L'éléphante

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le
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La grand-mère a invité sa petite fille au cirque. C’est une tradition familiale. La grand-mère de la grand-mère avait fait la même chose. Dans cette famille, la tradition c’est la loi et la loi consiste à faire comme tout le monde. Au milieu de la foule qui fait la file devant la caisse, la grand-mère a mal aux pieds. Elle a choisi des chaussures à talons beaucoup trop petites et très douloureuses. Elle en possède plein d’autres, des chaussures, des confortables, mais quand on va au spectacle, on met des chaussures à talons, c’est la loi. Elle souffre en serrant son sac à main bien fermé contre son corps parce qu’au cirque, sévissent des pickpockets, tout le monde sait çà. Elle regrette les vieilles caravanes rouillée de son enfance avec les rideaux aux fenêtres et le chapiteau monté à la hâte qui menaçait de s’effondrer au moindre coup de vent. Ce soir, le chapiteau est en dur et les caravanes sont remplacées par des mobil homes tout confort. Rien à dire, elles ont de bonnes places sur les gradins. Au premier rang, à deux mètres de la piste. C’était cher mais c’est un évènement : La première fois que la petite va au cirque. La tradition sera respectée. On s’en souviendra de cette première. On commence par les clowns, tellement drôles, la grand-mère a les larmes aux yeux à force de rire. Après les clowns vient le tour des éléphants. Ils sont deux. Un couple, pense la petite fille, un papa et une maman. Où se trouve leur éléphanteau ? Loin, seul, perdu, abandonné dans un autre cirque qui ne croise jamais celui de ses parents ? Aux côtés du dresseur tout sourire dans son costume blanc aux boutons dorés, les éléphants paraissent si vieux, si gris, si malheureux surtout la femelle avec sa peau ridée, son gros ventre pathétique et ses pauvres mamelles qui pendouillent. Le dresseur aux dents blanches oblige la vieille éléphante à s’asseoir sur un tabouret trop étroit. Elle manque de tomber, les gens rient sauf la petite fille émue aux larmes par ce vieil animal contraint d’exécuter des acrobaties qui ne sont plus de son âge. Elle voit bien la souffrance et la honte dans les yeux du pachyderme. Elle voit bien qu’elle n’en peut plus. Terminer dans ce cirque n’était pas son destin. Le spectacle est si triste que l’enfant ne peut retenir ses larmes. L’éléphante a compromis le numéro du dresseur. Pour améliorer la concentration de la bête ou pour lui rappeler ses devoirs d’animal de cirque, l’homme lui donne un de fouet. Clac ! C’en est trop pour la petite qui, bouleversée, veut quitter le cirque. Elle ne veut pas faire partie de ce public hilare, elle ne veut pas être comme ces gens. Elle se lève et s’en va le long de sa rangée, le visage rougi par les larmes : « Pardon, pardon, excusez-moi, pardon. ». Les spectateurs sont mécontents. C’est qui cette gamine qui dérange tout le monde en plein milieu du spectacle et qui empêche de bien voir ? La grand-mère aperçoit la fillette en larmes qui s’éloigne. Voir sa petite fille en larmes est insupportable pour la grand-mère. Du coup, elle se lève aussi. Cette femme qui se lève au mileu des sectateurs assis a dit oui à tout toute sa vie. A son mari, à ses parents, et à la tradition. Elle veut rattraper la fillette, la prendre dans ses bras, et sécher ses larmes - Pardon, pardon, excusez-moi, pardon ! C’est qui cette vioque qui se lève en plein spectacle et qui gâche tout ? Le numéro est terminé. Le dresseur n’en peut plus d’exhiber ses dents blanches pour remercier le public qui l’acclame. Il ne s’aperçoit pas tout de suite que l’éléphante quitte la piste et le cirque sans s’excuser car elle n’est pas du genre à s’excuser. Le public n’ose rien dire. Le public ressemble à des moutons regardant passer une éléphante qui suit cette petite fille émue qui s’en va là-bas, la seule humaine à avoir ressenti de l’empathie pour le vieil animal. Ce soir, au milieu de la rue, entre les voitures garées comme veaux, défilent une petite fille suivie d’une vieille femme aux pieds nus et d’une éléphante. Pour les rares voisins qui rêvent encore devant leur fenêtre, le spectacle est magnifique.

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