Économie mondiale: la «grande réinitialisation»

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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La crise du Covid-19 montre l'interdépendance des enjeux sanitaires, environnementaux, économiques et sociaux incarnés par les objectifs de développement durable de l'ONU. @BH avec @dianakuehn30010

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Nouvelle conscience de la nécessité de changer le monde après la pandémie du Covid 19 ou grande esbroufe de la part des « maîtres du monde » ? On le saura en janvier 2021 avec l’étonnant virage vers le futur du Forum Economique Mondial et son prochain Forum de Davos baptisé « the great reset » : la « grande remise à zéro ».

En trois grandes déclarations, voici les contours de cette réinitialisation des politiques économiques :

« Nous n'avons qu'une seule planète et nous savons que le changement climatique pourrait être la prochaine catastrophe mondiale ayant des conséquences encore plus dramatiques pour l'humanité. Nous devons décarboniser l'économie dans la courte fenêtre d’action qui nous reste et mettre à nouveau notre pensée et notre comportement en harmonie avec la nature », a déclaré Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du Forum Économique Mondial.

« Afin d'assurer notre avenir et de prospérer, nous devons faire évoluer notre modèle économique et placer les humains et la planète au cœur d’une création de valeur mondiale. S'il y a une leçon essentielle à tirer de cette crise, c'est que nous devons placer la nature au cœur de notre mode de fonctionnement. Nous ne pouvons tout simplement pas perdre plus de temps », nous dit le Prince de Galles.

« La Grande Réinitialisation est la confirmation que nous devons considérer cette tragédie humaine comme un signal d'alarme. Nous devons construire des économies et des sociétés plus égales, plus inclusives et plus durables, qui soient plus résistantes face aux pandémies, au changement climatique et aux nombreux autres défis auxquels nous sommes confrontés au niveau global », insiste António Guterres, secrétaire général des Nations unies à New York.

Un virage assez vertigineux … Du moins en apparence car s’agit-il réellement d’un changement de cap ?

Certes, les préoccupations sociales étaient peu présentes dans les théories présentées du côté des puissants de ce monde, alors qu’elles étaient rappelées inlassablement par Oxfam et ses décapants rapports sur la pauvreté et les inégalités dans le monde.

Un nouveau contrat social ?

Cette « Grande Réinitialisation est nécessaire pour construire un nouveau contrat social qui honore la dignité de chaque être humain », précise M. Schwab. Et d’analyser ce que les altermondialistes ne cessent de clamer depuis des décennies : « La crise sanitaire mondiale a mis à nu la non-durabilité de notre ancien système en termes de cohésion sociale, d'absence d'égalité des chances et d'inclusion. De plus, nous ne pouvons pas non plus tourner le dos aux maux causés par le racisme et la discrimination. Nous devons intégrer dans ce nouveau contrat social notre responsabilité intergénérationnelle pour nous assurer que nous sommes à la hauteur des attentes des jeunes ».

Formidable. Tout ce que nous pouvions espérer. Mais par quelles méthodes et avec quels moyens ? Voici la recette de M. Schwab, celle qui est annoncée par les précédents Forums Economiques Mondiaux dont il faut souligner l’aspect non démocratique, non représentatif des populations alors que ce groupe de pression, réunissant les plus riches du monde, exerce une formidable pression sur les instances politiques nationales et internationales :

« La COVID-19 a accéléré notre transition vers l'ère de la quatrième révolution industrielle. Nous devons nous assurer que les nouvelles technologies dans le monde numérique, biologique et physique restent centrées sur l'homme et servent la société dans son ensemble, en offrant à chacun un accès équitable ».

Verdir le système

Or, cette quatrième révolution industrielle, triomphe du numérique et de la mondialisation, n’apparaît que comme un sauvetage du système néolibéral actuel, en gommant quelque peu les inégalités sociales et en teintant de « vert » écologiste les politiques économiques et financières. Même après ces déclarations sensationnelles, cette « réinitialisation » semble ne pas répondre aux exigences de développement agricole juste, durable, conciliant le développement économique et social des agriculteurs eux-mêmes (et pas celui de grands propriétaires terriens, des multinationales de l’agro-alimentaire) et la sauvegarde des écosystèmes et donc du climat de la planète entière. On n’y voit pas non plus de remèdes aux exploitations mortifères des ressources minières principalement dans les pays les plus pauvres.

Les récentes déclarations des maîtres de la finance mondiale, comme celle de Kristalina Georgieva, directrice du Fonds Monétaire international (FMI), évoquent une reprise de la croissance qui ressemble trop à l’ancienne : « Nous avons assisté à une injection massive de mesures de relance budgétaire pour (…) que la croissance revienne. Il est primordial que cette croissance conduise à un monde plus vert, plus intelligent et plus juste à l'avenir. Il est possible de le faire. Pourvu que nous nous concentrions sur les éléments clés d'une reprise - et agissions maintenant. Nous n'avons pas besoin d'attendre ».

Quant au secteur financier, il a instauré un « Réseau pour verdir le système financier » (NGFS), qui réunit 66 banques centrales dans le monde. On y échange des bonnes pratiques qui aideraient les établissements financiers qu’ils supervisent (banques, assurances, société de gestion, etc.) à prendre en compte le changement climatique dans leurs décisions. On verra ce qu’il en sera, notamment au niveau européen où la Commission a lancé son Green Deal, un projet ambitieux pour sauver l’agriculture et la biodiversité. Il s’agit de diminuer de moitié l'usage des pesticides, de promouvoir l'agriculture biologique ou encore de placer près d'un tiers des terres et mers de l'Union sous protection. On aurait aimé des exigences encore plus fortes, comme l’arrêt total des pesticides. De plus la Commission ne dispose que de très peu de moyens pour imposer cela aux États membres.

Modèle européen versus USA

Le secteur financier a commencé sa mutation avec l’annonce de certains désinvestissements dans le secteur des extractions d’énergie fossile. Quant aux toutes puissantes industries du numériques, elles suivent le mouvement. Ainsi, Google a annoncé qu’il ne développera plus d’outils d’intelligence artificielle (IA) au service de l’extraction du pétrole et du gaz. Ce secteur est l’enjeu de batailles titanesques entre groupes super puissants. Le monde pétrolifère se divise entre tenants d’une reprise et d’une croissance du secteur fossile avec en tête une des multinationales les plus critiquables, l’américain ExxonMobil, et les pétroliers européens qui évoluent vers une transition énergétique. Au cours de la récente A.G. de Total, il a été déclaré que « En tant qu’entreprise européenne, Total soutiendra activement les politiques de neutralité carbone, y compris les politiques de tarifications du carbone ».

Il semble donc que dans ces entreprises, une certaine « réinitialisation » soit en cours !

Par rapport à cela, les récentes déclarations de la FEB en Belgique font penser à un retour au capitalisme du 19ème siècle : « Les patrons veulent moins d’impôts et plus de flexibilité », titrait Le Soir du 3 juin 2020. La recette des patrons belges est consternante :  travail jour et nuit afin de répondre aux exigences du commerce en ligne, chômage limité dans le temps, pour tous, alors que l’économie s’effondre et que les emplois disparaissent, nouveau pacte social avec gestion individualisée des années de travail et surtout pas de nouvelle fiscalité pour refinancer la sécurité sociale… Une vraie guerre sociale qui s’annonce.

« L’Etat doit reprendre la main », claironne l’économiste belge Bruno Colmant, qui précise « Je suis et reste libéral. Mais le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès. » Et de publier un nouvel essai: « Hypercapitalisme: Le coup d’éclat permanent » analysant le gouffre qui existe entre les modèles américain et européen. Sa solution, rapportée par l’Echo : « Il faut restaurer des États-stratèges, c’est-à-dire des États qui ne se subordonnent pas aux marchés, qui reprennent la main pour certaines initiatives économiques et qui sont capables d’être des partenaires par rapport au marché. Or, c’est exactement le contraire qui s’est passé. Les États européens se sont subordonnés au marché, jusqu’à perdre la moindre capacité d’impulsion économique. »

Voilà dans quel contexte devra se constituer un gouvernement pour la Belgique…

Sources :

https://fr.weforum.org/press/2020/06/la-grande-reinitialisation-un-sommet-unique-pour-debuter-2021

https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/la-crise-du-coronavirus-cas-d-ecole-et-wake-up-call-des-objectifs-de-developpement-durable-148403.html

https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/green-deal-pourquoi-l-ambitieux-projet-europeen-sur-l-agriculture-et-la-biodiversite-est-difficilement-applicable-148639.html

https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/tech-for-good-google-ne-mettra-plus-son-intelligence-artificielle-au-service-de-l-energie-fossile-148660.html

https://www.novethic.fr/actualite/energie/energies-fossiles/isr-rse/exxonmobil-versus-total-les-petroliers-s-opposent-sur-le-monde-d-apres-148646.html?utm_source=Abonn%C3%A9s+Novethic&utm_campaign=2801f5e29c-EMAIL_CAMPAIGN_2020_06_08_02_55&utm_medium=email&utm_term=0_2876b612e6-2801f5e29c-171526033

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