Hauts les masques!

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Mode de l'été 2020. Si les gants sont industriels, le masque sort d'un atelier improvisé. Photo ML

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C'est Nadine, gardienne de la paix à Charleroi, bénévole au resto du coeur, qui m'a montré son masque artisanal, destiné aux volontaires distribuant des colis. Nous étions il y a des siècles, en ce lundi initiant la première semaine de confinement. Six semaines plus loin, ces masques sont toujours en service, en renfort des masques chirurgicaux commandés par la Fédération des restos du coeur. Ils sont 17 répartis dans le Royaume, ces restos, et voient les files s'allonger. Jusqu'où iront-elles? Leur présence est un symptôme de la crise dans les villes désertées. Ces files  rappellent le temps où les chômeurs s'y retrouvaient. C'était avant le paiement par chèque postal ou virement électronique. 

Nadine aura peut-être été inspirée, pour son prototype, par ces vidéos didactiques diffusées sur le net. Dans des draps de coton offerts au vestiaire  pour les bénéficiaires, elle a coupé des rectangles. Puis cousu deux couches de tissu permettant d'y insérer, comme dans un sandwich, un mouchoir en papier pour filtrer l'air. Enfin, elle a fixé deux élastiques pour finir le travail.  Aux utilisateurs de nouer ceux-ci à leur guise. Ce masque doit être lavé dans une eau très chaude, pour  jouer son rôle anti-virus. Il témoigne du du génie humain, cet objet. Imaginez, avec de la récup', il est possible de faire obstacle à une maladie contre laquelle il n'y a pas encore d'antidote ni de vaccin. Le masque se fait gage d''espérance, donnant du temps aux chercheurs dans leurs labos. D'autres artisans...

Examinant de près le masque acheté dans un petit magasin de la ville voisine, chaque détail prend sa force. Derrière le fini des coutures se dévoile la patience de l'artisan qui rend service. Sans gloire. Oeuvrer est son mode d'expression. C'est la revanche des classes de coupe-couture, des ateliers de dentelle, des usines de vêtements, des machines à coudre, des aiguilles et des doigts de fée. Un ingénieur de mes amis, qui a participé au lancement d'une fusée Ariane, me rappelait que pour réaliser les assemblages de fibres optiques nécessaires à des instruments envoyés dans l'espace, une usine hig-tech recrute des dentellières. On forme des spécialistes selon les règles de cet artisanat: savoir-faire, patience, finesse de l'ouvrage, concentration.

A Binche, les dentellières ont longtemps produit des parures de rêve. J'espère qu'il subsiste des ateliers, qui auraient résisté à la mondialisation. Le musée du carnaval et du masque réservera-t-il quelques vitrines aux modèles suscités par le coronavirus? Quant aux métiers à tisser produits en Belgique, c'est le plus souvent bien loin qu'ils sont utilisés pour inonder le monde de vêtements à prix cassés. Il m'a été donné, il y a plus de trente ans, de suivre en Chine un représentant belge qui ne savait plus faire face aux commandes. Il faisait son boulot mais, chaque fois qu'un métier à tisser était vendu, il pensait  aux emplois perdus, à Mouscron, Leuze ou Courtrai et autres sites de l'industrie textile belge.

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Quand la crise sera passée, laissant ses traces terribles, il faudra peut-être reprendre un de ces masques dans le tiroir où il aura échoué. Imaginer le talent et la conviction de la personne qui l'aura confectionné, par solidarité. Remettre ce  masque, alors, ne serait-ce qu'un instant, apparaîtrait comme un signe de connivence ou de ralliement. Une manière de dire que l'on n'oublie pas les gens qui, à la base, rendent des service innombrables. Des gens qui, pour leurs efforts, sont les moins bien payés. Le masque, si concret, deviendrait alors une sorte de garde-fou. Les gens qui dirigent les pays  (et les autres aussi ) devraient garder un masque dans leur poche pour se souvenir des files si longues, à l'entrée des hôpitaux, comme des restos du coeur et, naguère, des bureaux de pointage. Derrière chaque être se profilait un emploi perdu, une vie brtisée, une famille dans le désarroi.

   

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