Elle préparait au Mac's une exposition sur la mémoire de la région, au travers de témoin. Photo © Marcel Leroy

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C'est Antonio Sestu, le président du Devoir de Mémoire du Fief de Lambrechies, qui a prévenu les amis du dècès de Silvio, ancien mineur et mécanicien emporté par le coronavirus. D'après une amie qui tenait le propos d'Antonio lui-même, Silvio Cocco avait encore eu la force de faire une blague, peu avant le grand saut, en disant "Le Cocco, il perd ses plumes". C'était tout lui, un métissage de courage, d'humour et de gentillesse. Lors de son séjour au Borinage, en 2017, l'artiste LaToya Ruby Frazier, venue de Braddock, USA, avait noué des contacts d'amitié avec les témoins qu'elle photographiait. Elle était chez elle, avec les gens du Borinage, partageait des repas, un verre, prolongeait les conversations, tout en réglant son appareil d'un modèle ancien. Dans le catalogue de l'exposition, Silvio, Antonio, Emile et Jean-Claude s'inscrivent dans une galerie de portraits de gens et de décors. Ces images poursuivent leur voyage, jouent leur rôle en révélant la grandeur d'êtres qui auront lutté toute leur existence pour trouver une petite place au soleil.

Silvio avait quitté la Sardaigne à l'âge de 19 ans. Il était venu en Belgique avec, dans sa poche, l'harmonica piccolo si petit qu'il tenait entier dans une paume serrée. Cet instrument, était un cadeau de son oncle. L'harmonica l'avait accompagné pendant la guerre et, avec. Silvio, il partirait pour la bataille du charbon, loin de son île. Là, dans la beauté âpre des montagnes, Silvio  avait toujours une maison où il aimait faire son jardin. Sans jamais oublier que sa vie de labeur, sa vie d'homme, c'est au Borinage et au Pays Noir qu'il l'avait accomplie. Son récit, dans le beau livre du Mac's, remet en mémoire les six jours que Silvio et des compagnons passèrent à 970 m sous terre, après qu'une portée de 70m de galerie se soit effondrée, les coupant du monde. Ces jours funestes, Silvio avait été au bout du confinement. A 19 ans, trois jours après son arrivée en Belgique, il était descendu à 1415m au Rieu du Coeur, à Quaregnon. Des années plus loin, il avait fini au Roton, à Châtelineau, le dernier des charbonnages wallons en activité. Silvio habitait dans la cité du Grand-Hornu, à côté du musée.   

Chaque année, au 8 août, Silvio, Antonio, Emile et Jean-Claude et d'autres camarades représentent les mineurs du Borinage à la cérémonie du Bois du Cazier qui salue les 262 victimes du 8 août 1956. L'an passé,  en écoutant sonner la cloche à l'appel de chaque nom, Silvio était perdu dans ses pensées.  Tout comme à Luxembourg, en juillet 2019. Deux ans après l'exposition du Grand-Hornu, le Mac's avait organisé un voyage en autocar pour découvrir les photos de LaToya,  au Mudam. Parmi ces images, celles des Borains. Ce fut un voyage mémorable, tout le monde bavardait dans le car. Puis la visite a commencé. Arrivé à la hauteur de la photo de son ami Emile, disparu peu avant l'odyssée, Silvio s'arrêta, pour souffler de toute son âme un air de Sardaigne pour Emile. Maintenant, comme l'a confié Antonio Sestu, "Silvio ne jouera plus de l'harmonica pour son ami Emile". Après la crise, on peut faire confiance à Antonio, on se réunira pour rappeler quel chic type était Silvio. Nous tous, on l'aimait bien. Il nous manquera, le mineur à l'harmonica. Il avait tant de choses encore à nous dire mais il est trop tard. 

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