Les gueules noires ne se tairont jamais

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Au Bois du Cazier, à Marcinelle, en ce 2 décembre, le cortège aux flambeaux a accompagné la statue de Sainte-Barbe de l'église des Haies au charbonnage. Au-delà du rituel du souvenir, le message était, pour certains, celui de la lutte des humains face à un système économique qui s'ingénie à casser toutes les formes de solidarité. Dans la foule, un syndicaliste confiait que le combat est plus actuel que jamais. Photo © Marcel Leroy.

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La nuit est tombée sur Marcinelle. Dans l'église des Haies, une foule se presse. Travailleurs âgés avec leur casque de mineur,  sidérurgistes en longs manteaux de protection contre les flammes, verriers en frac, familles,  syndicalistes. Des gens d'ici et d'ailleurs, unis. On entend parler italien. Quelqu'un prend une photo d'Urbano, des ex-minatore. Sergio Aliboni est au rendez-vous, avec les mineurs de Wallonie. Antonio, ancien de Clabecq est là, avec des amis du Borinage. Des drapeaux honorent Sainte-Barbe, un chant s'élève. Des enfants des écoles de la commune entament le vieil hymme carolo, "Lolotte". Un  blues des terrils et des usines et de la Sambre brumeuse. Plus tard, sous le châssis à molettes, ils chanteront "Au nord c'étaient les corons".

L'actualité semble bien loin de ces parages, mais le cortège qui va se former, pour marcher aux flambeaux, malgré les apparences, ne sera pas une simple commémoration. Voici soixante ans, le 8 août 1956, 262 mineurs de douze pays périrent dans les entrailles de cette terre. Des dizaines de sauveteurs, guidés par Angelo Galvan, le renard du Bois du Cazier, après avoir sauvé  une poignée de compagnons, tentèrent de remonter des vivants mais ne ramenèrent plus que des cadavres à la surface. Pourtant ces travailleurs étaient prêts à donner leur vie pour leurs compagnons. Galvan disait que sous leurs gueules noires de charbon, les gars étaient tous pareils, au-delà des origines, religions, langues, destinées. "Dans le fond, disait-il, tu devais faire confiance à l'autre,  car c'est lui qui te sauverait si un malheur arrivait".

D'où cette expérience de labeur partagé durant des décennies, dans les charbonnages, les verreries, les usines sidérurgiques, les ateliers et les réunions syndicales. Au coude à coude, bravant les risques pour gagner leur vie, les gars forgeaient une culture de partage et de respect. Grâce à leur solidarité ils déterminèrent des avancées sociales qui, aujourd'hui, sont progressivement laminées.  Les travailleurs de Caterpillar, dans la région de Charleroi, vérifient dans leur quotidien ce que signifie le fait que l'humain soit devenu le facteur négligeable des équations de l'économie de marché poussée à ses limites.

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Alors, dans les rangs de cette marche aux flambeaux chemine toujours l'idée de la solidarité, cette notion que le pouvoir de l'argent rêverait de briser, à force de proclamer que seule la réussite individuelle compte. Lors de cette année du souvenir, soixante ans après, à Marcinelle, la FGTB et la CSC ont organisé un colloque sur le thème des mineurs aujourd'hui dans le monde. Dans cette salle du Cazier où autrefois les mineurs pendaient leurs vêtements avant de descendre au fond, des témoins engagés sur le terrain sont venus dire comment les syndicalistes mènent leurs luttes en Turquie, au Mexique, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, en RDC et ailleurs encore, au risque de se faire démolir. Ils ont rappelé combien il est dur, en 2016 comme naguère, de résister à la machine économique.

Chaque jour, en Chine, en Afrique, en Inde, quelque part dans le monde, des mineurs meurent comme meurent des usines, des ateliers, des idées et des illusions. Ce soir du 2 décembre 2016, à Marcinelle, tandis que le cortège descend vers les grilles du Cazier, les gens parlent de la marche du monde, des élections en Autriche, de la situation de l'Italie, de la démesure d'Erdogan, de l'élection de Trump,  se demandent de quoi demain sera fait, si le racisme, le rejet du syndicalisme et la loi du plus fort balaient la culture  du compagnonnage. Comment cultiver la solidarité à l'heure d'internet, en créant de vrais liens, en prenant la parole pour faire face, en marchant main dans la main? Les rituels de la mémoire ont du pain sur la planche. 

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