Chez Délia&Eugène, supérette citoyenne

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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A Biercée, la supérette de Délia et Eugène est un carrefour. C'est là que les gens se croisent, que les nouvelles circulent, que l'on trouve tout ce qui est utile pour la vie quotidienne. En pleine crise du coronavirus, la boutique locale jour le rôle d'un véritable service public. Photo © Marcel Leroy

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Heureux les villages qui peuvent compter sur la présence d'une épicerie. A Biercée, en Thudinie, pas très loin de la frontière française et sur les hauteurs de la Sambre, c'est une supérette que Délia et Eugène animent depuis plus de trente ans. Au temps du coronavirus, des gens qui ne connaissent pas la boutique située sur la place, découvrent ses avantages. La clientèle fidèle est calme, défile tout au long de la journée, on trouve absolument tout ce qui est utile en parcourant les rayons chargés de marchandises. Si vous aimez les westerns, comme Eugène, vous penserez peut-être, en passant la porte du lieu, à un general store des Rocky Mountains. 

Délia et Eugène sont comme des acteurs sur la scène de leur théâtre. Ils travaillent dur, sans compter les heures, six jours sur sept. Fermeture le mecredi. Ils en ont, du courage. Pour regarnir les rayons et peaufiner l'administration. A la caisse, Délia programme une animation musicale allant de l'accordéon à l'électro-pop, sans oublier de temps à autre une canzonetta italienne lui rappelant ses origines. On peut tout lui demander. Comment dénicher le meilleur produit pour dégraisser la machine à laver, une recette pour la soupe aux légumes du jour, la meilleure manière d'acheter des sabots pour les membres du groupe du carnaval, ou le secret de la sauce carbonara maison. Toujours elle a le sourire, un mot sympa. Tant que cela leur est possible, ces commerçants viennent en aide aux gens, s'il faut acheminer un colis, ils s'arrangeront bien. 

Dans le fond du magasin Eugène officie derrière un long comptoir garni de jambons, saucissons, terrines, fromages à la découpe, pains frais, tartes et merveilleux, baguettes et pistolets. Le dimanche, des poulets rôtissent en parfumant l'atmosphère. Côté bières et vins, c'est le tour du monde, de l'Orval (rarissime bien entendu) aux grands vins pétillants de nos terroirs. Chaque jour rentrent des légumes et fruits frais, des conserves permettant de tenir un siège, et des pâtes à en avoir le tournis. Vous êtes spaghetti ou farfalle? Pas de problème, le choix est vaste. 

A l'arrière, au-delà d'une cloison qui découpe la surface en deux morceaux, on pénètre dans la caverne d'Ali Baba. OK, c'est un énorme cliché, pourtant, ici, c'est la vérité. Besoin de lacets pour vos godasses? Vous avez le choix, combien d'oeillets? Un plat résistant au four et au micro-ondes, des chaussettes de travail, du papier pour imprimantes, un bic ou un crayon, une carte d'anniversaire pour votre maman, une clé à molettes, du plâtre, un  balais perfectiionné, du liquide lave-glaces hiver?  Tout est là, sans qu'il y en ait trop. C'est du costaud, du pratique, du beau. Et, dans les frigos des surgelés, il y a des glaces et des frites, des pizzas et tout ce vous voulez. Tiens, le papier de verre manque? C'est la faute au coronavirus. Les commandes ne suivent pas toujours. 

Il faudrait dresser la liste de ce l'on oublie de mentionner. Le dentifrice, les lames de rasoir, les papiers sous toutes leurs formes, de celui tant recherché aujourd'hui aux mouchoirs à jeter dans une poubelle fermée.Un parfum, un déodorant, un truc auquel vous n'auriez pas pensé? Délia ou Eugène, qui connaissent leurs ouailles, rappellent parfois un oubli sur la liste. Faut dire qu'en bavardant, on s'égarerait. Pour le moment, avec LA maladie, les conversations se mènent à distance réglementaire. On parle du confinement en Sardaigne et à Maubeuge, autant qu'à Bruxelles ou Charleroi. Au village, les jardins sont en chantier. On bêche, sarcle, prépare les semis. Les feuilles poussent dans les vergers, les oiseaux chantent, les chevreuils jaillissent hors des fourrés dans la forêt. 

A vrai dire, l'importance de la supérette de Délia et Eugène ne se mesure pas en milliers d'articles accessibles pour les personnes qui n'ont pas de voiture. Au village, comme dans beaucoup de zones rurales, le bus ne passe que le matin et le soir, pour les écoliers. Pendant les vacances, le bus ne passe pas du tout. On se débrouille à vélo, s'en remet aux amis et voisins. Heureusement, le magasin est ouvert et on peut s'y rendre à pied. A la réflexion, la supérette est un service public fonctionnant grâce à des petits indépendants. La commune reconnaît cette fonction indispensable. A d'autres niveaux, les commerces locaux, si utiles, indispensables à la vie sociale, sont harcelés par des réglementations tâtillonnes, accablés de taxes multiples, peu encouragés, hélas. 

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Puisse qu'au-delà de la crise, on se souvienne du rôle joué par les épiceries des villages et des quartiers. Comme les écoles, les cabinets médicaux et les cafés, et tout ce à quoi on ne songe pas en tapant ces lignes, ces humbles boutiques dont on dirait qu'elles sont à l'ancienne ouvrent des voies d'avenir. La preuve en est que, depuis quelques années, des groupes se constituent pour sauver une épicerie de village, ou la récréer. Avec le soutien des communes, inspirées par les citoyens. Au fond, faire ses achats à la supérette est un acte démocratique de base. 

 

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