La France en meilleur état

Les calepins

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Paris,14 mai 2017: François Hollande s'en va, laissant «la France dans un état bien meilleur que celui que j'ai trouvé», en 2012. Photo © Stephane de Sakutin / AFP

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Lundi 8 mai

 L’équipe d’Emmanuel Macron doit s’atteler à préparer la suite afin que son élection ne se transforme point en impasse. Ce midi, il est à l’Arc de Triomphe avec François Hollande pour commémorer la fin de la Seconde guerre mondiale. Le président sortant multiplie les gestes d’attention : petites tapes dans le dos, partage d’actes solennels… L’attitude se veut bienveillante mais elle est perçue comme étant un peu paternaliste. Il y a, chez François Hollande, beaucoup moins de gestes innocents et irréfléchis qu’on ne le croit…

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 Message à tous ceux qui, dans les partis français à la dérive, tentent de conserver leur place au sein du jeu politique, quitte à devoir assumer un revirement honteux : « Depuis toujours, quelqu’un en moi, de toutes ses forces, a essayé de n’être personne. » (Albert Camus. Carnets, 1954)

Mardi 9 mai

 Donald Trump limoge « avec effet immédiat » James Comey, le patron du FBI. Ça, ce pourrait être la gaffe de trop pour le président des Etats-Unis. Le dernier qui posa un tel geste fut Richard Nixon. On connait la suite…

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 Parmi les ralliements étonnants mais surtout lâches, celui de Manuel Valls qui semble connaître des difficultés pour obtenir l’investiture du mouvement La République en marche afin de concourir sous cette étiquette aux élections législatives. Il a déclaré que « le PS est mort », aggravant son cas et son erreur d’appréciation. Le PS va déjà lui montrer qu’il n’est pas mort en lançant une procédure d’exclusion qui ne devrait donc pas le chagriner. Il aurait mieux fait d’emmagasiner des provisions pour se préparer à une traversée du désert. Á 55 ans, il pouvait se le permettre et prendre un pari sur l’avenir

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 Aurore, de Blandine Lenoir. Un film de femmes pour une histoire de femmes. Amusant. Agnès Jaoui magnifique.  

Mercredi 10 mai

 Comme tous les grands partis, le Front national se repositionne idéologiquement. Á entendre Marine Le Pen et Florian Philippot dès le soir du second tour, on perçoit déjà que l’accent va être porté sur le patriotisme plutôt que sur le nationalisme. C’est peut-être du reste ce qui a poussé Marion Maréchal-Le Pen à se mettre en retrait de la vie politique. Cette pirouette sémantique ne sera jamais qu’une supercherie de plus. On rappellera, le cas échéant, l’excellente définition de Romain Gary, simple et compréhensible par tous : « Le patriotisme, c’est l’amour de son pays ; le nationalisme, c’est la haine des autres ».

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 Chaque jour apporte son lot de surprises et de bouleversements inattendus dans la vie politique française. Il est probable que le premier Conseil des nouveaux ministres qui se tiendra dans une semaine déploiera lui aussi plusieurs audaces et autant de curiosités. Ensuite, de pareils épatements naîtront des élections législatives. L’heure est donc davantage à l’observation. Celles et ceux qui sont contraints – payés pour cela… - de commenter prennent beaucoup de risques s’ils s’égarent dans des prévisions trop construites. Des surprises, des éclats, c’est du reste ce que l’on attend d’Emmanuel Macron, élu d’abord pour donner un grand coup de pied dans la fourmilière. On n’oserait plus se contenter d’une simple aspiration au mot « changement ». Et l’on se souvient du formidable roman Le Guépard rendu célèbre par l’adaptation à l’écran de Visconti, où l’auteur, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, développait le principe « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Jean-François Kahn avait d’ailleurs appliqué ce raisonnement dans un maître-livre au titre éponyme en 1994, réfléchissant à « une théorie de l’évolution sociale » (éd. Fayard).  Cette fois, il importerait vraiment que tout changeât pour que tout change… Attendre et voir. Mais observer. Attentivement.

Jeudi 11 mai

 Deux évidences au milieu de tant d’incertitudes :

  1. L’Union européenne pourra compter sur une France décidée à la faire progresser, à la renforcer.
  2. Le défi de remporter les législatives est, pour Macron, beaucoup plus lourd à relever que celui qui consistait à gagner la présidentielle, surtout dès l’instant où son adversaire du second tour était Le Pen.

 

Vendredi 12 mai

 Donald Trump tente d’intimider le chef du FBI qu’il vient de limoger et le menace s’il décidait de parler à la presse. On savait que Trump ne connaissait pas l’histoire du monde. On sait désormais qu’il ignore aussi l’histoire du pays qu’il dirige.

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 (Bookmakers est un mot qui, comme beaucoup d’autres, n’a aucune raison d’être utilisé dans la langue française. Alors, ou bien on emploie le terme propre : parieur, pronostiqueur… Ou bien, à la limite, on en francise l’orthographe : bouqueméqueur). Demain soir sera diffusé le Grand prix eurovision de la Chanson. C’est un spectacle qui ne présente aucun intérêt mais qu’il faut bien considérer puisque plus de 200 millions de téléspectateurs vont le regarder. La presse française conseille aujourd’hui d’être attentif à Blanche, la candidate belge, que les parieurs (la presse française écrit « les bookmakers »…) donnent gagnante. La chanson que Blanche (pseudonyme d’Ellie Delvaux) interprétera s’intitule City lights. Le pays que Blanche représentera compte 11 millions d’habitants et possède trois langues nationales : le néerlandais, le français et l’allemand. C’est toutefois en anglais qu’elle concourra. Soit. Mais pourquoi, dès lors, n’a-t-elle pas choisi White plutôt que Blanche comme pseudonyme ? White, comme Barry, qui, lui, est black…

Samedi 13 mai

 La Libre Belgique, journal réputé sérieux, publie un dossier intitulé Retour sur 10 temps forts du quinquennat Hollande. Pas un seul sujet ne concerne la politique internationale. Rien sur l’initiative d’intervention immédiate en Syrie dès août 2013, qu’abandonnèrent Obama et Cameron après avoir donné leur accord, rien sur l’intervention au Mali pour stopper l’avancée des islamistes, pas un mot sur la COP 21, etc. Il valait mieux parler du scooter qui l’emmenait vivre une nuit d’amour chez Julie Gayet. De l’air, de l’air… Mesdames et messieurs les commentateurs, un tout petit peu de hauteur, est-ce possible ? Juste pour sortir du caniveau… Merci.

Dimanche 14 mai

 La belle République laïque et sociale démontre sa capacité à organiser les fastes sans couac. Il n’y a que la météo qu’elle ne peut pas maîtriser. Emmanuel Macron prononce son discours d’investiture (« Il faut être à la hauteur du moment… ») après une remarquable introduction de Laurent Fabius en tant que président du Conseil constitutionnel. François Hollande sort de la cour de l’Élysée sous les clameurs de la rue du Faubourg Saint-Honoré (oui, les clameurs !) Comme François Mitterrand, il repasse par la rue de Solferino, au siège du PS, là encore dans la ferveur. En l’absence de quelques militants dont Aubry, Montebourg, Valls et quelques frondeurs professionnels qui se sont portés pâles, il déclare : « J’ai rendu la France dans un bien meilleur état que je l’ai trouvée. » Eh bien oui. Mais il fallait le dire, cher François, sans retenue, sans fausse pudeur, dès juin 2012, dire dans quel état tu avais trouvé la France… Ton parcours de cinq ans aurait suivi une toute autre trajectoire… Nom de Dieu !

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 La social-démocratie allemande subit un sérieux échec par rapport aux chrétiens-démocrates dans le Land le plus important (Rhénanie du Nord-Westphalie, 18 millions d’habitants) qui fut leur bastion. Martin Schultz minimise les chiffres, se souvenant qu’il reste quatre mois d’ici aux élections législatives. Certes. Mais l’avertissement est sérieux, il le sait. Son état de grâce est déjà en péril.

Lundi 15 mai

 Hillary Clinton crée son mouvement politique. Son nom, en mille : En marche ensemble ! Grâce à cette formule macronienne, démentirait-elle Régis Debray qui, dans son dernier livre  (Civilisation, éd. Gallimard), explique Comment nous sommes devenus américains ? Hum, ce n’est pas demain que le jambon-beurre remplacera le hamburger chez Mc Donald Trump.

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 Le président Macron accomplit le voyage de Berlin comme il est d’usage pour se présenter officiellement à la chancelière Merkel qui se prépare donc à travailler avec un quatrième président de la République française. On sera curieux de découvrir ses portraits et comparaisons dans ses mémoires. En tout cas, saisissant l’ardeur du jeune impétrant, elle n’hésite pas à se dire d’emblée disponible pour une refondation historique de l’Europe. Le coup de barre spectaculaire est nécessaire : on renouvellera le Parlement européen dans deux ans et des poussières.

Mardi 16 mai

 Les campagnes pour les élections primaires, la campagne pour l’élection présidentielle et les cérémonies liées à ses conséquences sont enfin derrière nous. Finis les flopées verbales, les promesses brinquebalantes, les chiquenaudes camouflées, les insinuations malsaines, les engagements solennels, toutes ces superfluités de langage qui mettent à mal notre belle et juste langue. On va pouvoir recouvrer la rigueur du vocabulaire et l’emploi du terme propre. Du moins espérons-le ! Le Premier ministre Édouard Philippe, qui est sûrement quelqu’un de bien, place le subjonctif après « après que… » Quand on dirige un gouvernement, il est nécessaire de se rendre compte qu’un fait accompli n’est pas quelque chose qui pourrait advenir mais qui, au contraire, s’est réalisé.

 Soit.

 La formule la plus répandue durant les mois de palabres qui viennent de s’achever est à coup sûr « en même temps… » Serait-ce trop demander que de ne plus l’entendre ?  Tous les ministres qui l’utiliseront devraient désormais être soumis à la sanction. Mais pour cela, il faudrait que le président montre lui-même l’exemple… Quant à « voilà… », façon commode d’arriver au point final lorsque l’imagination n’alimente plus le débit, on ne peut que prendre acte de son déclin dans l’usage courant et gager que l’épidémie est passée.

 Trois petites notes conservées au chaud. 1. D’après Jean-Christophe Cambadélis, François Mitterrand considérait Jean-Marie Le Pen comme un faluchard, ce mot découlant de manière péjorative du substantif faluche, béret de velours noir porté par les étudiants au 19e siècle. Le faluchard serait donc à la faluche ce que le salonard est au salon. On ne sait cependant toujours pas ce que Mitterrand a voulu dire par là.  2. Le mot faquin est revenu parfois dans les échanges, pas souvent à vrai dire, mais assez pour coincer l’un ou l’autre animateur de débat, notamment dans les propos de Jean-Luc Mélenchon. Jean-Luc Godard avait déjà naguère provoqué un petit désarroi médiatique. Faquin (« Homme méprisable et impertinent, coquin, maraud » - Larousse -) n’est pourtant pas si exotique. On le trouve régulièrement dans Stendhal (« Ce faquin de ministre le traite avec une distinction étonnante. » Lucien Leeuwen).  3. Le terme « polémologie » est de création très récente. On le doit à Gaston Bouthoul (1896 – 1980), sociologue français spécialisé dans la science de la guerre, qui publia en 1945 un Traité de polémologie. Longtemps ce néologisme n’eut pas d’antonyme. Si l’on reconnaissait qu’il existât une science de la guerre, personne n’avait pensé qu’il pût exister aussi une science de la paix. Certains philologues voudraient imposer le substantif irénologie, inventé par le journaliste belge et professeur à l’Université catholique de Louvain Paul Michel Gabriel Lévy (1910 – 2002) dans les années cinquante. Mais qui, aujourd’hui, connaît ce mot ? En tout cas, pas Alain Rey, qui l’ignore dans son dense Dictionnaire historique de la langue française (éd. Le Robert).

Mercredi 17 mai

 « François Hollande, s’interroge Le Monde, a-t-il vraiment laissé le pays dans un meilleur état qu’il ne l’était il y a cinq ans ? » Et de répertorier des appréciations en les commentant : La croissance : situation meilleure.  Le chômage : situation pas meilleure mais encourageante. Le déficit public : situation meilleure mais insuffisante. Pouvoir d’achat et consommation : la situation s’améliore. Le logement : la situation s’améliore. Les entreprises : la situation est meilleure. Conviendrait-il de conclure que le président sortant aurait pu asseoir et conforter ses résultats dans un deuxième (et indispensable) quinquennat ?

 Au journal de 9 heures sur RTL, la préposée annonce que « grâce à François Hollande et selon l’INSEE », le chômage est au plus bas, revenu à son chiffre du premier trimestre 2012, en-dessous de la barre des 10 %.

 Attention mesdames et messieurs les journalistes ! Comme c’est dit chez Audiard : « On pourrait jaser… »

Jeudi 18 mai

 Le temps de la sagesse s’impose. Observer, analyser, mais se garder de commenter la politique française constitue la principale application. Sans bien percevoir encore comment le pays sera gouverné, on peut déjà noter qu’il n’aura jamais été aussi impliqué dans la construction européenne, du moins par la composition de son gouvernement. Le second tour de l’élection avait fait apparaître un choix clair entre deux options radicalement opposées : le repli dégageant un protectionnisme quasiment maladif d’une part, l’option européenne dans une mondialisation acceptée de l’autre. Cette dernière est en tout cas très illustrée dans l’énoncé des compétences ministérielles.

Vendredi 19 mai

  La République en marche, le nouveau parti macronien, ne présentera pas de candidats dans 51 des 577 circonscriptions. Cela rendra d’autant plus difficile la recherche d’une majorité absolue. Reste à souhaiter que cette demi-centaine de sièges se répartiront entre les deux grandes familles traditionnelles, LR et PS, indispensables à l’équilibre démocratique. Car l’enjeu, gage de réussite de ce quinquennat, ce sera aussi de réduire les extrêmes. Jean-Luc Mélenchon est, hélas !, au bord du délire. Son retour au réel risque d’être douloureux. Côté FN, c’est plus simple : il faut espérer que leurs bisbilles se transforment en chamailleries et que leurs querelles accouchent de scissions. Ils en sont capables. Un jour, parce qu’il est impossible de gouverner en satisfaisant tout le monde, parce que la cohésion entre les meilleurs d’un côté avec les meilleurs de l’autre pourrait se craqueler ; un jour un grand débat de repositionnement sera peut-être nécessaire. Si c’était le cas, il vaudrait mieux que cette explication s’organise autour des grandes forces démocratiques alimentées par l’Histoire. Pour se tenir stable et bien avancer, un corps a besoin d’une jambe droite et d’une jambe gauche. Un pays aussi.

Samedi 20 mai

 Donald Trump quitte les Etats-Unis pour la première fois depuis son élection. Un voyage de huit jours qui débute par l’Arabie Saoudite. Ses conseillers implorent le Tout-Puissant matin et soir pour éviter que le président imprévisible ne commette quelques gaffes. Ils ont pris toutes les précautions imaginables. Ayant constaté que leur patron ne comprenait pas les longs développements, ils se seraient même arrangés pour qu’au sommet de l’OTAN, chaque intervention soit limitée à 4 minutes maximum. Le jour où il rencontrera Poutine, il faudra prévoir des interruptions de séance.

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 Hassan Rohani est réélu dès le premier tour à la présidence de l’Iran avec 57 % des voix. C’est une lourde défaite pour les conservateurs. C’est donc surtout la preuve que le pays aspire à la modernité. Le religieux le plus modéré est d’abord un religieux. Et le Guide suprême veille. Ce n’est pas encore l’heure de la laïcité mais elle viendra.

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