Climat : l’Europe trainée en justice

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Ce que veulent les gens en matière de climat: manif de Tout autre chose en 2016. Photo Gabrielle Lefèvre

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La démission surprise du ministre français de l’écologie Nicolas Hulot ne fait que confirmer ce que les mouvements sociaux et citoyens n’arrêtent pas de dénoncer : les pouvoirs politiques en place ne font pas leur travail principal, à savoir protéger les citoyens et leur assurer des conditions de vie dignes et saines.

Les citoyens ne sont pas démunis cependant. Ils peuvent manifester, protester, pétitionner, voter et même, aller en justice contre les États qu’ils estiment fautifs. C’est un droit et cela devient même un devoir civique !

Ainsi, selon le Sabin Center for Climate Change Law, plus de 900 plaintes et recours liés à ce combat ont été lancés durant la dernière décennie un peu partout dans le monde. Depuis mai dernier, dix familles européennes, d’Afrique et du Pacifique poursuivent l’UE en justice pour exiger une action efficace contre le changement climatique. Le 13 août 2018, le Tribunal de l’Union Européenne a accepté d’examiner cette affaire dénommée « People’s Climate Case ».

Le Tribunal a donc annoncé au Parlement européen et aux gouvernements des États membres de l’UE qu’ils étaient accusés de mener une action insuffisante pour protéger les citoyens européens contre le changement climatique. Désormais, ils ont deux mois pour réagir.

Les plaignants rappellent les valeurs supérieures que doit porter l’UE : « l’Union est tenue par des normes de rang supérieur de prévenir les dommages causés par le changement climatique, en vertu du droit international coutumier qui interdit aux États de causer des dommages et les oblige à prévenir les dommages en vertu de l’article 191 TFUE. De même, l’Union est tenue de prévenir les atteintes aux droits fondamentaux protégés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne causés par le changement climatique. Ces droits incluent le droit à la vie et à l’intégrité physique, le droit d’exercer une activité professionnelle, le droit de propriété, les droits des enfants et le droit à l’égalité de traitement ; »

Or, constatent les plaignants : le «paquet législatif sur les émissions de GES» (gaz à effet de serre) est « entaché d’illégalité en ce qu’il autorise des émissions de gaz à effet de serre au cours de la période comprise entre 2012 et 2030 correspondant à 80 % du niveau des émissions de 1990 en 2021, se réduisant à 60 % du niveau des émissions de 1990 en 2030. »

Les plaignants veulent donc que des mesures soient prises pour imposer « d’ici à 2030 une réduction du niveau des émissions de gaz à effet de serre de 50 % à 60 % par rapport à leur niveau de 1990, ou toute réduction plus importante que le Tribunal jugera appropriée. ». Ce qui est tout à fait possible car il a été établi que l’Union a les capacités techniques et financières pour y arriver.

Il y a urgence, la canicule de cet été l’illustre bien. Le bilan des morts en Europe du fait des catastrophes climatiques pourrait se multiplier par 50 d’ici la fin du XXIe siècle, d’après une étude récente. Actuellement, 3.000 personnes meurent tous les ans de la canicule, mais ce chiffre pourrait s’élever à 150.000 par an d’ici à 2100.

Les voix citoyennes attaquées

Les citoyens se rebiffent et contestent, ce qui est leur rôle que leur contestent de plus en plus souvent les représentants politiques plus sensibles aux sirènes des lobbies des grandes entreprises qu’aux revendications émanant de la vie associative. Alors, pour disqualifier ces revendications portées par des citoyens de toutes obédiences politiques ou non politiques, certains libéraux belges se disent excédés par « la mainmise socialiste » sur la parole associative, ainsi qu’on a pu le lire dans l’Écho du 17 août. Comme si le parti socialiste dominait toute la mouvance progressiste qui a l’audace de critiquer les actions du gouvernement actuel.

On peut se demander s’il ne s’agit pas d’une manière d’attaquer les associations qui bénéficient de l’argent public pour assurer leur rôle de critique de l’action politique. C’est négliger le fait que ces associations remplissent un rôle éminemment citoyen de renforcement de la démocratie en relayant vers l’Etat les contestations des gens, les demandes des plus pauvres, des plus défavorisés, des plus fragiles de notre société.

Museler la parole des citoyens, c’est affaiblir donc la démocratie qui ne se réduit pas à la possibilité de voter de temps à autre pour des représentants des peuples. Il n’est pas normal que des citoyens doivent recourir à la justice pour rappeler aux Etats leurs obligations. S’ils n’obtiennent pas gain de cause, il reste les manifestations, les insurrections plus ou moins violentes, les désobéissances civiles… Tenter de réduire ou de museler la liberté d’expression est une dangereuse tentation d’un pouvoir qui perd sa légitimité populaire. L’histoire regorge de pages noires de ce style !

Sources :

L’action de Wemove.eu : le People’s Climate Case est un procès intenté par des familles qui viennent du Portugal, d’Allemagne, de France, d’Italie, de Roumanie, du Kenya, des îles Fidji, ainsi que de la Saami Youth Association Sáminuorra (une association suédoise de jeunes Samis). Lettre de soutien : https://act.wemove.eu/campaigns/proces-ue-changement-climatique?utm_source=civimail-16676&utm_medium=email&utm_campaign=20180813_FR_3https://peoplesclimatecase.caneurope.org/wp-content/uploads/2018/07/application-delivered-to-european-general-court.pdf [en anglais]
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2018:285:FULL&from=FR

(Affaire T-330/18: Recours introduit le 23 mai 2018 — Carvalho e.a./Parlement et Conseil)

https://www.nytimes.com/2018/08/04/world/europe/europe-heat-wave.html [en anglais]
https://www.cnews.fr/monde/2017-08-05/rechauffement-climatique-150000-europeens-pourraient-mourir-chaque-annee-dici-2100

https://www.cbc.ca/news/technology/europe-heat-waves-1.4236629https://peoplesclimatecase.caneurope.org/plaintiff/family-elter-from-italy/ [en anglais]

A lire aussi :

Justice climatique : vers un nouveau droit international de l'environnement

Directive européenne n°2018/410 du 14 mars 2018

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Ce que veulent les citoyens, lors de la manifestation « Tout autre chose » du 20 mars 2016. Photo © Gabrielle Lefèvre


 

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