Le Brexit et le chaos ?

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Theresa May face à l’opposition menée par Jeremy Corbyn (travailliste) mais aussi dans son propre camp. Photo © Sky News.

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Jeudi 8 novembre

 Depuis la Grande Guerre jusqu’à la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre fut souvent une date-repère dans l’histoire de l’Allemagne. C’est pourquoi le Président de la République Steinmeier et la Chancelière Merkel évoqueront demain des jalons millésimés frappés tous de cette date. Parmi eux, la triste et tragique Nuit de cristal, qui se déroula le 9 novembre 1938, c’est-à-dire 40 jours seulement après que Chamberlain et Daladier eurent sacrifié la Tchécoslovaquie en croyant ainsi, avec les Accords de Munich, calmer les ardeurs de Hitler. « Vous aurez la guerre et le déshonneur » avait prédit Churchill qui, lui, avait lu Mein Kampf. Il est temps que l’on franchisse le 11-novembre. On étouffe sous ces commémorations qui nous font craindre le pire en comparaison aux drames du passé. Le centenaire de l’Armistice ’18 réunira plus de soixante chefs d’État face au tombeau du soldat inconnu à l’Arc de Triomphe. Il y aura bien une petite facétie de Trump pour colorer les gerbes… Ce jour faste tombe un dimanche cette année. C’est mieux ainsi. Car en Allemagne, il n’est pas férié.

Vendredi 9 novembre

 Jacques Audiard n’est pas un cinéaste militant. Ce n’est certainement pas non plus un homme de gauche. Alors, quand il réalise un western, Les Sisters Brothers, dans lequel il insère un jeune socialiste utopiste, un fouriériste qui participe à la ruée vers l’or dans le but de créer un phalanstère au Texas, il innove, c’est le moins que l’on puisse dire. Cela ne s’est jamais vu dans aucun film de cette catégorie. Sait-on seulement, à Hollywood, ce qu’est un phalanstère ? Du coup, Audiard se dévoile aussi : cette œuvre bien bâtie n’est pas américaine, elle est européenne, française, même si pour les besoins de genre et pour les principaux acteurs (John C. Reilly et Joaquin Phoenix, excellents tous les deux), l’histoire se décline en langue anglaise. Cette sorte de roman picaresque aux gros plans inattendus et parfois insolites fourmille d’ailleurs de leçons de morale distillées avec le brin de détachement suffisant pour ne pas sombrer dans la fiction à message. Les chercheurs d’or se demandent si l’argent est bien le pilier du bonheur et celui qui, tel Midas, ne dépend plus que de son appétit de richesse devient le handicapé du groupe, son ami succombant même en tant que victime collatérale. La dernière scène est encore à méditer : après avoir roulé sa bosse, brinqueballé, bu, baisé, tué bref, après avoir usé une vie de voyou, il est bon de retourner près de maman pour s’occuper de son ranch.

Samedi 10 novembre

 « Itinérance mémorielle ». Nul doute que cette expression pompeuse et pompière sera gravée dans l’histoire de la Ve République. On attend avec impatience le nom du conseiller de l’Élysée qui fut frappé par la flamme du génie et convainquit son patron que « parcours de commémorations » était trop commun, pas assez moderne, pas assez représentatif de ce que le président comptait démontrer. Au terme de ce périple, il a surtout démontré que célébrer le souvenir n’est pas le meilleur prétexte pour aller au contact des citoyens. Les émotions remuées à l’évocation des horreurs furent souvent entachées de carburants à la hausse et de taux de pouvoir d’achat en baisse.  Il parait qu’Emmanuel Macron souhaite pourtant réitérer le principe. Le choix des thèmes ne manque pas : il pourrait se bâtir des semaines d’errance citoyenne en visitant la France des prisons, celle des pâturages, celle des forêts… Nul doute qu’il y découvrirait matière à revoir sa politique. Bien entendu, la France des cures thermales ou celle des plages lui fournirait plus de satisfactions. Il y a mieux à concevoir au château : Napoléon Bonaparte mourut le 5 mai 1821. On célèbrera donc le bicentenaire de sa mort un an avant la prochaine élection présidentielle. Quel plus magistral circuit que celui des victoires napoléoniennes pour ce grand garçon ambitieux friand de donner des leçons d’histoire ? Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram… Le voyage serait d’autant plus somptueux qu’il pourrait se terminer en un itinéraire parisien en apothéose aux Invalides… Chiche !

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François Hollande n’est pas en itinérance mémorielle, il est en itinérance permanente. Après avoir présidé le Festival du Film politique à Rennes, le voici en vedette à la mythique Foire du Livre de Brive-la-Gaillarde, en sa chère Corrèze. Et comme ce grand événement est patronné par le magazine hebdomadaire Le Point, il est à nouveau en bonne place dans ces pages-là… Mais, dira-t-on, demain, il sera au repos forcé ; n’étant plus président de la République, il sera étranger au grand rassemblement des chefs d’État et de gouvernement du monde entier voulu par Macron à l’Arc de Triomphe. Pensez-vous ! RTL retransmettra la cérémonie en direct dès 9 h 30 et c’est lui qui, avec Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées a été sollicité par la station pour la commenter. Trois heures d’antenne dominicale sur les ondes les plus écoutées de France, ça ne se refuse pas !...

Dimanche 11 novembre

 Parmi les multiples paroles grandiloquentes de circonstance, à l’Arc de Triomphe et à Versailles, une phrase, une seule, à retenir. Elle est prononcée par Angela Merkel : « Le projet de paix européen est de nouveau remis en question. » Que ce constat soit déclaré obsolète en 2045, lors des cérémonies du centième anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale. Ce serait un beau cadeau fait à la respectable chancelière au soir de sa vie (90 ans)

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 Le fastueux n’est jamais à l’abri de l’anecdotique. En évoquant ’14-18, il fut souvent question de Jaurès et de Clemenceau. Aujourd’hui, sur les 577 députés que compte l’Assemblée nationale, 11 seulement sont étiquetés communistes. Deux d’entre eux occupent les places où siégeaient Jaurès et Clemenceau. Or,  le premier fut assassiné avant la naissance du communisme dont il ne se serait pas revendiqué ; le second ne le fut point, bien au contraire. Mais pour observer leur fantôme du perchoir, le président Richard Ferrand doit se tourner vers les onze rescapés de la vague macronienne. Le destin est coriace et la mémoire est tenace.

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 Le JDD (Journal du Dimanche) n’échappe évidemment pas au devoir de l’actualité. Il propose des tranches de commentaires autour du centième anniversaire de l’Armistice ’18. Á côté d‘eux, la chronique de Teresa Cremisi, qui pourrait s’intituler L’air de ne pas y toucher. On y découvre la vertu du diméthicone. Il s’agit d’une « molécule que les industriels utilisent pour éviter que les jus de fruits ne moussent, et qui est aussi le composant principal des shampoings  volumateurs et des traitements anti-poux. » Parfois, en alimentation, c’est à la guerre comme à la guerre.

Lundi 12 novembre

 Il s’appelle Martin Fayulu. On ne s’attendait pas à lui mais il parvint à rassembler sur son nom toutes les oppositions à Kabila pour devenir le candidat unique contre celui du président sortant à l’élection présidentielle congolaise du 23 décembre. C’est tellement inattendu que l’on se demande si une nouvelle péripétie ne viendra pas contrarier cette belle harmonie. Chat échaudé à Kinshasa craint l’eau du fleuve.

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 En 2007, lorsqu’elle fut candidate à l’élection présidentielle contre Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal ne dégageait pas des allures de cheffe d’État. Mi-gnangnan, mi-Sainte-Nitouche, elle ne donna jamais l’impression de pouvoir l’emporter. Sur la lancée d’un résultat honorable, elle devint de plus en plus ancrée dans son personnage au point de se laisser glisser vers des prestations comparables à des réunions sectaires. C’est en ce temps-là qu’elle hérita du surnom de « Dame du Poitou ». Elle vient de fêter son 65e anniversaire et elle a dû s’offrir en cadeau un élixir de jeunesse. Cette femme dégage à présent une ardeur et une sincérité dans les valeurs qu’elle défend (et qui, n’en doutons pas, furent toujours les siennes…) au point que l’écouter attentivement, c’est lui prédire de fructueuses perspectives d’avenir. Elle a publié un livre dont le titre annonce déjà bien le contenu, reflet d’un caractère authentiquement trempé, où les convictions nourries aux épreuves du temps apportent une épaisseur de militante infatigable. Du plateau de Ruquier à celui de Delahousse, ses prestations épatent.  Elle décidera en janvier de tirer une liste pour les élections européennes dont le socle principal sera le Parti socialiste. Mais pas seulement. Elle pourrait surprendre.

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 Après une semaine émaillée de chiffres reflétant l’horreur, quelques autres, modestes mais prometteurs d’avenir :

1. Il semble que la couche d’ozone se reforme sur l’hémisphère nord. Le frémissement des statistiques serait dû à l’application du protocole de Montréal (1987) visant à l’arrêt de l’utilisation de certaines matières découlant du carbure.

2. La fécondité mondiale est en chute libre. Elle était de 4,7 en 1950 ; elle est de 2,4 en 2017. Deux conséquences objectives en découlent : un vieillissement de la population et la nécessité, pour certains pays, de faire appel à l’immigration pour survivre.

Mardi 13 novembre

 La journée s’acheminait tranquillement… C’est à peine si l’on se souvenait que l’on était au troisième anniversaire des attentats du Bataclan. Et puis tombe une dépêche à 17:38 : l’Union européenne et la Grande-Bretagne ont trouvé un accord sur la frontière de l’Irlande. Tous les médias britanniques et irlandais sont déjà en train de le commenter sur leur site informatique avant même qu’ils n’en connaissent les termes. C’est dire si la nouvelle étonne, surprend et réjouit, aussi bien sans doute Theresa May que les dirigeants de l’Union. Wait and see donc, mais la plus lourde pierre d’achoppement du Brexit viendrait donc d’être levée. Les négociateurs auraient alors un peu de temps devant eux pour régler le problème de la citoyenneté, qui semble ressembler plutôt à une mosaïque qu’à une pierre.

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 Tournay (Hautes-Pyrénées) 2 décembre 1868 – Hasparren (Pyrénées-Atlantiques) 1er novembre 1938. Deux dates encadrant la vie du poète Francis Jammes, qui auraient pu servir de prétexte à l’évocation d’une œuvre plus vivante aujourd’hui à l’étranger (en Asie notamment) qu’en France où, malgré les éloges de Gide, Proust ou Claudel, Jammes restera un poète provincial que l’Académie boudera. Et puis, le nom de Brassens fut aussi lié à celui de Jammes. Le gorille sétois mit en musique quelques strophes du long poème Rosaire que Jammes créa en 1905 lors de sa conversion au christianisme. La chanson s’intitula La Prière. Elle donna lieu à des prises de becs entre le grammairien et linguiste Marc Wilmet et le premier biographe de Brassens, André Tillieu, tous deux Wallons. Wilmet prétendait que Brassens révélait par là sa foi chrétienne, ce qui irritait Tillieu qui finit par en parler à Brassens. Celui-ci lui précisa qu’il avait créé La Prière en 1953, après avoir mis en musique Il n’y a pas d’amour heureux, le poème d’Aragon. Il s’amusait à souligner la prédominance de la poésie dans sa manière d’être puisqu’à l’époque, il faisait partie des mouvements anarchistes bouffeurs de curés, ce qui ne l’empêcha pas de chanter le texte d’un communiste et celui d’un catholique. L’explication de Brassens était aussi technique : il s’était aperçu que « La Prière avait le même mètre et qu’elle marchait sur la même musique, le même timbre » que le poème d’Aragon. Il les chanta toutes deux à Patachou, son mentor (*) à l’époque, qui choisit le poème de Jammes pour l’enregistrement de son disque. Sic transit gloria mundi.

(*) Clin d’œil aux féministes : le mot mentor n’est employé qu’au masculin, tandis que mijaurée ne possède pas de masculin.

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 Girl, l’admirable film de Lukas Dhont (voir recension du 21 oct.), connaît un succès considérable partout dans le monde et sera sans doute sélectionné aux Oscars. Mais pas dans son intégralité : aux Etats-Unis, certaines scènes ont été censurées. « Couvrez ce sein que je ne saurais voir », ce célèbre vers du Tartuffe de Molière, date de 1664.

Mercredi 14 novembre

 Aux forceps, Theresa May scelle l’accord avec l’Union européenne au nom de son gouvernement. Elle doit à présent gagner l’aval du Parlement. C’est une autre paire de channels …

                                                           *

 Samedi dernier, à la Foire du Livre de Brive-la-Gaillarde, en sa chère Corrèze, François Hollande a donc déclaré à une admiratrice qu’il allait « revenir ». Toute la presse en fait des choux gras. Même si l’on sent chez lui le désir de « renfiler les gants » comme le dit son ancien directeur de la Communication Gaspard Gantzer, on ne peut que demeurer prudent. Pourquoi fallut-il que quatre jours s’écoulent avant que les images ne soient révélées ? Pour respecter les cérémonies de l’Armistice ? Soit. Mais trois jours de plus restent en suspens. Et puis, ne teste-t-il pas l’opinion ? (Les faits : « Vous êtes retiré de la vie politique intégralement ? »  « Je vais revenir ») Ne va-t-il pas signaler bientôt qu’il voulait signifier revenir en Corrèze plutôt que revenir en politique ? Attendre confirmation est gage de sagesse.

Jeudi 15 novembre

 Le gouvernement May se délite. Il n’y a pas que Londres qui est en ébullition. Tout le Royaume-Uni est déjà sur les nerfs. Les Écossais rejettent l’accord, les conservateurs irlandais, caution de la majorité de May aussi, et les partisans du Brexit l’estiment trop soft. Money, money… Ils parlent tous de « retrouver leur argent ». Au fond, ils n’ont pas évolué dans l’esprit européen depuis que Margaret Thatcher déclara : I want my money back ! C’était à Dublin, le 30 novembre 1979. Quatre décennies de défiance européenne qui donnent raison à Charles de Gaulle : les Britanniques n’auraient pas dû adhérer à l’Europe. Ou plutôt : l‘Europe n’aurait pas dû accueillir les Britanniques.

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Ils avaient quitté le Honduras à pied, au début du mois d’octobre. On estime leur caravane à 30.000 âmes. Mille cinq cents d’entre eux ont décidé de jouer les éclaireurs. Ils ont affrété des bus. Les voici à San Diego, la frontière américano-mexicaine, concrètement au pied du mur. Certains d’entre eux, du reste, l’escaladent. La police, de l’autre côté, les observe, impassible. Donald Trump a signalé qu’il enverrait 15.000 soldats en renfort. Pour quoi faire ? Les tirer comme des lapins ?

                      

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